Mon frère, comment vas-tu ? Comment va ta famille ?
J’ai recopié tout à l’heure d’une interview d’un philosophe français, Tristan Garcia, un passage qui formule assez exactement ce que je ressens dans ma vie personnelle et professionnelle. C’est la question de la paix. Et, hélas, de la guerre. Mais la guerre ne m’intéresse pas. M’intéresse la paix. Que j’essaye de célébrer, de reconstituer, la vraie paix profonde et généreuse…
Je te l’a donne.
(C’est moi qui ait mis en gras les phrases que je m’approprie.)
« Je suis — dis-tu — d’un tempérament plutôt irénique, je n’aime rien plus que la paix et je souffre de ce que sa victoire est toujours à terme sa défaite.
— Oui, je suis comme beaucoup de gens un enfant de la paix européenne. D’une paix qui aura duré assez longtemps, qui touche peut-être à son terme. Je crois que mon tempérament et ma forme de vie est irénique, aime la paix, aime l’irénée, mais je souffre, en effet, du fait que plus personne ne désire la paix, c’est ce qui définit notre temps. Y a un désir de guerre, tout le monde, dans tous les camps, en quelque manière, veut la guerre. Pourquoi ? probablement parce que, lorsque la paix dure trop longtemps, elle finit pas être le nom de l’état-même des choses. Et étant le nom de l’état des choses, « paix » finit par désigner aussi « inégalité », « domination », « hypocrisie »… — et la paix finit par apparaître comme un mensonge. Et dans ces cas-là, régulièrement (comme chez Jünger, hein), la guerre redevient une figure de vérité : au moins les choses sont claires, les camps sont clairs, le conflit et la ligne-même du conflit apparaîtront. A gauche dans ma famille politique, à l’extrême-gauche, on a vu revenir le désir de guerre — je me souviens de voir la Contribution à la guerre civile des gens de « Tiqqun » —, désir de l’affrontement, de la vérité de l’affrontement. Or, moi, je ne crois pas à la vérité de l’affrontement, j’ai jamais cru à la vérité de la guerre. Mon grand-père paternel a fait la guerre, j’ai ce souvenir qu’il était impossible de lui faire raconter des récits de guerre. Ça a été un héros de guerre, en fait. Il a eu la croix de guerre qu’il a toujours cachée, qu’il n’a pas voulu avoir (c’est mon père adolescent qui a écrit pour qu’on lui remette la croix de guerre). Et j’ai souvent ce modèle en tête. C’est quelqu’un qui a fait la guerre, qui, je pense, a été extrêmement courageux, mais a fait en sorte de ne jamais tenir de discours qui la rendent désirable, toujours fait comprendre à ses enfants, à ses petits enfants, que, quand la guerre est là, il faut la faire, y a pas d’autre moyen, elle est là, c’est comme ça, c’est un fait, mais il n’y a pas à la transformer en quelque chose de désirable. S’il y a vraiment un type d’homme dont je méfie en général, c’est le type d’homme qui rend la guerre désirable. Etant de tempérament irénique, je vois bien que la guerre est là et qu’elle sera là de plus en plus, qu’il faudra la faire, faudra choisir son camp d’une manière ou d’une autre, mais je ne veux pas rendre ça désirable. Donc j’ai juste l’espoir, par la littérature ou par la pensée — même si, moi, je dois, comme chacun de nous, choisir mon camp (nous devrons choisir un camp et il faudra s’engager) —, j’ai au moins l’espoir de penser pour préserver cet espace irénique, à défaut d’un espace utopique, un espace où reconstruire la figure d’une paix désirable. Voilà. »
Donc j’ai juste l’espoir, par les spectacles que je propose, j’ai au moins l’espoir de spectacles rêvés qui préservent cet espace irénique ; à défaut d’un espace utopique, un espace où reconstruire la figure d’une paix désirable. Voilà.
Yves-Noël
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