Avec Stéphane Bouquet, on parle du cas Richard Millet — puisque j’ai trouvé sur les étagères de la Ménagerie ce livre que j’ai tant aimé, La Chambre d’ivoire, de la même façon que j’avais trouvé — tant aimé — le commencement des siens (je crois que c’était Le Mot frère). Il me dit que c’est pour ça qu’il faut laisser des fautes d’orthographe dans les livres, à cause de la « pureté de la langue » qui peut virer « pureté de la race », il faut se prémunir. Comme il n’a publié que peu de livres (sublimes), je lui demande s’il écrit beaucoup. Il n’écrit pas beaucoup et — de plus — il jette beaucoup. Par ailleurs, il fait des traductions, de l’anglais et de l’italien. Il est payé au vers (genre 1 € 20).
Il me parle d’un très beau poète qu’il a traduit, Paul Blakburn. Sur internet, pour aujourd’hui, je trouve ça :
« la cigarette se fume toute seule dans le cendrier
Carlos soulève son bol de céréales pour finir le lait
Il me parle . Avec ses mots . »
Je suis seul et irrégulier.
« Les poèmes sont très majoritairement écrits autour de 3 motifs : l’errance dans les rues & les parcs ; les femmes ; les voyages en train et en métro. »
Ou :
« L’Aigle est un vieil homme.
On s’assoit un instant & fumons & regardons
la neige. »
Et, ça, très beau :
« Manhattan bridge
un pont entre
on le dit, une vie et la suivante, on le dit
vaut mieux alors
n’a pas de
bras mort, coule
entre nous est
notre travée notre pont... »
Ou :
« Les gouttes sur les vitres du wagon tremblotent . coulent »
Ou :
« océan . soleil . bourrasques »
Ou :
« La vitre sale me rend mon visage. »
Ou :
« je me penche et m’étire comme si j’étais soir ou pierre... »
Et puis, ça, très malin, et qui me rappelle la note que je viens décrire sur le 3 :
« Note de l'auteur. Selon Paul Blackburn, le secret de Villes est triple : « ciseaux, pierre et papier. »
Les ciseaux, c’est les jambes de filles. La pierre, c’est lui, le texte clos. Le papier, c’est l’écriture.
J’aime bien quand je tombe sur qqch le jour d’après.
(C’est une journée réussie.)
« Un dernier regard
le métro démarre lentement, trop
lentement, elle reste là,
jambes écartées sous un manteau noir de fausse
fourrure, elle
reste juste là, sans fin, ne choisissant
ni une direction ni l’autre [...] »
Et puis, très beau, l’identification aux mouettes :
« Pourquoi les mouettes aiment-elles
se poser sur la mer
seulement quand il y a des vagues, quand il
y a de la houle ?
Et ne le feront jamais
quand la mer est calme ?
Sûrement qu’elles prennent plaisir aux
mouvements de la vague
comme moi,
être levées, hissées, lancées, et dé-
valer la pente, et grimpant
sans effort
la crête suivante. »
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