Wednesday, June 08, 2016

S ois sage



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Pour un processus destituant : invitation au voyage


« Aucune raison d’endurer un an et demi de campagne électorale dont il est déjà prévu qu’elle s’achève par un chantage à la démocratie. Formons plutôt un tissu humain assez riche pour rendre obscène la bêtise régnante, et dérisoire l’idée que glisser une enveloppe dans une urne puisse constituer un geste — a fortiori un geste politique.

Depuis quelques jours, on perçoit dans les cendres de la gauche quelques lueurs rougeoyantes : les réticences sur la déchéance de la nationalité française et l’appel à une primaire pour l’élection présidentielle à venir. Le malaise pointe, à force de voir l’exécutif s’aligner sur des positions de droite ou d’extrême droite. Ces intellectuels, ces militants, ces élus de gauche réclament « du contenu, des idées, des échanges exigeants », afin que le candidat à leur primaire « incarne le projet dont la France a besoin pour sortir de l’impasse ». Bref : ils veulent encore croire à la politique. Ils n’ont pas eu vent de la nouvelle pourtant retentissante : toute cette politique est morte. Comme sont morts les mots dans lesquels se dit la chose publique — la France, la Nation, la République, etc. Comme est morte la pompe institutionnelle dont s’entoure le vide gouvernemental. La politique a poussé son dernier râle l’été dernier là où elle était née, il y a plus de 2000 ans, en Grèce ; Aléxis Tsípras fut son fossoyeur. Sur sa tombe sont gravés ces mots prononcés en guise d’oraison funèbre par le ministre allemand de l’Economie, Wolfgang Schäuble : « On ne peut pas laisser des élections changer quoi que ce soit. » Voilà. Tout est dit. Et sobrement.
Refuser de faire le deuil de « la politique », appeler au contraire à « lui redonner du sens » voire à en faire « autrement », c’est spéculer sur des stocks de crédulité qui sont à sec, sur des provisions d’espoir décimées, sur des gisements d’illusions parvenus à l’étiage. Qui attend d’un ministère Montebourg, avec Piketty à l’Economie, et Rosanvallon à la Culture, qu’il nationalise le crédit, désarme la police, fasse cracher les multinationales ou calme la frénésie antiterroriste? Chacun sait bien qu’il ferait comme Tsípras, et bientôt Podemos. Car, c’est tout le cirque électoral, et la sphère publique où il s’étale, qui ont fait leur temps. Qui écoute encore les journalistes, en dehors des jours d’attentat ? Qui a cure de l’opinion des « intellectuels »? Qui se soucie, de nos jours, des déclarations des ministres? Imaginez qu’un Premier ministre ait cette phrase orwellienne: « L’état d’urgence, c’est l’Etat de droit ». Si quelqu’un prêtait encore attention à ses propos, on en plaisanterait encore au bistrot. Mais, tout le monde s’en fiche. Le vote FN et l’abstention de masse sont deux symptômes d’un système électoral rendu au point de rupture. Mais ces symptômes, il faut les lire depuis le dehors de ce système, depuis tout ce qui l’a déjà fui, depuis la réalité d’une désertion intérieure, diffuse mais vaste comme un continent. On prétend, sur la passerelle du navire, que ce continent n’existe pas. A peine admet-on l’existence de quelques îlots flottants — comme cette ZAD que l’on aimerait tant expulser.
Nous n’avons aucune raison d’endurer un an et demi de campagne électorale dont il est déjà prévu qu’elle s’achève par un chantage à la démocratie. Pour cesser de subir ce compte à rebours, il suffit d’en inverser le sens: nous avons plutôt un an et demi pour en finir avec toute la triste domesticité des aspirants chefs, et le confortable rôle de spectateur où leur course nous confine. Dénoncer, pourfendre, tenter de convaincre, ne servirait ici de rien. « Un monde de mensonges, disait Kafka, ne peut être détruit par la vérité, seulement par un monde de vérité » — plus vraisemblablement par des mondes de vérité. Nous avons un an et demi pour former, à partir des amitiés et des complicités existantes, à partir des nécessaires rencontres, un tissu humain assez riche et sûr de lui pour rendre obscène la bêtise régnante, risible tout ce qui se raconte dans « la sphère publique », et dérisoire l’idée que glisser une enveloppe dans une urne puisse constituer un geste — a fortiori un geste politique. A l’inverse du processus constituant que propose l’appel publié par Libération — car, c’est bien de cela qu’il s’agit — nous entendons amorcer une destitution pan par pan de tous les aspects de l’existence présente. Ces dernières années nous ont assez prouvé qu’il se trouve, pour cela, des alliés en tout lieu. Il y a à ramener sur terre et reprendre en main tout ce à quoi nos vies sont suspendues, et qui tend sans cesse à nous échapper. Ce que nous préparons, ce n’est pas une prise d’assaut, mais un mouvement de soustraction continu, la destruction attentive, douce et méthodique de toute politique qui plane au-dessus du monde sensible. »
« Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent / Pour partir, cœurs légers, semblables aux ballons / De leur fatalité jamais ils ne s’écartent / Et, sans savoir pourquoi, disent toujours : Allons ! » »

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E n cours


Photo François Stemmer

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J ouer comme Gérard, quatrième cours


« Mais le propre de l’écrivain est, en chaque œuvre, de réserver l’indécis dans la décision, de préserver l’illimité auprès de la limite et de ne rien dire qui ne laisse intact tout l’espace de la parole ou la possibilité de tout dire. Et en même temps il faut dire une seule chose et ne dire qu’elle. »

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U ne école de la liberté


On va se régaler avec ce cours. Il est très libre. Il va être très libre. Une école de liberté. Les lundi et les mardi, à partir de septembre, je serai disponible à une sorte d’entraînement régulier à… la liberté. Hier, au deuxième cours de préfiguration, il n’y avait que deux femmes cinéastes (documentaires) qui m’ont demandé si elles pouvaient « observer », un photographe que je connais qui m’avait demandé s’il pouvait faire des photos et un garçon qui s’est présenté comme un assistant à la mise en scène. Il n’y avait pas d’interprètes (ceux de la veille avaient déserté), que des observateurs. Rien à filmer, rien à photographier. Mais, en parlant, quand même, autour de la table, j’ai vu qu’il se créait assez facilement un espace. Le plein mois de juin par les vitres et les portes ouvertes. Kataline (Patkaï), la tenancière, avait apporté son La Vie tranquille (de Marguerite Duras) qui, lui aussi, se tenait disponible, vivant, fermé, posé sur la table. Beaucoup de réel dans ce café, surtout avec l’été, comme ça, autour. Grandes baies. Bande-son. Scènes. Je ne sais pas comment, j’ai compris que ces quelques personnes timides étaient la disponibilité-même. Elles ont alors fait de très belles choses. On a pris La Vie tranquille et on l’a lu. Mais c’était pas pour lire, ça, on s’en fiche. Le livre, gentiment, nous aidait. C’était pour vivre. Aujourd’hui, je suis dans un parc, je continue de regarder l’amour, la vie. Une statue, un buste de Frédérick Lemaître, comédien, 1800-1875, qui n’a pas l’air commode. Non, nous, c’était autre chose. Je lis Stig Dagerman : Notre besoin de consolation est impossible à rassasier. Dans ce parc. Il y a la fontaine de l’écluse, etc. Il y a un homme qui est arrivé là complètement bourré. Il m’a fait penser à Thomas Scimeca qui en aurait fait un peu trop : il a jeté sa veste au sol et il s’est agenouillé, au début comme pour prier, mais il s’est allongé au soleil et, torse nu, engrange la vitamine D qui me manque, à moi comme à vous, lui, libre comme Gérard. « Puisque je suis au bord de la mer, je peux apprendre de la mer. Personne n’a le droit d’exiger de la mer qu’elle porte tous les bateaux, ou du vent qu’il gonfle perpétuellement toutes les voiles. De même, personne n’a le droit d’exiger de moi que ma vie consiste à être prisonnier de certaines fonctions. » Hier, le livre, La Vie tranquille, était libre et les lecteurs étaient vivants. Oui, cet autre livre que j’ai sous les yeux, de Stig Dagerman, parle aujourd’hui de ce dont nous entreprendrons dans cet entrainement régulier intitulé JOUER COMME GERARD qui aura lieu au café Pas si loin, 1, rue Berthier, à Pantin, les lundi et mardi  à partir du 19 et 20 septembre et jusqu’au 19 et 20 décembre. L’horaire suivra la déclivité de la lumière (on utilise la lumière du jour). Alors, d’abord, en septembre de 18 à 21h et on arrivera sûrement en décembre à quelque chose comme de 13 à 16h (nous descendrons dans la lumière de manière à avoir cette lumière du jour de fin de journée toujours).

« Je soulève donc de mes épaules le fardeau du temps et, par la même occasion, celui des performances que l’on exige de moi. Ma vie n’est pas quelque chose que l’on doive mesurer. Ni le saut du cabri ni le lever de soleil ne sont des performances. Une vie  humaine n’est pas non plus une performance, mais quelque chose qui grandit et cherche à atteindre la perfection. Et ce qui est parfait n’accomplit pas de performance : ce qui est parfait œuvre en état de repos. Il est absurde de prétendre que la mer soit faite pour porter des armadas et des dauphins. Certes, elle le fait — mais en conservant sa liberté. Il est également absurde de prétendre que l’homme soit fait pour autre chose que pour vivre. Certes, il approvisionne des machines et il écrit des livres, mais il pourrait tout aussi bien faire autre chose. L’important est qu’il fasse ce qu’il fait en toute liberté et en pleine conscience de ce que, comme tout autre détail de la création, il est une fin en soi. Il repose en lui-même comme une pierre sur le sable. » Tout le monde — comme ici Stig Dagerman — parle la même langue.

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L e Réel et ses doubles


Puisqu’on parlait de Clément Rosset, l’écrivain avouait : « J’aime bien l’idée qu’il y ait quelque chose derrière le réel. Les choses sont des énigmes. Sinon les choses ne pourraient pas être si belles — je lui fait remarquer puisqu’il parle de papillons — ou peut-être était-ce Sébastien, plus tôt, qui disait qu’il avait eu vraiment du mal à expliquer « d’où on vient » à sa fille — que tous les animaux ne sont pas si jolis, quand même, je n'ai pas sous la main de noms d’animaux moches (il y en a plein), je dis : taupe, mais, les taupes,  c’est mignon quand même aussi… et l’écrivain avouait : « J’aime bien l’idée qu’il y ait quelque chose derrière le réel. Les choses sont des énigmes. Sinon les choses ne pourraient pas être si belles. Ce sont les épiphanies de Joyce. »

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P ied-à-terre



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P aysage


On va à Versailles en G7 pour voir l’expo d’Olafur Eliasson. Sortir de Paris. A un moment, après un échange que j’ai avec le chauffeur, D. me dit : « It is not an arrow » en détachant bien les mots. Je ne comprends pas l’intention. Je dis : « C’est le titre de l’exposition ? Ce n’est pas une flèche ? » Alors un silence et une grimace : ce qu’elle voulait éviter, que le chauffeur comprenne qu’elle parlait de lui : Ce n’est pas une flèche. Mais le chauffeur n’est peut-être à ce point pas une flèche qu’il n’a pas entendu l’échange ni en anglais ni en français ni les sous-entendus. Ou, alors, il a tout compris puisqu’il nous laisse en plan contrairement à l’accord passé avec D. Il parle d’un rendez-vous avec son cardiologue à 17h30, qu’il ne pourra pas nous attendre, il faudra commander une autre voiture.
Je suis ému une deuxième fois, plus tard, par cet homme aimable (c’est son métier) qui pense peut-être à son rendez-vous avec le cardiologue et qui va peut-être mourir. Voir un médecin, ce n’est pas bon signe

« oiseau aux ailes brisées »

« Je veux, pour composer chastement mes églogues,
Coucher auprès du ciel, comme les astrologues »

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Photo François Stemmer

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