Wednesday, September 07, 2022

(Yvno dis-moi si ça va pour toi)

 

Qui a décidé que vous étiez poète?

« J’ai eu envie de t’écrire une lettre. Elle est venue comme ça, toute seule, l’envie de t’écrire une lettre… » C’est ainsi que commence une des lettres écrites par Yan Walther à son ami, l'immense comédien Yves-Noël Genod, une lettre qui parle de la Russie, du geste épistolaire, du poète et Prix Nobel de littérature Joseph Brodsky et d’un mystérieux starets… De cette lettre, Yves-Noël a fait une performance-lecture envoûtante, qui comme toutes ses interventions, questionne et donne à expérimenter le présent de la parole.

Durée : environ 40 minutes




Ton texte est très bien. C’est le mot « immense » qui est peut-être un peu gênant. Je veux dire, pas pour moi, pour le public qui viendra me voir. Ça se saurait si j’étais immense. On peut le dire de Luchini, de Depardieu, de tout un tas de gens, mais de moi ? Tu ne veux pas trouver autre chose ? Ou dire que c'est toi qui me considères comme immense. Ou idéal. Idéalité de la relation (de toi qui écris et de moi qui lis). Tiens, « idéal » serait déjà mieux, laisserait poindre de l’ironie, « l’idéal comédien YNG ». On peut supposer que le comédien idéal n’est pas immense, justement, mais discret, voire absent, voire complètement tarte… Je me souviens d’Eric Vautrin qui était venu voir La Recherche à l’Arsenic un soir où je n’étais pas très content de moi, j’avais eu l’impression de rater ce que je voulais faire, mais il m’avait bien remonté le moral : « Ah, ce n’est pas virtuose du tout ! Si c’était virtuose, ça ne marcherait pas… » Faut quand même une forme de modestie. C’est l’univers qui est immense… Comment dit Pascal ? Quand un homme s’abaisse, je le relève, quand il se vante, je l’abaisse… Ne m’élève pas trop. Je me souviens être aller voir, enfant, des comédiens de théâtre qu’on nommait « immenses » et les avoir trouvés complètement cons…

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« Toute forme est un fantôme puisqu’elle est la trace d’un moment »

Pierre Alféri

N.B. : possible qu'il l'ait piquée à Klee. Il l'a prononcée dans une émission très bien consacrée à la poésie de Klee… sur Fréquence Cul, of course




Ah oui, c’est bien !!!

Bisous, 

Yvnous

Et je lis maintenant (ça vient de Chine) la même idée : « [Ne] comprends-tu [pas] que ce qui produit les formes n’a pas de forme ? »

 

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D evise


« Apprends aux jeunes à être jeunes »

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Mon frère, comment vas-tu ? Comment va ta famille ?


J’ai recopié tout à l’heure d’une interview d’un philosophe français, Tristan Garcia, un passage qui formule assez exactement ce que je ressens dans ma vie personnelle et professionnelle. C’est la question de la paix. Et, hélas, de la guerre. Mais la guerre ne m’intéresse pas. M’intéresse la paix. Que j’essaye de célébrer, de reconstituer, la vraie paix profonde et généreuse…


Je te l’a donne.


(C’est moi qui ait mis en gras les phrases que je m’approprie.)


« Je suis — dis-tu — d’un tempérament plutôt irénique, je n’aime rien plus que la paix et je souffre de ce que sa victoire est toujours à terme sa défaite.

— Oui, je suis comme beaucoup de gens un enfant de la paix européenne. D’une paix qui aura duré assez longtemps, qui touche peut-être à son terme. Je crois que mon tempérament et ma forme de vie est irénique, aime la paix, aime l’irénée, mais je souffre, en effet, du fait que plus personne ne désire la paix, c’est ce qui définit notre temps. Y a un désir de guerre, tout le monde, dans tous les camps, en quelque manière, veut la guerre. Pourquoi ? probablement parce que, lorsque la paix dure trop longtemps, elle finit pas être le nom de l’état-même des choses. Et étant le nom de l’état des choses, « paix » finit par désigner aussi « inégalité », « domination », « hypocrisie »… — et la paix finit par apparaître comme un mensonge. Et dans ces cas-là, régulièrement (comme chez Jünger, hein), la guerre redevient une figure de vérité : au moins les choses sont claires, les camps sont clairs, le conflit et la ligne-même du conflit apparaîtront. A gauche dans ma famille politique, à l’extrême-gauche, on a vu revenir le désir de guerre — je me souviens de voir la Contribution à la guerre civile des gens de « Tiqqun » —, désir de l’affrontement, de la vérité de l’affrontement. Or, moi, je ne crois pas à la vérité de l’affrontement, j’ai jamais cru à la vérité de la guerre. Mon grand-père paternel a fait la guerre, j’ai ce souvenir qu’il était impossible de lui faire raconter des récits de guerre. Ça a été un héros de guerre, en fait. Il a eu la croix de guerre qu’il a toujours cachée, qu’il n’a pas voulu avoir (c’est mon père adolescent qui a écrit pour qu’on lui remette la croix de guerre). Et j’ai souvent ce modèle en tête. C’est quelqu’un qui a fait la guerre, qui, je pense, a été extrêmement courageux, mais a fait en sorte de ne jamais tenir de discours qui la rendent désirable, toujours fait comprendre à ses enfants, à ses petits enfants, que, quand la guerre est là, il faut la faire, y a pas d’autre moyen, elle est là, c’est comme ça, c’est un fait, mais il n’y a pas à la transformer en quelque chose de désirable. S’il y a vraiment un type d’homme dont je méfie en général, c’est le type d’homme qui rend la guerre désirable. Etant de tempérament irénique, je vois bien que la guerre est là et qu’elle sera là de plus en plus, qu’il faudra la faire, faudra choisir son camp d’une manière ou d’une autre, mais je ne veux pas rendre ça désirable. Donc j’ai juste l’espoir, par la littérature ou par la pensée — même si, moi, je dois, comme chacun de nous, choisir mon camp (nous devrons choisir un camp et il faudra s’engager) —, j’ai au moins l’espoir de penser pour préserver cet espace irénique, à défaut d’un espace utopique, un espace où reconstruire la figure d’une paix désirable. Voilà. » 


Donc j’ai juste l’espoir, par les spectacles que je propose, j’ai au moins l’espoir de spectacles rêvés qui préservent cet espace irénique ; à défaut d’un espace utopique, un espace où reconstruire la figure d’une paix désirable. Voilà.


Yves-Noël



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