P atrice Chéreau
Patrice Chéreau est un
mystère. Des amis à moi, très proches, l’aiment beaucoup. Et, moi aussi, je
l’aime beaucoup. Mais je ne sais pas d’où ça vient. L’image qu’il laisse de lui
est une réussite absolue. Et Jorge Luis Borges disait que, peut-être plus
important que l’œuvre écrite, c’est l’image que les écrivains laissent dans le public
qui est leur meilleure création. On l’aime pour son intelligence (mais
l’était-il tant que ça ? malin…) ; on l’aime pour son amour et son
acceptation du monde tel qu’il est (c’est vrai, tandis que, moi, je suis
toujours à me plaindre — je suis de l’école de Tanguy, de Régy, lui, non, de
l’école du fric) ; on l’aime pour ses amitiés, sa disponibilité, son
statut aussi, de « saltimbanque respecté », sa capacité de travail
aussi (mais… il avoue qu’il choisit de monter une pièce sans même l’avoir lue en
entier…) Bref, il est parfait
jusqu’au bout, jeune et sexy comme une star. Mais je ne voyais plus ses
spectacles qui ne m’ont jamais vraiment emballé, qui ne m’ont pas « changé
la vie », pas à moi, non. Ses films non plus, je ne les voyais plus, trop
de déceptions. Alors j’ai loupé certains des meilleurs, certainement. Je n’ai
pas vu La Dispute, évidemment. Si,
il y a une chose que j’ai aimée, c’est Intimity que j’ai vu à Londres. C’était aussi mal joué que le
reste, mais c’était en anglais et les scènes de sexe, dans mon souvenir, sont
très fortes, très belles. Comme acteur aussi, je l’aimais bien (toujours ce
« capital sympathie ») — ou lecteur de Dostoïevski… Tout le monde en dit
du bien, c’était déjà le cas avant sa mort, mais ça ne l’est pas moins depuis.
Là, dans ce TGV de Noël (je suis en première, je me suis fait avoir à la
réservation ou alors il n’y avait plus de seconde...), je lis Romain Duris qui dit
aussi que Chéreau lui a tellement appris. Tout appris. Son intelligence, sa
sensibilité, son écoute… je n’oublierai jamais… « Chéreau était capable d’écouter une heure et demie de
monologue et de relever un mot au milieu : « Ce mot-là, tu ne
l’as pas savouré, disait-il. Et il avait raison. » Le grand homme ! Chéreau ? Le mystère demeure, pour moi. Pourquoi ce crétin (d’après Duris)
a-t-il ce statut d’idole, la gloire, la joie de la réussite, peut-être, je ne sais pas, la simplicité de ça, de
plaire, d’avoir su plaire — et traverser les époques comme en ayant conscience
du surplomb de la vie... Même Marguerite Duras, je me souviens, n’aimait pas ce qu’il faisait, mais l’aimait, lui. C’est comme ça...