I t takes a man to suffer ignorance and smile
J’ai le féminisme en horreur. Mais, quand je dis ça, on me dit : « Il y a des féminismes ». C’est vrai. Le féminisme dont j’ai horreur, c’est évidemment le pire, celui qui ne doute pas. Le fasciste. Marguerite Duras disait : « Un militant, c’est quelqu’un qui ne doute pas ». Et, moi, je clame comme Anne Sylvestre : « J’aime les gens qui doutent* ». Je suis épouvanté par le fascisme de droite et par celui de gauche. On peut être de gauche et ne pas être d’extrême-gauche. Cette phrase certes d’une grande banalité ne s’entend plus. C’est l’imaginaire de la guerre. En découdre. Prendre le pouvoir. Moi, je suis un homme de paix et je ne veux surtout pas prendre le pouvoir. Je ne suis pas gnostique comme Pacôme Thiellement (un isme de plus), mais je suis touché par les compagnons de Jésus qui au cours des siècles ont tendu l’autre joue quand on les giflait**. J’aime les minorités, les opprimés, mais je ne vois pas l’intérêt que les minorités deviennent des majorités, que les opprimés deviennent oppresseurs. C’est pourtant le mouvement du monde, progrès, répression. Mais j’en veux, justement, à ceux qui répriment, qui freinent ce progrès du monde — et que je nomme « fascistes ». Les fascistes, militants de droite ou de gauche, ne font avancer aucune « cause », ils n’avancent que la destruction. Ce sont des dangers publics. On vit une époque stupide ou plus tu es stupide et agressif, plus on t’ouvre les portes du pouvoir, institutions et médias. Je me console en me disant que l’époque Mao — que je n’ai pas connue, mais qu’on m’a racontée — devait être aussi épouvantable que celle que nous vivons (elle l’était !) Le « sens de l’histoire », c’était d’être en adoration du plus grand dictateur de tous les temps (en millions de morts). Qu’est-ce qu’elle a apporté, l’époque Mao ? Rien. Sauf, c’est vrai, à ma connaissance, deux livres sublimes de Leslie Kaplan, L’Excès-l’usine et Le Livre des ciels que j’ai lus et relus mille fois et celui de Robert Linhart, L’Etabli. Donc on ne peut pas dire rien. Mais ce qui a été écrasé est infini. Je hais le féminisme, mais je soutiens les féministes quand elles s’aperçoivent que la méthode n’est pas la bonne. Tout le monde peut s’en apercevoir. Tout est faux dans le féminisme de vengeance et c’est très facile de le démontrer. Virginia Woolf l’a fait dans Une chambre à soi. Transformer les femmes en victimes et les hommes en prédateurs, ça ne devrait même pas atteindre le cours préparatoire ! Une fois, il y a eu dans « Libé » une interview (fleuve, comme toujours) d’une féministe étasunienne qui terminait par ce constat : « Depuis ces dizaines d’années que nous nous activons, comment se fait-il que le nombre de viol sur les campus n’ait pas diminué ? » C’était un moment de lucidité. Malheureusement, la militante a poursuivi en disant : « Qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire qu’il nous faut continuer et continuer encore ». Non, ça veut dire que la méthode n’est pas la bonne. La méthode, c’est l’humain. J’ai été élevé par deux mères de substitution, Marguerite Duras et Nathalie Sarraute (excusez du peu) qui avaient le féminisme en horreur. Déjà. Alors, le féminisme de maintenant, le féminisme « radical », vous pensez bien ! Marguerite Duras disait (toujours avec sa confiance en soi supérieure) : « Quand j’écris, je suis tout ». Et Nathalie Sarraute (moins fanfaronnante) disait : « Quand j’écris, je suis neutre ». Et c’était une époque aussi où les hommes disaient qu’ils étaient des femmes. Qui le dit maintenant ? Quand le mouvement Metoo a commencé (en France sous le nom Balancetonporc) en octobre 2017, j’étais en train de travailler sur Oscar Wilde et j’ai tout de suite vu la résonance. Ce qui est arrivé à Harvey Weinstein est exactement de la même nature que ce qui est arrivé à Oscar Wilde. L’essentialisme est une horreur, un fascisme. Me terrifient les gens qui veulent changer le monde, c’est toujours pire après leur arrivée au pouvoir — et si jamais l’humanité progresse, c’est certainement malgré eux ! Je préfère les artistes, ceux qui ne veulent pas changer le monde, qui le célèbrent, le monde vivant, tel qu’il est et tel qu’il nous dépasse. Vacances dans la réalité, comme dit le titre d’un poème. Ou cette phrase de Goethe : « La vie est belle, quelle qu’elle soit ». Il est vrai qu’elle a été prononcée dans un temps d’avant la disparition des espèces (ce n’était pas alors une phrase métaphysique). Un temps du tout de la vie…
*J'aime les gens qui doutent
Les gens qui trop écoutent
Leur cœur se balancer
J'aime les gens qui disent
Et qui se contredisent
Et sans se dénoncer
J'aime les gens qui tremblent
Que parfois ils nous semblent
Capables de juger
J'aime les gens qui passent
Moitié dans leurs godasses
Et moitié à côté
J'aime leur petite chanson
Même s'ils passent pour des cons
J'aime ceux qui paniquent
Ceux qui sont pas logiques
Enfin, pas "comme il faut"
Ceux qui, avec leurs chaînes
Pour pas que ça nous gêne
Font un bruit de grelot
Ceux qui n'auront pas honte
De n'être au bout du compte
Que des ratés du cœur
Pour n'avoir pas su dire :
"Délivrez-nous du pire
Et gardez le meilleur"
J'aime leur petite chanson
Même s'ils passent pour des cons
J'aime les gens qui n'osent
S'approprier les choses
Encore moins les gens
Ceux qui veulent bien n'être
Qu'une simple fenêtre
Pour les yeux des enfants
Ceux qui sans oriflamme
Et daltoniens de l'âme
Ignorent les couleurs
Ceux qui sont assez poires
Pour que jamais l'histoire
Leur rende les honneurs
J'aime leur petite chanson
Même s'ils passent pour des cons
J'aime les gens qui doutent
Mais voudraient qu'on leur foute
La paix de temps en temps
Et qu'on ne les malmène
Jamais quand ils promènent
Leurs automnes au printemps
Qu'on leur dise que l'âme
Fait de plus belles flammes
Que tous ces tristes culs
Et qu'on les remercie
Qu'on leur dise, on leur crie :
"Merci d'avoir vécu
Merci pour la tendresse
Et tant pis pour vos fesses
Qui ont fait ce qu'elles ont pu »
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« Vous avez appris qu'il a été dit : Œil pour œil, et dent pour dent. Eh bien ! moi je vous dis de ne pas riposter au méchant ; mais si quelqu'un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l'autre. Et si quelqu'un veut te poursuivre en justice et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau. Et si quelqu'un te réquisitionne pour faire mille pas, fais-en deux mille avec lui. À qui te demande, donne; à qui veut t'emprunter, ne tourne pas le dos ! » (Matthieu 5, 38-42).