C omment devenir « atteignable »
L’activité de lire est la plus curieuse que je connaisse, au fond. Elle a à voir avec la distraction. La plupart du temps, dans la vie (en tout cas, la vie d’une chômeuse sans enfants, sans parents), on est distrait. Mais, là, c’est comme si on mettait cette distraction animale dans un chemin, sur des rails, sous un joug : accepte, apaise-toi, lis ce que l’autre t’a écrit — et, pendant un moment, pendant le temps de ta lecture, le livre sera Dieu pour toi, tu feras tout ce qu’on te dira, tu iras, tu deviendras Dieu à ton tour. Je veux dire : à son image — tu obéiras à Dieu et Dieu t’obéira, c’est comme ça que je vois les choses. J’ai commencé Rabelaïre dans la grande bibliothèque. Le risque est important que je n’aille pas jusqu’au bout. 1039 pages — et je lis lentement. Mais, ce que je veux dire, c’est que, quand je lis, je suis qqpart ; je ne suis pas perdue, qqn me guide, qqn que je ne connais pas, mais qui est là, presque vivant, presque en chair et en os — en conneries aussi car les auteurs contemporains essayent de mettre aussi leur connerie dans les livres, parce qu’ils ont un doute sur leur intelligence (sans doute sur l’intelligence en général). Parfois, à la grande bibliothèque, dans l’apaisement du soir, du long soir à travers les vitres silencieuses, je pense qu’il suffirait d’un rien pour que je sois heureuse. Une décision de rien. Le mot n’est pas tout à fait juste, « décider ». Une grâce, plutôt, pas une décision personnelle. Mais, non, il y a le réel. Et en faire sa joie, du réel, n’est pas donné à tout le monde. Ça peut-être un long apprentissage, parfois ça ne se trouve — comme pour ma mère — qu’à la toute fin de la vie, le réel. La grâce, je disais… Il faudrait que je lise les Écrits sur la grâce, de Blaise Pascal. La faute d’Eve et d'Adam, ok. La lecture produit comme un début de journée, mais, déjà, « LA BIBLIOTHEQUE VA FERMER DANS 30 MN », l’annonce me surprend — en pleine forme
Regarder sa vie comme si elle était finie
Regarder sa vie comme si elle était rêvée
Regarder sa vie comme « fin de journée »
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