LIBEREZ POLANSKI, lente prière
La nuit tombe lentement sur Genève.
Il y a des hautes fenêtres dans la salle peinte en noir... Je ne sais pas comment fermer les stores alors j'attends sans faim que la nuit tombe pour l'ambiance juste... Il est 17h21 et on sent un mouvement, déjà, de reflux... Quelqu'un qui avait laissé ses affaires passe les reprendre... Je l'interroge : il travaille sur une partition de souffle.
LIBEREZ POLANSKI, lente prière
J'ai vu Maya. Je suis allé au studio où je loge. Le studio est une grande baie vitrée qui donne sur le fleuve. Le fleuve, c'est le jeune et frais Rhône. En face, un hôtel sans doute : MANDARIN ORIENTAL.
Je descends au restaurant comme un grand.
Je sens des possibilités. A cause des gens. Ça s'ouvre. Le garçon me fait un cours sur la Suisse (j'hésitais sur le Tessin, dont il me sert un vin).
Je voulais aborder le mystère suisse, l'art difficile de ne presque rien faire.
"Not that I expect something bad", dit un jeune homme d'affaire en chemise blanche. Il y a des femmes aussi à une autre table, tout un groupe comme de campagnardes, mais ce ne sont pas des campagnardes, ce sont des Suissesses...
Il y a une langue qui circule qui parle à mon oreille natale...
Les profils sont beaux.
La passion d'être une femme.
La passion d'être un homme.
Chacun dans son monde - sauf pour l'amour (appelé aussi : la reproduction).
De nouveau dans le studio, il n'est pas dix heures, mais mes yeux se ferment, route et fleuve vont vers la même direction (vers la France)...
Première idée :
Les Suisses entretiennent une relation non violente, dépourvue de toute espèce d'agressivité avec la réalité et remplacent la frénésie de l'intervention active - style Sarkozy - par la disponibilité et le courage du laisser faire...
Je mélange ma préoccupation aux phrases d'un livre que je tente de suivre de plus en plus difficilement à travers la façade de mes yeux.
Le fleuve descend, descend toujours, comme un film qui ne s'arrêtera jamais...
C'est un peu la peur. L'Egypte. Je ne suis pas assez grand. La montagne, les animaux, la forêt, le froid, le fleuve, tout ça, je ne connais pas.
Le fleuve enchâssé, c'est une coulée de lave.
Les Suisses sont occupés à l'invention d'une curiosité : la démocratie. La démocratie est une contrefaçon. Alors les Suisses font avec cette violence qui s'appelle faire des affaires, c'est ça, le problème suisse - ou sa résolution - : et avec les affaires vient l'argent et avec l'argent vient la réalité.
Ils ne sont pas anarchiques, les Suisses, ils ne sont pas poètes pour deux sous. Il paraît qu'ils se disputent un peu sur tout entre les cantons, c'est le serveur du vin du Tessin qui me le dit, mais tout ça, c'est diversion...
Je me demandais si mon psychiatre n'essayait pas de me transformer en Suisse en me priant d'accepter les antinomies naturelles et de laisser la nuit et le fleuve décider pour moi.
Mais la Suisse a-t-elle une utilité ? A-t-elle autant d'utilité que toutes les actions du monde ?
C'est maintenant le matin, la ville et les bus sont réveillés, les voitures roulent dans l'autre sens, mais le fleuve va toujours vers la mer.
Il y a des hôtels sur la mer. Mais la mer ou le fleuve, ce n'est pas reposant.
Les femmes sont si différentes des hommes.
Je regarde celle qui donne le sein. J'en regarde tout un groupe, celle que je prenais pour la mère n'est pas celle qui donne le sein. Cette plénitude... (Mot chuchoté.) Les femmes seront toujours avec les femmes et les hommes avec les hommes. Chaque sexe agit dans sa plénitude. Ça n'a rien à voir avec l'homosexualité.
Au Pain quotidien : "On avait une charmante demoiselle avant, on a perdu au change... Non, vous trouvez pas ? Ah, oui..."
"Toi, on te dit de rester, et, moi, on me dit que dès que j'en vois passer un (Il fait mine de tirer au fusil sur des canards dans le ciel.) : poum, poum ! Tu vis dans un monde, c'est extraordinaire..."
"Au tremblement de terre qui a aplati une partie d'Haïti et endeuillé tant de familles répond un élan de sympathie émouvant qui réchauffe le cœur et l'esprit", écrit le fonctionnaire international dans "La Tribune de Genève".
Les incroyables et effroyables mystères de la vie et des papiers journaux qu'il suffit de regarder avec sourire... Tout se détache de la pellicule, si vous voulez, qui est une fine vitre. Il y a ce phénomène de la journée, avec ces bruits familiers, la porte qui s'ouvre, "Bonjour madame", les bruits des chaises sur le plancher, les bruits de vaisselle en cuisine, les bruits de la porte, de la caisse enregistreuse, le bruit de la conversation des comptables où l'un des deux hommes, seul, est audible (comme souvent), le bruit de la cuillère qui tombe / qui tinte sur le sol / sur le bol, des bocaux de condiments reposés sur la table, le scratch-scratch du poivrier, etc, "Bon appétit - Merci !..." Il faut glisser vers l'après-midi...
"C'est très simple à changer, c'est une question de donner l'instruction..."
(Césure.) C'est curieux que je vienne comme parler des Suisses aux Suisses. Est-ce que j'imagine un spectacle où un Suisse viendrait parler des Français aux Français... - pourquoi pas ? Il faudrait néanmoins un texte "grand", hein, comme le texte de Cioran, par exemple, c'est celui auquel je pense. Sinon si c'est pour dire des banalités... (Le spectacle, à ce moment-ci, semble aller vers sa panne. Puis reprise.) Il faudrait que j'établisse ce que le mot "Suisse" représente pour moi - et c'est un peu mal parti... (De nouveau panne de la parole puis reprise.) Disons... Ce que je peux dire peut-être de plus profond au cours de la soirée, c'est... que le mot "Suisse" représente pour moi le théâtre. Le mot "Suisse" est vide de sens exactement comme le mot "théâtre" et il se remplit comme un lac exactement de ce qu'on peut y mettre / de ce qu'on veut y mettre, nous, la société des hommes.
(Parce que les animaux s'en fichent de la Suisse, vous comprenez. Ils n's'en fichent pas du lac, mais de "La Suisse", oui.)
lls s'en fichent moins du théâtre que de la Suisse, les animaux, peut-être...
(Première anecdote - improvisée au micro sur pied.)
Il paraît, c'est Michel Faure qui me l'a dit, il paraît qu'il y avait une jument, ici, dans la black box, qui pissait toujours et exactement au bon endroit dans le texte. C'était arrivé par hasard sans doute la première fois, mais après elle a tenu à le refaire exactement au même moment, sur un mot... Une grande actrice.
(Seconde anecdote - improvisée au micro sur pied.)
Ça m'fait penser... parce que, cette mécanique apparente des animaux, c'est ça, être un grand acteur... C'est une anecdote, c'est Alain Cuny qui travaillait avec Claude Régy et y avait aussi Maria Casares, mais il ne s'entendaient pas du tout, Maria Casares et lui. Pendant tout le temps où ils ont répété et joué ensemble, au théâtre de Chaillot, ils ne se sont pas dit bonjour. Y avait en ce temps-là, c'était en 1970, un ascenseur pour descendre sur le grand plateau d'Chaillot et ils le prenaient ensemble sans se dire bonjour. Et donc au cocktail de dernière, Claude Régy, harrassé, qui avait failli rentrer à l'hôpital psychiatrique de toute cette tension dit à Alain Cuny : "Je n'ai pas compris c'qui s'est passé parce que comme vous aviez travaillé plusieurs fois ensemble, je pensais que vous appréciez cette actrice" et Alain Cuny répond de sa voix que je suis bien loin de pouvoir vous imiter : "Elle, une actrice ? mais c'est une truie mécanique !" Ce qui n'est pas très gentil pour les truies qui sont, certaines, de très bonnes actrices... Enfin, c'est une réflexion très bête...
Pour ma part et pour en revenir à notre propos, je préfère rien y mettre et garder le mot "Suisse" ou le mot "théâtre" vide de sens et large, vaste, comme une tache blanche - ou une boîte noire - pour y gambader, pour pouvoir y gambader en liberté surveillé. Oui, bien, parce que... on est en liberté surveillée, voilà où j'voulais en v'nir... Dans un théâtre on est en liberté surveillée. Un théâtre, c'est plus surveillé qu'une église, par exemple, ou un temple ou même une mosquée... Il faudrait bien sûr imaginer un peuple imaginaire, les Suisses, si j'voulais en parler, c'est toute la difficulté. Les Suisses sont un peuple imaginaire. J'essaie encore un peu avant de changer de sujet. C'est les gens, je veux juste les comprendre... Si j'arrivais à les photographier, à les aborder, à parler, à interviewer, ce serait tout bon...
Aujourd'hui, c'est jeudi. Contrairement à hier, les bars sont plein. Tout le monde semble dans les affaires, mais très chics, ceux qui sortent en tout cas. Les lounges, les bars, les restaurants sont bondés de gens comme je n'en connais pas, ni à Paris ni ailleurs et que je ne rencontrerai pas ici non plus. C'est la vraie vie... Celle qui me fait penser que : De quoi sommes-nous faits, nous qui allons dans les théâtres ? Nous, vous et moi, nous tous, nous sommes des marginaux... Alors qu'est-ce qu'on peut faire de cette marginalité ? Parce que c'est un fait, on peut lire les mêmes journaux, parler la même langue, mais nous ne sommes pas les mêmes, nous ne sommes pas mainstream, nous ne sommes pas dans les affaires... Jouer ou regarder du théâtre (puisque c'est la même chose) fait de nous des marginaux - ça vous fait plaisir, vous ?
Evidemment, dans le studio qui est est situé le long du Rhône mais au-dessus du restaurant, à partir de ce soir, plus question d'y dormir...
Peut-être que les Suisses ont une certaine connaissance de ce qu'on appelle la loi des compensations qui dit qu'il ne peut y avoir de progrès en bien sans progrès en mal et vice-versa, ainsi si les mines antipersonnel existent, il faut qu'existe aussi la croix-rouge... et vice-versa... C'est fatigant.
Il y a du bruit pour toujours dans le studio dans lequel je vis, toute la nuit est l'eau du fleuve, brillante et lustrée, sonore, l'encre de chine toujours vivante, jamais de début ni de fin, le vivant est un éternel écoulement.
Mon texte n'est pas fini, j'aurais dû le dire plus tôt : mon texte n'est pas fini.
En même temps - qu'est-ce qu'il y aurait à comprendre à la Suisse ? J'pourrais monte dans les Alpages et redescendre et j'aurais tout compris. Mais pourquoi tout comprendre ? (Sens : pourquoi pas ?)
Le train longe le lac. Il y a une courbe.
La France, pays frère.
Il y a des hautes fenêtres dans la salle peinte en noir... Je ne sais pas comment fermer les stores alors j'attends sans faim que la nuit tombe pour l'ambiance juste... Il est 17h21 et on sent un mouvement, déjà, de reflux... Quelqu'un qui avait laissé ses affaires passe les reprendre... Je l'interroge : il travaille sur une partition de souffle.
LIBEREZ POLANSKI, lente prière
J'ai vu Maya. Je suis allé au studio où je loge. Le studio est une grande baie vitrée qui donne sur le fleuve. Le fleuve, c'est le jeune et frais Rhône. En face, un hôtel sans doute : MANDARIN ORIENTAL.
Je descends au restaurant comme un grand.
Je sens des possibilités. A cause des gens. Ça s'ouvre. Le garçon me fait un cours sur la Suisse (j'hésitais sur le Tessin, dont il me sert un vin).
Je voulais aborder le mystère suisse, l'art difficile de ne presque rien faire.
"Not that I expect something bad", dit un jeune homme d'affaire en chemise blanche. Il y a des femmes aussi à une autre table, tout un groupe comme de campagnardes, mais ce ne sont pas des campagnardes, ce sont des Suissesses...
Il y a une langue qui circule qui parle à mon oreille natale...
Les profils sont beaux.
La passion d'être une femme.
La passion d'être un homme.
Chacun dans son monde - sauf pour l'amour (appelé aussi : la reproduction).
De nouveau dans le studio, il n'est pas dix heures, mais mes yeux se ferment, route et fleuve vont vers la même direction (vers la France)...
Première idée :
Les Suisses entretiennent une relation non violente, dépourvue de toute espèce d'agressivité avec la réalité et remplacent la frénésie de l'intervention active - style Sarkozy - par la disponibilité et le courage du laisser faire...
Je mélange ma préoccupation aux phrases d'un livre que je tente de suivre de plus en plus difficilement à travers la façade de mes yeux.
Le fleuve descend, descend toujours, comme un film qui ne s'arrêtera jamais...
C'est un peu la peur. L'Egypte. Je ne suis pas assez grand. La montagne, les animaux, la forêt, le froid, le fleuve, tout ça, je ne connais pas.
Le fleuve enchâssé, c'est une coulée de lave.
Les Suisses sont occupés à l'invention d'une curiosité : la démocratie. La démocratie est une contrefaçon. Alors les Suisses font avec cette violence qui s'appelle faire des affaires, c'est ça, le problème suisse - ou sa résolution - : et avec les affaires vient l'argent et avec l'argent vient la réalité.
Ils ne sont pas anarchiques, les Suisses, ils ne sont pas poètes pour deux sous. Il paraît qu'ils se disputent un peu sur tout entre les cantons, c'est le serveur du vin du Tessin qui me le dit, mais tout ça, c'est diversion...
Je me demandais si mon psychiatre n'essayait pas de me transformer en Suisse en me priant d'accepter les antinomies naturelles et de laisser la nuit et le fleuve décider pour moi.
Mais la Suisse a-t-elle une utilité ? A-t-elle autant d'utilité que toutes les actions du monde ?
C'est maintenant le matin, la ville et les bus sont réveillés, les voitures roulent dans l'autre sens, mais le fleuve va toujours vers la mer.
Il y a des hôtels sur la mer. Mais la mer ou le fleuve, ce n'est pas reposant.
Les femmes sont si différentes des hommes.
Je regarde celle qui donne le sein. J'en regarde tout un groupe, celle que je prenais pour la mère n'est pas celle qui donne le sein. Cette plénitude... (Mot chuchoté.) Les femmes seront toujours avec les femmes et les hommes avec les hommes. Chaque sexe agit dans sa plénitude. Ça n'a rien à voir avec l'homosexualité.
Au Pain quotidien : "On avait une charmante demoiselle avant, on a perdu au change... Non, vous trouvez pas ? Ah, oui..."
"Toi, on te dit de rester, et, moi, on me dit que dès que j'en vois passer un (Il fait mine de tirer au fusil sur des canards dans le ciel.) : poum, poum ! Tu vis dans un monde, c'est extraordinaire..."
"Au tremblement de terre qui a aplati une partie d'Haïti et endeuillé tant de familles répond un élan de sympathie émouvant qui réchauffe le cœur et l'esprit", écrit le fonctionnaire international dans "La Tribune de Genève".
Les incroyables et effroyables mystères de la vie et des papiers journaux qu'il suffit de regarder avec sourire... Tout se détache de la pellicule, si vous voulez, qui est une fine vitre. Il y a ce phénomène de la journée, avec ces bruits familiers, la porte qui s'ouvre, "Bonjour madame", les bruits des chaises sur le plancher, les bruits de vaisselle en cuisine, les bruits de la porte, de la caisse enregistreuse, le bruit de la conversation des comptables où l'un des deux hommes, seul, est audible (comme souvent), le bruit de la cuillère qui tombe / qui tinte sur le sol / sur le bol, des bocaux de condiments reposés sur la table, le scratch-scratch du poivrier, etc, "Bon appétit - Merci !..." Il faut glisser vers l'après-midi...
"C'est très simple à changer, c'est une question de donner l'instruction..."
(Césure.) C'est curieux que je vienne comme parler des Suisses aux Suisses. Est-ce que j'imagine un spectacle où un Suisse viendrait parler des Français aux Français... - pourquoi pas ? Il faudrait néanmoins un texte "grand", hein, comme le texte de Cioran, par exemple, c'est celui auquel je pense. Sinon si c'est pour dire des banalités... (Le spectacle, à ce moment-ci, semble aller vers sa panne. Puis reprise.) Il faudrait que j'établisse ce que le mot "Suisse" représente pour moi - et c'est un peu mal parti... (De nouveau panne de la parole puis reprise.) Disons... Ce que je peux dire peut-être de plus profond au cours de la soirée, c'est... que le mot "Suisse" représente pour moi le théâtre. Le mot "Suisse" est vide de sens exactement comme le mot "théâtre" et il se remplit comme un lac exactement de ce qu'on peut y mettre / de ce qu'on veut y mettre, nous, la société des hommes.
(Parce que les animaux s'en fichent de la Suisse, vous comprenez. Ils n's'en fichent pas du lac, mais de "La Suisse", oui.)
lls s'en fichent moins du théâtre que de la Suisse, les animaux, peut-être...
(Première anecdote - improvisée au micro sur pied.)
Il paraît, c'est Michel Faure qui me l'a dit, il paraît qu'il y avait une jument, ici, dans la black box, qui pissait toujours et exactement au bon endroit dans le texte. C'était arrivé par hasard sans doute la première fois, mais après elle a tenu à le refaire exactement au même moment, sur un mot... Une grande actrice.
(Seconde anecdote - improvisée au micro sur pied.)
Ça m'fait penser... parce que, cette mécanique apparente des animaux, c'est ça, être un grand acteur... C'est une anecdote, c'est Alain Cuny qui travaillait avec Claude Régy et y avait aussi Maria Casares, mais il ne s'entendaient pas du tout, Maria Casares et lui. Pendant tout le temps où ils ont répété et joué ensemble, au théâtre de Chaillot, ils ne se sont pas dit bonjour. Y avait en ce temps-là, c'était en 1970, un ascenseur pour descendre sur le grand plateau d'Chaillot et ils le prenaient ensemble sans se dire bonjour. Et donc au cocktail de dernière, Claude Régy, harrassé, qui avait failli rentrer à l'hôpital psychiatrique de toute cette tension dit à Alain Cuny : "Je n'ai pas compris c'qui s'est passé parce que comme vous aviez travaillé plusieurs fois ensemble, je pensais que vous appréciez cette actrice" et Alain Cuny répond de sa voix que je suis bien loin de pouvoir vous imiter : "Elle, une actrice ? mais c'est une truie mécanique !" Ce qui n'est pas très gentil pour les truies qui sont, certaines, de très bonnes actrices... Enfin, c'est une réflexion très bête...
Pour ma part et pour en revenir à notre propos, je préfère rien y mettre et garder le mot "Suisse" ou le mot "théâtre" vide de sens et large, vaste, comme une tache blanche - ou une boîte noire - pour y gambader, pour pouvoir y gambader en liberté surveillé. Oui, bien, parce que... on est en liberté surveillée, voilà où j'voulais en v'nir... Dans un théâtre on est en liberté surveillée. Un théâtre, c'est plus surveillé qu'une église, par exemple, ou un temple ou même une mosquée... Il faudrait bien sûr imaginer un peuple imaginaire, les Suisses, si j'voulais en parler, c'est toute la difficulté. Les Suisses sont un peuple imaginaire. J'essaie encore un peu avant de changer de sujet. C'est les gens, je veux juste les comprendre... Si j'arrivais à les photographier, à les aborder, à parler, à interviewer, ce serait tout bon...
Aujourd'hui, c'est jeudi. Contrairement à hier, les bars sont plein. Tout le monde semble dans les affaires, mais très chics, ceux qui sortent en tout cas. Les lounges, les bars, les restaurants sont bondés de gens comme je n'en connais pas, ni à Paris ni ailleurs et que je ne rencontrerai pas ici non plus. C'est la vraie vie... Celle qui me fait penser que : De quoi sommes-nous faits, nous qui allons dans les théâtres ? Nous, vous et moi, nous tous, nous sommes des marginaux... Alors qu'est-ce qu'on peut faire de cette marginalité ? Parce que c'est un fait, on peut lire les mêmes journaux, parler la même langue, mais nous ne sommes pas les mêmes, nous ne sommes pas mainstream, nous ne sommes pas dans les affaires... Jouer ou regarder du théâtre (puisque c'est la même chose) fait de nous des marginaux - ça vous fait plaisir, vous ?
Evidemment, dans le studio qui est est situé le long du Rhône mais au-dessus du restaurant, à partir de ce soir, plus question d'y dormir...
Peut-être que les Suisses ont une certaine connaissance de ce qu'on appelle la loi des compensations qui dit qu'il ne peut y avoir de progrès en bien sans progrès en mal et vice-versa, ainsi si les mines antipersonnel existent, il faut qu'existe aussi la croix-rouge... et vice-versa... C'est fatigant.
Il y a du bruit pour toujours dans le studio dans lequel je vis, toute la nuit est l'eau du fleuve, brillante et lustrée, sonore, l'encre de chine toujours vivante, jamais de début ni de fin, le vivant est un éternel écoulement.
Mon texte n'est pas fini, j'aurais dû le dire plus tôt : mon texte n'est pas fini.
En même temps - qu'est-ce qu'il y aurait à comprendre à la Suisse ? J'pourrais monte dans les Alpages et redescendre et j'aurais tout compris. Mais pourquoi tout comprendre ? (Sens : pourquoi pas ?)
Le train longe le lac. Il y a une courbe.
La France, pays frère.
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