L'art ne m'intéresse plus, voyez-vous, une société qui met Roman Polanski en prison - voyez-vous, pour ces petits cochons j'ai dû payer une assurance pour qu'ils ne mordent pas les spectateurs ou, s'ils les mordent, dans le cas où ils les mordraient - mais ça n'arrive jamais... Ça n'arrive jamais qu'il y ait des cochons sur scène et ça n'arrive jamais qu'ils mordent les spectateurs parce que ça n'arrive jamais qu'il y ait du théâtre et qu'il y ait des spectateurs, ça n'arrive jamais... On m'a demandé de parler du butoh, mais, voyez-vous, je vais vous parler des sorties de secours. Les sorties de secours sont de plus en plus grandes, elles augmentent chaque année, vous avez remarquez, je me disais pourquoi ne pas en faire une immédiatement de dix mètres sur dix plutôt que de les faire augmenter lentement en douce chaque année... Les consignes de sécurité augmentent chaque semaine, c'est chaque semaine qu'il faut ceci, qu'il faut cela, d'ailleurs les gens n'ont plus le droit de se réunir en public, c'est ça, la vérité, il s'agit d'empêcher tout rassemblement et toute pensée.
Pour parler de mon cas personnel, mais on n'en parlera pas longtemps parce que ce n'est pas la question du cas personnel, l'heure est beaucoup plus grave, l'heure est à l'heure de l'accueil que nous faisons à l'extrême-droite en lui définissant une société où elle n'aura plus qu'à s'enfiler comme dans des pantoufles. Notre seuil de tolérance a-t-il considérablement baissé ? Rêve-t-on d'une vie à emmerdement zéro ? L'ultra-droite est déjà là, elle est la société. Alors je voulais juste rappeler quelques banalités, tant qu'on ne me scotche pas le clapet, tant qu'on est soi-disant encore dans une société où chacun a droit de dire ce qu'il lui passe par la tête sans qu'on l'interpelle (à condition quand même que ce soit inoffensif), juste redire quelques banalités inoffensives : la société hait l'art, hait l'artiste et l'artiste toujours retourne cette haine en amour, je rêve d'un artiste qui mettrait le feu à son public. J'ai voulu qu'il arrive quelque chose au public, j'ai voulu qu'il arrive quelque chose à la société, j'étais jeune, c'était il y a six ans, j'ai fais trente-et-un spectacles, voyez-vous, les deux-tiers ne peuvent plus maintenant être repris à cause des nouvelles directives de sécurité... Voilà pour mon cas personnel.
Je passe maintenant la parole à Nicolas Moulin...
Nicolas Moulin, vous avez participé à un spectacle dans le noir, un spectacle qui ne pourrait plus se donner actuellement, vous avez écrit
Rose bonbon, vous avez demandé en 1977, dans une lettre ouverte, la libération de quatre prisonniers accusés d'avoir eu des relations consenties avec des mineurs sexuels, vous avez signé avec Bernard Kouchner, Jack Lang, Michel Foucault, Simone de Beauvoir, Gilles Deleuze, Roland Barthes, vous avez demandé leur libération. En 1977, vous avez demandé avec Michel Foucault, Jacques Derrida, Louis Althusser, la dépénalisation de toutes les relations consenties entre adulte et enfant de moins de quinze ans, ce qui pourrait choquer à notre époque. Vous avez été l'ami de Guy Hocquenghem, de Tony Duvert, de Gabriel Matzneff, de Frédéric Mitterand, de Vladimir Nabokov, de Jean Genet, de Gustave Flaubert, de François Villon. Humbert Humbert, professeur de littérature né à Paris, quitte l'Europe à la suite de plusieurs désillusions. Vous l'avez connu.
Nicolas Moulin, vous avez accepté dans un spectacle qu'un aspect de votre vie sexuelle, votre vie intime soit jetée en pâture au public, vous aviez donné carte blanche. Vous avez accepté que votre nom soit utilisé. Vous aviez juste demandé qu'on retire un détail concernant votre petite amie...
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