Objet : retour d’expériences
Cher Yves-Noël Genod,
Je n'avais vu que Rien
n'est beau… et j'attendais la suite
que j'ai ratée chaque fois (ayant été informée trop tard, c'est-à-dire
après-coup). D'autant plus que je ne vais plus au théâtre, que j'aime de moins
en moins, je crois. La supériorité de la scène ne me sied pas, la lumière, la
surexposition, l'arrogance de la fiction qui s'y jouent.
J'ai vécu très fortement
cette Expérience : Jeanne Balibar venant parmi nous écouter et regarder sa
propre (double) absence, le fantôme de Barbara et le sien, sa communauté avec
nous en témoins que vous mêliez.
Je le garde comme un point
summum, comme certain moment de Régy (mais chez qui je me sens très otage), ou
de Bel (avec un air plus sarcastique et maniant les degrés). Il y avait quelque
chose de métaphysique, d'une grande simplicité dans ce renversement, un
déplacement qui créait un espace nouveau. Plus les animaux.
J'essaie de (j'aimerais)
faire ça aussi quand j'écris.
Dans Zelda, l'Expérience fut celle du noir. Dans le noir total,
je suis aussi claustrophobe que dans un ascenseur bloqué, le noir total
(interdit au théâtre comme le silence total à la radio) est comme une noyade
que j'ai cru ne pas pouvoir supporter. Mais à mesure que vous disiez en
semblant les chercher les mots, une profondeur de champ se formait dans le noir
qui m'avait paru d'abord une opacité de couvercle. Vous dîtes extrêmement bien
(j'aimerais un jour avoir l'occasion de vous demander de lire quelque
chose).
Il m'a semblé que mon
rapport à l'obscurité totale en serait à jamais changé. Comme si un nouveau
sens avait émergé, cataire (je
viens de trouver ce mot, qui tient du chat).
Bonne continuation à vous,
Judith Elbaz
— Oh, comme ça me touche que
vous m’écriviez ! et de vous imaginer à regarder mes spectacles !
J’ai transmis aussi à Jeanne Balibar (qui est à Berlin, je crois, en ce moment)
parce que c’est vraiment beau, ce que vous dites de ce moment que j’adorais
aussi, mais dont peut-être personne ne m’avait encore parlé — ou je ne me
souviens plus, c’est plus vraisemblable. Je peux dire que les compliments me
touchent toujours, mais que ceux qui font référence à des événements passés —
comme si ces choses pouvaient rester,
me bouleversent… « Dieu merci notre art ne dure pas », dit, en vieux
sage, Peter Brook, mais qu’il continue dans l’esprit de quelques personnes
dépositaires, évidemment c’est la récompense…
Vous êtes dans la liste de la
newsletter, désormais, vous devriez en rater moins… Prochaine étape parisienne,
notez-le, en avril, du 1er au 12, aux Bouffes du Nord, et le
spectacle s’appelle 1er avril, c’est facile…
Avec très grande amitié,
Yves-Noël
Merci pour le mot
« cataire » que je ne vais pas cesser d’employer moi aussi !
Tiens, Jeanne, je te
transmets une lettre d'un écrivain dont j'avais beaucoup aimé le livre Le
Mouvement en montagne. Elle parle
bien de ce que tu faisais dans le butoh, je trouve... Ça me permet surtout de
t'embrasser bien fort, je t'imagine tout ce temps à Berlin avec Castorf selon
ce que tu m'avais dit (si je ne me trompe pas) — dis, tu le dirais si tu jouais
à Berlin, dis ? car c'est moins cher que d'aller à Bruxelles, alors...
Je t'embrasse,
Yvno
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