Au Mexique, il y a un dicton qui dit : « Celui qui s’énerve perd »
Je voulais me lever à l’aube pour faire des photos, mais j’ai ouvert l’œil, vérifié que l’aube – l’aurore – contre toute vraisemblance – avait encore lieu, une fois encore le soleil s’était sacrifié, dit-on, pour nous aimer, une fois encore le sang nécessaire n’avait manqué, les sacrifices avaient bien eu lieu, efficaces – mais je l’ai refermé (comme un diaphragme) et, quand je suis descendu de mon lit, repoussant d’un geste souple la moustiquaire précieuse, il était 8h25 et le soleil était déjà haut, la lumière était moche. Merde.
Mais j’ai vu l’oiseau-mouche, très, très, très mignon. Il est venu voir, lui, ce que je faisais (je pissais sur le tas d’ordure).
J’ai vu les bestiaux aussi, un gros bœuf en contrebas et, de loin, les chevaux et les ânes dans leur maigre champ – vaste champ, au contraire, mais à l’herbe maigre. J’ai vu le terrain de foot qui semble lui aussi servir de pâturage occasionnel. Nous ne sommes encore qu’au tout début de la saison sèche, mais l’herbe est déjà jaune et les animaux (à part le gros bœuf, privilégié, semble-t-il) d’une maigreur... élégante (je ne dirais pas efflanqués).
J’ai vu passer Manou qui, maintenant – je l’entends –, débarrasse les verres de tequila laissés hier soir sur la table avec la bougie encore active (je l’ai vue).
J’ai vu la piscine si belle, elle, à toute heure du jour et de la nuit.
Manou m’a dit que c’est la première chose qu’il ait construite – avant même la maison qui n’est pas finie – qui ne sera sans doute jamais finie – parce que c’est beau comme ça – la patine des pluies sur des murs peints à la chaux avant qu’on ait fait poser le toit, l’absence de portes sauf le seuil de la lumière – la valise vide, idéale –, la beauté des pièces rares de mobilier posées en plein champ – il a donc construit la piscine et, de la piscine, imaginait la maison. Il dirigeait les ouvriers. Un maçon du village, son fils, un jardinier.
La première chose que j’ai dite à Manou, dans la voiture, à propos de son club, le club qu’il a dessiné, le Man Roy, où nous nous étions trouvés la veille, vous savez, je ne sais pas si je l’ai déjà raconté – mais je ne peux pas tout raconter – le temps manque –, c’est : « C’est vraiment très réussi, très beau. J’ai aussi un point de comparaison, je dois dire, car je suis allé récemment à Paris dans un club similaire, de même ambition, El Silencio, dessiné par David Lynch, qui, lui, mon Dieu, ne paye pas de mine… » Il m’a répondu : « C’est drôle que tu me dises ça, il y a une revue qui est parue à Los Angeles qui montre une photo de chacun des clubs, comme ça, une page et l’autre et qui met sur celle du club de David : RATE et sur celle du mien : REUSSI. » Eh bien, oui. « David m’avait dit qu’il allait faire ça, il m’avait dit : ça va être génial… – Ah bon ? Eh bien, tu vas voir… »
C’est difficile de raconter ce que raconte Manou, tout ce que raconte Manou. Bien que, Manou, délicatement – et avec un sourire dans les yeux – m’ait dit, quand il m’a vu sortir mon carnet au début du voyage encore dans Mexico : « C’est free copyright tout le week-end », c’est difficile de raconter quoi que ce soit de ce que raconte Manou, on pourrait avoir l’impression d’inventer. Disons rapidement – car la dragée du soleil tient déjà haute la journée – que les ombres, les hologrammes de Leonard Cohen, de Dominique Isserman, de Christian Louboutin (c’était lui, sur le Nil), de Marguerite Duras (« L’Autre journal »), Hervé Guibert, Mathieu Lin..., Patrice Ché..., … de quelques tops model de New York (la grande époque)… de personnalités mexicaines que j’ai notées dans mon carnet (ne comptez pas sur moi pour le rouvrir), des soirées multiples à L. A. (Leonard n’y allait jamais et laissait les cartons), de soirées à Paris, de palais en Syrie, à Alep, en Normandie, de crimes au Mexique, d’amour de la vie… Manou a dit hier soir comme un secret : « Ma grande trouille, c’est pas d’mourir, c’est de perdre ma joie. »
Maintenant, Manou vient de m’apporter du café au lit où je suis retourné, allongé, pour vous écrire cette lettre.
Je suis dans la chambre Emiliano Zapata, une chambre tout ouverte (comme une chambre de Bernard Faucon) par l’amour et la lumière – et l’amour – et le souvenir maternel – je veux dire, de la mer – à cette époque de l’année, au Mexique, maintenant où j’y suis, à Mexico DF et dans cette région magnifique – dont je n’ai pas encore parlé – « C’est un peu notre Lub'… », dit Manou, avec ironie juste assez. « La bourgeoisie de droite (les cathos) va ailleurs, le week-end, près d’un lac un peu Léman, c’est plus froid, ils ont des chalets, ça leur rappelle la Suisse – mais la bourgeoisie de gauche, elle, vient ici…. » – la lumière est assez semblable à celle d’une très belle journée d’été en Bretagne, je cherche la mer (au bout du chemin), je crois que nous allons nous baigner souvent et je pense à ma mère, oui, heureuse dans son pays.
C’est difficile, le bonheur. Il est silencieux. On ne peut rien en dire. Et pourtant j’essaye, fastidieusement, de vous en parler.
Il faut bien s’occuper.
Dans quelque temps, on s’occupera ensemble de faire des merveilles pour la Ménagerie de verre.
C’est pour ça que je ne déprimerai pas en rentrant à Paris car je vous retrouverai.
« Je m’ennuie de toi extrêmement. De jour en jour j’attends de tes nouvelles – et comme elles n’arrivent pas, je t'en demande. Que fais-tu ? Que deviens-tu ? Que lis-tu ? »
La musique se remet, immense, à pleurer… C’est Kader qui est « responsable de la musique », il doit être éveillé… La musique se déploie, immense comme un drapeau, un cheval, la musique juive, partout dans toute la maison aux portes innombrables sans fenêtres qui semble immense sculpture de ruine et de ciel et de cette religion sans Dieu, peut-être, dont parle Edgar Morin, pour l’entendre, elle, LA MUSIQUE.
« C’est un vieux système de son Mackintosh 72, me dit Manou qui me rapporte du café – Kader et Virginie ne se réveillent pas – c’est le meilleur système de son que j’ai trouvé, j’ai tout en double, j’ai le même à Mexico. » Oui, c’est sublime, la résonance, pure résonance, plein ciel, la résonance est en plein ciel. L’eau, le ciel, la terre, la lumière, la musique. Sauver le monde, sauver les enfants, éjaculation faciale.
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