Sunday, March 01, 2009

La chronique de Gérard Mayen (« PREF »)

Danse


Yves-Noël Genod : FICTIONS DE FRICTIONS

Est-ce que Claude Régy – le docte, austère et lumineux metteur en scène – a une grosse bite ? Est-il vrai qu’il aime faire l’amour sur les plages sauvages ? Mais pour commencer, est-ce bien la question ? À ce stade, un avertissement : toutes les lignes qui vont suivre sont suspectes d’inexactitudes. Elles parlent d’Yves-Noël Genod. Lequel fait de sa vie une fiction.



Yves-Noël Genod : un maître de l’autofiction. Étourdissant. Vite assimilé par la vulgate médiatique, l’art de l’autofiction est très souvent mal compris. Confondu avec l’autobiographie ; avec laquelle il n’a pourtant rien à voir. Ce que traque l’autofiction, c’est la frange du doute, où le sujet s’observe, devient acteur séparé de lui-même, compose sa vie en inventant ses vérités, assume que ses faits ont les dimensions de récits, les teintes du rêve, la brûlure du désir. Par l’autofiction, la force du langage, discursif ou gestuel, recouvre tout son potentiel performatif. L’autofiction produit la vie. Ne la relate pas. Invente, brode, dérive et interprète ; parce que toutes ces opérations sont le propre de l’être.

Studio pourri, vide et murs rapeux

« Surtout n’hésite pas à inventer » indique d’emblée Yves-Noël Genod en répondant à une interview. De toute façon, il s’en charge très bien lui-même. Pour toutes les raison évoquées ci-dessus. Et tout est beaucoup plus joyeux, riche, inventif – pardi – comme ça. Claude Régy dans cette affaire ? C’est en découvrant une de ses pièces sur scène, qu’Yves-Noël encore tout jeune décrète que « tout était de la merde, sauf ça ». Il y avait bien, quand même aussi, Pina Bausch. « Mais moins atteignable encore ». Régy le sera, qui lui propose un rôle dans Ivanov, à la Comédie-Française.
Genod monte à Paris. Entame sa vie d’artiste. Fréquente notamment Marguerite Duras. S’étourdit surtout de la sensation « de vivre dans une ville qui serait intégralement homosexuelle ». Lui qui avait passé sa jeunesse en province, à se « faire traiter de tapette ». On connaît le scénario de la liberté : tout le fric pour acheter des fringues de luxe, « des Issé Miyaké, des Yamamoto qui, sur moi, faisaient misérables ; et le studio pourri, vide, les murs râpeux ». Et ce que Duras décèlera en lui, et décrira en ces termes : « une sainteté aride, complètement solitaire, et probablement sans lectures, sans rites, sans messe, uniquement accompagnée de solitude, et d’une solitude terne. Voilà. »
Yves-Noël n’est pas physique, mais « solitaire métaphysique ». Du théâtre, il bifurque vers la danse, « pour ce problème d’être mal incarné ». Et finit par s’inventer en « dispariteur », intitulé générique de son projet d’artiste. La disparition : « Faire les choses le plus inconsciemment possible », au plus proche de l’intensité flottante de la vie. Combattre tout art qui voudrait avant tout apparaître, s’afficher, se fixer. Focaliser sur ce mouvement qui fait que disparaît instantanément ce qui vient de se révéler. Tel le mot forcément tu aussitôt que prononcé. Ou le geste effacé aussitôt que tracé. Dès lors passés à la mémoire, au rêve, à la déduction. « C’est la vie aussi ». Ou la fiction. Comme on voudra.

Un tourbillon de style dont les plus improbables

Le Dispariteur a créé ainsi vingt-cinq spectacles différents ces cinq dernières années. Des spectacles jamais repris. Jamais tournés. Des spectacles que les interprètes jouent sans toujours savoir ce qu’ils sont. Dont les derniers filages tiennent lieu de premières. Fabriqués dans le lieu de leur commande, au rythme de la circonstance, avec les artistes partenaires de la situation. Aussitôt écrits, aussitôt joués. Rapides. Enflammés. Drôles. Massacreurs de codes, déconstructeurs des évidences, brûlés à la répartie, calaminés de citations, passionnés de culture. Pour leur auteur « ces cinq années ont duré des décennies. Ce fut une incroyable accélération ». Tout cela libérant un tourbillon de styles, dont les plus improbables. Ponctué de succès magnifiques, et de ratages non moins sublimes.
En 2003, le premier s’appelle En attendant Genod. Captez le Beckett qui rôde sous ce one-man-show. L’artiste a tant livré d’histoires gay sur le divan, qu’il lui faut en faire spectacle. Etant entendu que « l’homosexualité est une maladie ». Mais est-ce Genod qui le pense, ou le Genod autofictionnel, et donc son personnage ? Son psychanalyste aurait tranché : « Puisque l’homosexualité vous fait tant souffrir, c’est que vous ne l’êtes pas ». Soit. Mais elle le fait tout autant rêver. Et se réjouir. Rire. Merveilleusement. Une homosexualité au cœur de tout son art. Ce qui vaut bien un portrait dans « Pref ». « Cette histoire compliquée est quand même le problème de ma vie ; mon obsession ». Comme une homosexualité « qu’il serait dommage de laisser aux seuls homosexuels ». Bon, « une bite hétéro, c’est quand même plus beau qu’une bite homo ». Éclats de rire. Tout comme « coucher entre hétéros, c’est super excitant, pour l’amitié, pour la rigolade, même s’il manque un truc ».
Tiens, Genod vient de se séparer de sa femme l’avant-veille. Jure-t-il sur le ton de la confidence. Tiens, il est tombé amoureux d’un blog, d’une écriture, d’un mec. Amoureux fou, ébloui, promet-il, sur le ton de la malice. Coucherait avec l’auteur de cette écriture. Ce qui ne saurait durer trop longtemps. Parce que quand même… Alors il fait passer le message. Quasiment une P.A. : « J’aimerais qu’on me trouve une femme qui soit, qui ne soit pas, enfin pas servile, mais quand même serviable. Voilà le problème, partout, ce foutu rapport de domination. C’est quand même insupportable de mener une vie décidée par une femme ».

Un corps n'est pas un corps, mais de l'affection

En attendant, Yves-Noël déshabille volontiers certains de ses acteurs/danseurs sur scène. « Comme ça, ils sont beaux et désirables. Quand je travaille, sans jamais coucher avec mes partenaires de scène, je n’ai d’autre libido que la scène que je travaille ! ». Ces garçons nus sont bruts, urbains, charnus. Tant « un corps n’est pas un corps, mais de l’affection, de la personne, de l’être. Et puis surtout, de la présence ». De la présence, dont il espère qu’elle témoigne de comment ces partenaires « sont bien, détendus ». Après tout, « chez le danseur, comme dit Angot, le corps est plutôt un défaut. Il faut le maîtriser, l’adapter, le conformer à des objectifs ».
Ces garçons nus, là, simplement, sont extraordinairement troublants. Ne cherchez pas : « C’est que ce sont des hétéros, qui jouent les homos, car au fond, chez tout artiste qui joue, il s’agit de séduire les spectateurs, donc y compris les mecs qui se trouvent dans la salle ». A en croire Genod, « pardon, c’est mon côté réac, conservateur », un hétéro jouant un caractère homo sera toujours plus convainquant que l’inverse. Ce qui ne l’empêche pas d’assurer « avoir fait tant et tant de spectacles à la gloire du travestissement, de la beauté homo, du raffinement, et du foudroiement du désir pour un mec ».
N’est-il pas tellement difficile d’être un mec, quelque chose d’aussi « composé, construit, interprété, qu’une femme ». C’est comme entre danse et théâtre. On aimerait que « tout soit fluide, circule, sans jamais s’enfermer dans des catégories morbides. On aimerait être bi, et mieux, tri, ou quadri. N’empêche, ces catégories existent, travaillent ». C’est un tissu, un feuilletage. Rien ne doit s’arrêter. Le génie de Genod est de trop bien savoir, splendide, qu’il ne sait pas où il est.



Yves-Noël Genod créera son nouveau spectacle du 14 mai au 6 juin 2009 au Théâtre national de Chaillot.

Love Streams

« À peine le train était-il parti qu’on demandait un médecin. »

Je suis dans un train : aussitôt je me calme. Aussitôt je voyage, je voyage partout, par les mots, par la lecture, par les paysages. Je ne suis pas malheureux de ne pas m’arrêter parmi les champs et les pierres, j’aime la vitesse. La saison est grise, faible, vivante (l’amour de la terre pour la vie, pour la lumière). Le garçon à côté de moi (qui n’a pas enlevé son blouson) « compte et colorie les différentes formes » (carrés oranges, ronds bleus, six carrés, sept ronds). Les triangles rouges, les rectangles roses, le château devient superbe. Un immense coloriste est assis à mes côtés. Il pourrait signer son œuvre. On pourrait l’employer pour colorer le monde. Le travail des enfants. Aie ! il se met à remplir (d’orange) les espaces blancs restants, c’est moins beau. Il ne connaît pas le conseil de Picasso : « Achever un tableau, c’est l’achever. » Puis de rose la porte restante (il est vrai rectangulaire). Du coup on ne pourrait pas l’employer pour des bâtiments, mais pour les photos de David Lachapelle, oui. À peine achevé le coloriage, il s’en désintéresse, passe à un nouveau jeu, une nouvelle page – un chef-d’œuvre par quart d’heure. « Un poème ne peut s’articuler dans aucune langue. », qu’est-ce que tu veux dire avec une phrase pareille ? Tu veux dire… On voit ce que tu veux dire ! Si on ne devine pas sous ce qui s’écrit, ce qui se publie – la possibilité pour la parole « de se rendre aussi riche que l’instant », ça ne sert à rien. Et je n’accuse pas les auteurs, là (ces inconscients), je pense plutôt que c’est une possibilité de lecture. Cette conjoncture de données futiles expose à une telle présence de l’infini. Une parole-miracle. La camelote d’une œuvre ouvre – peut-être – sur un cri – le cri à l’intérieur du langage, ce qui détache celui-ci de son vieux commerce avec la subjectivité. Comme la terre est plate, nouvelle (et ronde, nous l’entendons – tout cela nous occupe assez peu) dans cette région du monde, « occidentale » ! Évoluer dans une pure écoute. « Mets les voyelles manquantes dans la grille pour compléter les mots de Noël. » Le fluide de vie et de mort. Les clés pour tout ouvrir. L’animal montre les dents – nouvelle parole. « Une flaque de sang s’écoule sous la porte ; elle accompagne chaque époque jusqu’à sa fin. » (Guy Voltaire.) « Nous déchirons, vent furieux, le linge des nuages et des prières... », « Les derniers jours vont croissant, ils ne finiront pas. », c’est ce que je lis à côté du garçon, sept ans (et demi) qui s’appelle Gaétan. Une lanterne éclairée en plein jour – la crétinerie – réseau pour rien. Puis l’enfant à qui j’avais demandé son prénom me dit : « Le, c’est pas attaché à Brisse. » (Dans la barbe.) – Pardon ? – Le, c’est pas attaché à Brisse. – Qu’est-ce que ça veut dire, Le Brisse ? – C’est mon nom. – Ah ! Non, je n’ai noté que ton prénom. » (Suivant ainsi le précepte de Pierre.) « – Monsieur, là, c’est un l ? – Alors, « Utilise un miroir pour épeler les noms des personnages. », oui, je crois que c’est un l. » POLICIER. « MAÎTRE… oui, c’est bon – et, après, t’as du mal à trouver ? – Non : NAGEUR. – Ah, oui, c’est ça, parfait. » Vider la mer, effacer l’horizon, désenchaîner la planète de son soleil. « C’était embêtant de colorier tout l’temps. (...) Il s’appelle Théo. C’est l’frère de Rémi. Il est derrière, Rémi. (...) Moi, j’habite à Gouffre-ville, c’est pas loin du Havre. (...) Non, là, y a un n. – Ok, ok. Gonfreville. »

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