Monday, October 13, 2014

N ote d’intention

     
« Pour moi, tout théâtre est danse. La danse commence avec l’immobilité et la conscience du mouvement dans l’immobilité. » 
(Bob Wilson)





Je ne peux (pas mieux) expliquer mon rapport au monde que par le poème. Tout mon théâtre est d’ordre poétique ; c’est même la raison pour laquelle il est accueilli par la danse ; c’est le poème qu’il danse, celui des lieux, celui des peuplements, celui de la présence au monde et de son absence. Quand on me demande sur quel(s) thème(s) je travaille, j’ai l’habitude de dire qu’il n’y a, au théâtre, qu’un seul thème qui est l’amour — de même que le poète (Stéphane Bouquet) dira que la poésie et le désir sont pour lui exactement la même chose. « La poésie est comme le désir, l’espérance d’une circulation universelle, d’un abouchement généralisé. Dans le désir, comme dans la poésie, on est appartenus autant, et même plus, qu’on s’appartient. Le mot grec Eros vient d’un verbe qui voulait dire « verser ». Par le désir, on se verse dans le monde ou le monde nous verse dessus ; par la poésie aussi. » Je vous ai envoyé par mail, j’espère que je n’ai oublié personne, tout un tas de liens vers quelques traces qui témoignent de mon travail voué à la perte, comme tous les arts vivants, voué à la perte, dédié même à la perte comme le formule Peter Brook : « Dieu merci notre art ne dure pas ». Quand j’ai cherché un nom pour l’association que je voulais former, je me suis dit que je voulais faire le contraire de ce qui se passait à la télé, l’épouvantable entertainment permanent qui nous ampute autant de la lucidité que de la possibilité de sa joie (reliée au tragique). Est apparu : Le Dispariteur (qui a donné aussi le nom d’un spectacle emblématique de mon parcours, l’un des plus appréciés, le spectacle sans technique aucune, pour moitié dans le noir total puis à la bougie, à la Ménagerie de Verre, en 2005-2006). Mon travail essaye d’être le plus inconscient possible. Il y a des stratégies pour rester le plus inconscient possible. Ne pas prévoir. Laisser venir les idées, mais ne pas les saisir. Saisir alors la dernière idée qui passe, au vol, la dernière dans l’espace faux, voilé de la « préparation » qui est aussi la première dans l’espace vrai, révélé de la « répétition » et, alors, s’y tenir car le premier geste sur le plateau est le bon et il n’y en aura pas d’autre. Il n’y aura pas d’« arrangements ». Le spectacle est excellent tout de suite — c’est peut-être difficile à faire comprendre, je ne sais pas, l’excellence, mais je vous assure que les interprètes savent ce dont je parle : faire confiance à ses intuitions — et se construit chronologiquement presque en temps réel. Attendre que les spectateurs, seulement eux, donnent le sens (j’aimerais souvent que les spectateurs soient présents dès le premier jour). Désirer rester au commencement, déconstruire ensuite pour rester au commencement. Chanter le commencement des choses créées. Mon travail s’essaye à rendre compte ou, disons, à s’approcher, à rester près du réel. Il tente au moins de dévoiler quelques rêves, d’en révéler quelques doubles (de ce réel), quelques miroirs. Charles Baudelaire : « Car je cherche le vide, et le noir, et le nu ! » La vaste unité que l’on ressent, nous tous, au fond, est productrice d’hétérogénéités. Surcharges électriques, éclairs de foudre. Effet surréaliste. « Tout Monde », comme l’a exprimé si bien Edouard Glissant, ce qui ne veut pas dire qu’il faut que les frontières soient abolies, non, au contraire, on veut les frontières, on veut la différence des saveurs, pas de saveur unique, mais on veut pouvoir traverser les frontières, passer de l’une à l’autre, traverser les apparences. Zébrures, violence, altérité, hétérogénéité : c’est de cela dont le réel — ou le vide, peut-être, qui est son autre nom — est le jardin et c’est cela aussi que mon travail célèbre, ce jardin du vide, jardin fleuri. Réceptacle, matrice, télescope, nuée. Surréalisme du réel, amoralité du sens. En ce sens, il m’importe de chercher à montrer — ou de décider — que tout — tout — est baigné du réel promis y compris la pensée, la rêverie, l’hallucination, l’intention, sans hiérarchie. Tout vit. « La folie est plus vraie que la vie », a dit aussi la célèbre impératrice d’Autriche.
Ce que j’essaye de vous expliquer ici l’est très laborieusement. Mon blog aussi (qui veut exprimer la même sensation), bien qu’au jour le jour, est malheureusement très fastidieux. Je ne sais pas écrire, je ne sais pas réfléchir, non, je ne suis bon qu’à travailler sur un plateau (« bon qu’à ça », comme l’avait dit Samuel Beckett pour son propre cas). Ce n’est que sur un plateau de théâtre ou avec les autres dans un studio de danse que je trouve — facilement et je ne sais par quel miracle — la fluidité rythmique qui permet d’avoir la sensation du geste : verser, se verser. « Eros, dit encore Stéphane Bouquet, est le dieu de la vie même. Il est couché de tout son long sur le réel. Il n’est que là : il ne faut à aucun prix s’élever même d’un seul mètre. » Voilà pourquoi je fais mes spectacles comme Coco Chanel avait dit qu’elle faisait ses collections : « sur les mannequins », à partir des personnes, à partir des interprètes et, de plus en plus, surtout à partir des lieux. Un autre poète l’exprime (de mémoire) : « La vie est une question de personnes et non de lieux. Mais, pour moi, la vie est une question de lieux : c'est là le problème ».
Mes projets sont liés à l'apparition-disparition de l'art dans la société. J'ai toujours voulu abolir les frontières factices de représentation, de piédestal. J'ai ouvert les portes des théâtres, j'offre presque systématiquement du champagne au public, et tout aussi systématiquement, je donne des représentations gratuites en avant-première — ou, quand c’est moi qui décide entièrement, comme au festival d’Avignon dans le Off : toutes les représentations le sont, gratuites —. Je me suis amusé à descendre dans l'arène du Off et à parader. J'ai joué hors des théâtres, beaucoup, dans des châteaux (Blandy, Montfrin…) dans une fontaine (Chamarande), dans des grottes (parc de Versailles…), près de lacs, dans des salons d’hôtels, des ruines chaudes. Rêves et réalités de plain-pied.
Gwenaël Morin me fait maintenant un immense honneur. Il a vu 1er Avril dans sa version des Bouffes du Nord et qui, là aussi, a été le poème du lieu, de même que Le Dispariteur a été le poème du lieu (rencontré pour la première fois) de la Ménagerie de Verre, ce genre de « garage » à l’acoustique si particulière. Gwenaël Morin a beaucoup aimé le spectacle des Bouffes bien que nos manières soient aux antipodes l’une de l’autre et qu’il ne saurait sans doute pas plus faire ce que je fais que je ne saurais, moi, faire son excellent théâtre. Lui, c’est le théâtre « par défaut », moi, c’est la danse « par défaut », mais il y a un point commun : ne pas se foutre de la gueule du monde, ne pas tricher et la conscience que le théâtre est l’art de la contingence, faire avec ce qui se trouve.
Mes spectacles et les siens : au service du monde.
« Troubadour », «  trouvère », cela veut dire : « celui qui trouve ». Cela veut dire alors que, dans nos métiers, on peut certes un peu chercher — pourquoi pas ? —, mais qu’il faut surtout trouver.
Permettez-moi de finir cet entretien avec Clément Rosset : « Il n’y a probablement de pensée solide — comme d’ailleurs d’œuvre solide, quel qu’en soit le genre, s’agit-il de comédie ou d’opéra-bouffe — que dans le registre de l’impitoyable et du désespoir (désespoir par quoi je n’entends pas une disposition d’esprit portée à la mélancolie, tant s’en faut, mais une disposition réfractaire absolument à tout ce qui ressemble à de l’espoir ou de l’attente). Tout ce qui vise à atténuer la cruauté de la vérité, à atténuer les aspérités du réel, a pour conséquence immanquable de discréditer la plus géniale des entreprises comme la plus estimables des causes. »
C’est ce que nous tenterons de ne pas faire, en 2015-2016, et particulièrement lors de cet accueil de quatre mois et plusieurs pièces au Point du Jour.

Yves-Noël Genod, septembre 2014




Envers et contre tout, y compris contre lui-même, ce que fait Yves-Noël Genod, c’est transmettre. Il prend un risque abouti, qui est celui de s’annuler dans l’acte même de « mettre en scène », dans un retrait qui est douloureux et enthousiaste.
Non pas parce qu’il s’agirait d’un joyeux laisser-faire, mais parce qu’il propose une véritable méthode d’émancipation. Donc on est, on reste accompagné : l’acteur, le spectateur, le chercheur savent, quand ils travaillent avec lui, qu’ils ne vont pas nulle part et qu’il ne revient qu’à eux d’accepter de recevoir.
Recevoir quoi ? Une parole didactique et poétique.
Didactique, oui, car Genod n’a pas besoin de faire grand chose, ou tout du moins de le « montrer », pour que l’histoire du théâtre, sa connaissance profonde, s’expriment à travers lui.  Transmettre des étincelles de traditions diverses...
Et donc poétique, car au-delà du matériau transmis, remis, on découvre cette BONNE FOI qui est le seul repli d’où une écriture peut jaillir, sans laquelle elle ne sort tout simplement pas.
On ne fait pas quand on ne croit pas que cela soit possible. Yves-Noël Genod n’est pas un rêveur : c’est un chercheur, un pédagogue et un poète qui ne se « minore » pas par fausse modestie, par idéologie, mais parce que la grandeur et la force doivent passer par l’autre, sans le nier.  Cette douceur peut nous faire violence car nous sommes éduqués à la nier.

Isabelle Barbéris, maître de conférences en Art de la scène et du spectacle vivant à l’université Paris Diderot, septembre 2014

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T itania


Antoine Trucchi

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B io


Yves-Noël Genod a fondé l’association Le Dispariteur en 2005. Auparavant, pendant les deux ans qui ont précédé, il a été hébergé par l’association Oro, de Loïc Touzé, qui a produit ses premiers spectacles (depuis En attendant Genod, créé en juin 2003 au festival Let’s Dance du Lieu Unique, à Nantes). L’activité s’est déployée sur une cinquantaine de spectacles assez rarement repris malheureusement (pièces de groupe pour la plupart) et un nombre beaucoup plus important encore de « performances », le terme de « performance », ici, n’étant qu’un pis-aller qui veut simplement dire que le manque d’argent et de temps in situ ne permet pas d'appeler cela « spectacle » (encore moins « grand spectacle »). Une foule de stages a été organisée, dont le célébrissime Jouer Dieu, à l’Hostellerie de Pontempeyrat (reconduit quatre fois), mais aussi dans des écoles comme celle du TNB (dirigée alors par Stanislas Nordey) ou bien à l’école de danse expérimentale Hüz, à Berlin, ou à la Manufacture, à Lausanne… Les spectacles sont résolument conçus à partir des interprètes rencontrés et des lieux proposés car, comme le dit Franz Kafka : « c’est là l’essence de la magie, qui ne crée pas, mais invoque ». Yves-Noël Genod ne se présente lui-même que comme un « distributeur » de spectacle, de poésie et de lumière, il n’invente rien qui n’existe déjà, il fait passer le furet, « passé par ici, il repassera par là », il révèle. En effet, pense-t-il, c’est ici et là qu’est la « révolution » : dans la redistribution des richesses accaparées. Son art a été qualifié de « théâtre chorégraphié » et est accueilli du côté de la danse contemporaine. Ce comédien vit très modestement à Paris. Célibataire, il prétend s’effacer derrière son œuvre qu’il désirerait n’être que trace infime, dérisoire, inutile, mais dans l’optique pascalienne qui dit que : « Nul ne meurt si pauvre qu’il ne laisse quelque chose »...

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U nder the skin


Anna Perrin

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M élange des genres


Vu un film sublimissime (Ingrid Caven, musique et voix, de Bertrand Bonello, le plus grand film de Bertrand Bonello que j'ai vu (et de loin, d’ailleurs), Ingrid Caven a un talent inouï, surnaturel) et un film de merde (Near Death Experience, où on voit des beaux paysages avec dedans Michel Houellebecq qui, pendant tout le film, essaye de se suicider et y parvient à la fin — très inquiet aussi pour l’ami qui me l’a tant vanté, cet opus : il ne va pas bien). Entre les 2 films, Jean-Luc Mélanchon, croisé à un anniversaire, m’a bien foutu le bourdon. Il a déchiffré le slogan du T-shirt de Théo Mercier que je portais par hasard : DU FUTUR FAISONS TABLE RASE. Gêné, j'ai fait profil bas...

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2 Acrobates



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