Bonjour Gwendoline !
Très peu de temps pour te répondre en ce moment, j’ai une première à Lausanne le 6 juillet et rien n’est fait… Peut-être peut-on trouver dans les mails que j'avais envoyés aux élèves un passage assez général pour convenir pour ici (le leur demander, alors, de le choisir).
Ce que je peux dire simplement
J’ai vu l’Ecole dans sa nouvelle version comme un atelier très riche, permanent, recevant les intervenants les plus doués du moment, autour de vingt étudiants choisis parmi des centaines, bref, un luxe fou : j’aurais aimé faire partie de cette vingtaine. J'en suis jaloux encore, l’école qu’on espère : une rêverie permanente et intense, sans faiblesse, sans dépression possible, sans états d’âme, mais une rêverie individuelle, mais portée, comme dans une troupe. (Bien sûr il y a des états d’âme (ce sont des comédiens et presque des enfants), mais il me semble qu’il n’y a ni complaisance ni cynisme ni temps laissé à ça, ça avance, ça ne stagne pas, chaque jour un matin.)
A partir de là, de cette bonne surprise d’être invité dans un cadre si porteur, tout a été facile. Tout était déjà intense quand je suis arrivé (au début de la deuxième année), tout était joyeux, talentueux, ambitieux, actif, alerte, diligent… Tout le monde était « là » dans cet espace de rencontre comme les gens se croisent dans le rêve d’un seul, étudiants et encadrement (vous, Laurent, Arthur), tout le monde réuni sur le même bateau — et ce bateau est bien sûr un théâtre en état de fonctionnement, en pleine santé, le meilleur et le plus vibrant de France : là aussi, luxe, jalousie, conscience d’être au bon endroit (je crois que c’est ça que j’enviais aux étudiants : d'être « au bon endroit »). C’est la force d’une école quand elle est projet, haute école, pas voie de garage ou d'attente.
Rien n’a été plus facile que de travailler au TNB avec vous et les élèves. Je n’ai eu qu’à partager mon expérience, ma jeunesse, je n’ai eu qu'à apprendre avec eux ; moi aussi, j’ai été élève.
Le lieu me plaisait, le Paradis (et son nom !), j’y avais déjà joué. Au Paradis, on joue sur les genoux du public, c’est parfaitement intéressant. Le gros plan. Et de dérouler les steppes et la longueur des jours et des nuits dans un si petit espace. Antoine Vitez, il faudrait retrouver la citation, disait que pour représenter le monde, il fallait le faire sur un tout petit théâtre (c’était au moment du Soulier de satin où tout se jouait, en effet, sur une scène réduite, un radeau entouré d'un vide qui figurait souvent la mer). Ainsi, tout ce qu’on pouvait faire entrer de large au Paradis, nous l’avons fait. Je suis reconnaissant à Laurent de m’avoir suggéré Tchekhov, l'immense auteur. Au départ, j’étais censé aller où je voulais, où le vent ou les élèves voulaient bien me pousser, mais j’aime beaucoup, en fait, répondre à des commandes, surtout quand elles sont suggérées (comme celle-ci l'a été).
Voilà une magnifique aventure — « aventure », pour moi, est proche du mot « promesse ». J’ai travaillé dans une réelle empathie avec les élèves qui sont devenus immédiatement ou peu à peu des amis. J’aimerais jouer toute ma vie ce J’ai menti au Paradis ou en tournée, vieillir avec, mais, comme le dit Peter Brook, « Dieu merci, notre art ne dure pas ». C’est parfois étrange, quand les choses sont belles, de ne pas les faire durer… Mais, Dieu merci, notre art ne dure pas…
Avec amitié,
Yves-Noël