Thursday, February 09, 2012





« Je m’entête affreusement à aimer la liberté libre. »



Aujourd’hui vendredi 10 et samedi 11, je lis UNE SAISON EN ENFER (sorte d’ « Evangile de la perdition », au sens d’Edgar Morin) dans le noir profond de cette salle sublime du théâtre de la Bastille (sans sorties de secours !) et éclairé par Philippe Gladieux. 21h. (Durée 1h15.)

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Chiara Gallerani
Merci très cher, ton Rimbaud ce fut somptueux !



Nicolas Guimbard
Merci Yves-Noël. J'y étais hier. C'est incroyable, l'endroit où tu avances. A certain moment, je ne savais plus ce qui se passait - étais-je en train de voir ou d'entendre? En déséquilibre total. Ou bien l'inverse, en équilibre... Vois, Voix, Voies... Magique et courageux.



Caty Olive
Merci pour la lecture d'hier soir.
Ce qui est chouette avec les lectures, c'est que j'ai l'impression que cela s'adresse ...à moi !!
Bonne suite
caty



Matthias Droulers
Yves-No, j'ai dû partir de suite. c'était super de te voir. Tu as té formidable. Sans doute la lecture la plus original que j'ai vue et entendue. Bravo Yves-Noël et merde pour demain ! Bises Matt

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Tout nouveau spectacle




Ce soir, jeudi, générale ouverte de Une saison en enfer, tout nouveau spectacle. 21h, théâtre de la Bastille (sans réservation). Durée : 1h10. Willkommen.

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Les Portes de la nuit ne sont jamais jamais fermées à clé




« Expérimentez, mais il faut beaucoup de prudence pour expérimenter. Nous vivons dans un monde plutôt désagréable, où non seulement les gens, mais les pouvoirs établis ont intérêt à nous communiquer des affects tristes. La tristesse, les affects tristes sont tous ceux qui diminuent notre puissance d’agir. Les pouvoirs établis ont besoin de nos tristesses pour faire de nous des esclaves. Le tyran, le prêtre, les preneurs d’âmes, ont besoin de nous persuader que la vie est dure et lourde. Les pouvoirs ont moins besoin de nous réprimer que de nous angoisser ou, comme dit Virilio, d’administrer et d’organiser nos petites terreurs intimes. La longue plainte universelle sur la vie : le manque-à-être qu’est la vie… On a beau dire « dansons », on n’est pas bien gai. On a beau dire « quel malheur la mort », il aurait fallu vivre pour avoir quelque chose à perdre. Les malades, de l’âme autant que du corps, ne nous lâcheront pas, vampires, tant qu’ils ne nous auront pas communiqué leur névrose et leur angoisse, leur castration bien-aimée, le ressentiment contre la vie, l’immonde contagion. Tout est affaire de sang. Ce n’est pas facile d’être un homme libre : fuir la peste, organiser les rencontres, augmenter la puissance d’agir, s’affecter de joie, multiplier les affects qui expriment ou enveloppent un maximum d’affirmation. Faire du corps une puissance qui ne se réduit pas à l’organisme, faire de la pensée une puissance qui ne se réduit pas à la conscience. »

Gilles Deleuze – Claire Parnet

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Amélie Blaustein Niddam




La Mort d’Ivan Ilitch, Yves-Noël Genod sort le cliché de l’ombre



Encore plus de radicalité. Encore plus de fulgurance. Trois représentations de La Mort d’Ivan Ilitch sont présentées dans le cadre du « festival » Hors-Série du Théâtre de la Bastille visant à mettre en lumière des artistes encore underground. Après avoir utilisé le jour comme éclairage au TCI pour – je peux / – oui, c’est au noir total, dit théâtral qu’Yves-Noël Genod nous invite pour un voyage tendre, violent et mélancolique au pays des paroles de Julio Iglesias.

Il s’approche du public, prêt à s’y fondre, liane blonde, et nous propose d’une douce voix d’éteindre nos portables à l’aide d’un vers récemment découvert d’Apollinaire : « Nous voulons explorer la bonté, contrée énorme où tout se tait». Le silence se fait, le noir promis est cassé par un fluo blanc. Un homme est comme expulsé des gradins et se jette sur scène avant de disparaitre dans la pénombre. Il ne parle pas, il chante « Je sais, en amour il faut toujours un perdant ; j’ai eu la chance de gagner souvent… Je t’ai perdue, pourtant. »

Il a la voix de Julio, il la brise un peu. Bientôt il sera nu et cela se fera dans une douce tristesse. Lui qui livre son âme par le biais de ces textes sur-connus expose son corps, sa pisse, sa morve comme vecteurs exutoires de l’angoisse. Le comédien est habité par la performance dans un clair-obscur inspiré tant de Caravage que de Joël Pommerat. Le corps est magnifié, sculpté sans susciter pour autant d’état voyeur. L’effet est quasi scientifique, Thomas Gonzalez est l’homme de Vitruve, les angles de son anatomie ici explorés au néon qu’il manipule.

L’enchainement des titres, a cappella, sur le grand plateau vide du théâtre de la bastille, entouré de pendrillons noirs apporte un tragique évident à ces monuments de la culture populaire. Se faisant, Yves-Noël Genod offre à l’imaginaire kitsch sa part de drame. Les textes parlent d’amour perdu, vieillissant.

L’ensemble est un poignard venant traverser nos émotions. Comme pour – oui, l’absence est ici reine, elle intervient par le biais de la fumée, des ombres, des flashs sur nos yeux quand la lumière s’arrête net. Genod provoque un faux seul en scène où les spectateurs sont totalement acteurs : dans les moments de noirs théâtraux, chacun mettra le sens qu’il voudra au silence. La Mort d’Ivan Ilitch est une superbe performance sur l’introspection de l’âme.

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Mari-Mai Corbel




Très beau texte, avec un contresens énorme (sur la nouvelle de Tolstoï), mais, comme souvent, cela n'a pas d'importance. La nouvelle de Léon Tolstoï, c'est l'un des plus beaux textes au monde, que m'avait fait connaître Valérie Dréville, elle dit exactement le contraire de ce qu'en croit Mari-Mai qui la lit en diagonale. C'est un homme qui a tout pour être malheureux, une vie infecte, dérisoire, sans sens, une femme et une fille qui le détestent, un boulot de bureaucrate... et que la maladie jusqu'à la mort va ouvrir au VIVANT – jusqu’à l’extase : « A la place de la mort, il y avait la lumière. » En ce sens, l'acteur n'est certes pas « l'anti Ivan Ilitch » !

YN



Yves-Noël Genod / La mort d’Ivan Ilitch / Dans un bloc de noir, l’abîme d’un nu

DANS UN BLOC DE NOIR, L’ABÎME D’UN NU

Yves-Noël Genod crée pour le théâtre de la Bastille La Mort d’Ivan Ilitch. Avec et pour Thomas Gonzalez. (7, 8 et 12 février 2012). Comme il le fait souvent à l’entrée de ses salles, Yves-Noël Genod présente la séance. Là, il annonce qu’il a eu très peu de temps de répétition pour faire avec ce plateau qu’il aime. Ce qu’il en a fait le prouve. Il a su imaginer cet espace plus beau qu’il ne l’est souvent quand il est « occupé » par une mise en scène, y faisant surgir l’essence même d’un théâtre (au départ, ce lieu fut un cinéma). Il a restructuré le volume en supprimant plusieurs premiers rangs pour mettre au même niveau la salle et la scène, puis occulté les côtés et le fond de scène de rideaux noirs, recréant un vaste espace vide. Cet espace théâtral mis à nu, l’antre où tout se repose, où l’on commence par revenir à soi si l’on sait le voir. Et Yves-Noël Genod, dans sa présentation, de préciser que, ce qui l’a intéressé, c’est de travailler la matière même d’un noir de théâtre, d’un vrai noir de. Ici, je passe la parole à Annie Le Brun qui, sur le noir et son histoire a écrit un ouvrage (Si rien avait une forme, ce serait cela, Gallimard, 2010) relatant la petite histoire de son effacement au profit d’une positivité catastrophique :

« N’empêche, le noir n’est pas l’ombre ni les ombres, même si celle-ci et celles-là peuvent en être le reflet. Ni concept, ni symbole, le noir a autant affaire avec le Mal alors en train de perdre son efficience religieuse qu’avec l’inconscient dont on ne sait encore rien. [Annie Le Brun évoque là le tournant de la fin du XVIIIe s.] Pourtant, si son enracinement pulsionnel ne fait aucun doute, son champ d’action s’étend à tous les domaines. L’impossibilité de le définir donne idée de son emprise. En fait, le noir serait en l’homme le sens de l’inhumain dont il participe. » (p. 59)

Le noir, ou « la conscience de l’inhumain qui nous haute » (ibid, p.262), fait le fond du théâtre, nous rappelle Yves-Noël Genod. Et sur ce fond où le vide croise le fer avec le néant, Yves-Noël Genod fait surgir un acteur, tout seul, tout bête ai-je envie de dire. Un acteur qui se dénude, qui fume une clope et pisse même, sur le plateau, désacralisant une fois pour toute, avant de commencer, la scène de ce noir. Se désacralisant par le même mouvement. Non, il ne sera pas l’idole.

Mais l’acteur nu, un sauvage, non pas armé d’une machette pour traverser la jungle mais d’un néon, le portant comme un carquois de lumière. Chantonnant des chansons d’amour sentimentales, de Julio Iglesias. Aimer la vie… les yeux pleins de larmes. Errant dans l’espace comme dans ses images intérieures. Le voilà qui grimpe entre les sièges, comme une colline escarpée. Perdu dans sa rêverie amoureuse dérisoire, en ce bas monde, cherchant à progresser dans sa solitude. Presque inconscient de son décalage, nu passant par-dessus les spectateurs, son sexe rasant leurs visages. Image-là d’un humain devenu muet, qui ne peut que chanter des romances pour suggérer tout l’indicible qui le tient. Le néon sculpte l’épaisseur de l’espace, y fait apparaître des halos, des ombres, une perspective, avant de tout faire disparaître en s’éteignant, puis d’à nouveau tout faire réapparaître en s’allumant.

Quel drôle de titre, tout de même. Rentrant chez moi, je rouvre la nouvelle de Tolstoï et la parcourt en diagonale. Ivan Ilitch, c’est l’histoire d’un homme ordinaire (un magistrat) qui a tout pour être heureux (une jolie femme et bientôt une fille) mais qu’une maladie vient ronger de l’intérieur, une maladie inconnue, jusqu’à la mort. On est en 1890, l’ère petite-bourgeoise ne fait que commencer, on est en Russie, la révolution d’octobre viendra bientôt donner à cet ère sa forme contemporaine, parce qu’en vérité, ça ne fut que ça le rêve communiste. Cette nouvelle, c’est l’histoire de la mort douloureuse et lente d’un homme qui ne fait que bien faire mais ne veut rien savoir de lui, rien de ce noir qui l’habite comme tout humain, rien de son désir changeant, de sa solitude, de sa quête intérieure.

L’acteur, c’est l’anti Ivan Ilitch, c’est quelqu’un qui nous fait entendre au travers de ce qu’il chante qu’il a peut-être perdu un amour, mais qui se demande s’il lui faudra une semaine ou plus pour oublier et dire à nouveau je t’aime. Dérision. C’est plutôt quelqu’un, à son allure hésitante, fragile, blessée, qui sait qu’il n’oubliera jamais et qui chante cette chanson idiote du chanteur de charme pour se donner du courage ou sourire même, d’être si loin du monde où le trafic des sentiments et des pulsions est à haut débit. Quelqu’un de ravagé, en tout cas, de complètement perdu dans son monde intérieur amoureux, sexuel, qui, par rapport au monde actuel, serait un peu comme un martien. Quelqu’un qui creuse quand la norme est de surfer. Tellement perdu qu’il fini par disparaître dans un noir. C’est devenu un être luciole qui clignote dans la nuit.

Le 7 février, il se passe quelque chose d’inouï au théâtre de la Bastille. Pendant ce noir, une voix commence soudain à chanter La Joconde, souvent interprétée par Barbara. La Joconde, femme d’un prince dont Léonard de Vinci devait célébrer la beauté immortelle et dont il fit quelque chose d’étonnant, suggérant de diverses façons au contraire l’éphémère de toute grâce. Quelque chose comme le mystère de la mort dans ce notoire sourire qui fait sa célébrité. C’est, soudain, cette voix dont on ne verra pas le corps émetteur, comme la mort passante. A la sortie, j’apprends que ce serait l’improvisation d’une spectatrice qui n’a pu que prévoir d’intervenir pendant le noir, bref elle a dû venir la veille, tellement cela semblait faire partie de la performance, y compris dans le choix de la chanson. Quelqu’un qui sait même probablement Yves-Noël Genod est passionnée par Barbara.

Lentement, le plateau reprend lumière, cette fois-ci depuis la cage de scène, faiblement, devenant comme neigeux. Cet être qui s’est écorché dans l’amour, qui a souffert toute la folie douce de la passion, qui a forcément plongé dans les humeurs noires où ça emmène, d’aimer, ces zones où la jalousie, où la cruauté ordinaire des jeux du désir, où l’envie de mourir se dispute à celle de jouir plus que tout, s’est dépossédé de lui-même, a traversé le tourment pour ressortir ainsi, nu, exposé, sans voix (sinon pour emprunter celle des autres, Thomas Gonzalez imitant même la voix de Julio Iglesias). S’il y a plus de vie, dans cette vie-là qui n’aura pas reculé devant le noir, que dans n’importe quel bonheur cadenacé à la Ivan Ilitch, la mort sera la même. A souffrir les mille morts du désir, l’on perd toute prétention à en savoir plus, l’on découvre que ces zones du noir, derrière elles, il y a une lumière comme boréale… Thomas Gonzalez ouvre les bras, dans un geste d’accueil improbable, tremblant, les larmes encore aux yeux. « Nous voulons explorer la bonté, contrée énorme où tout se tait », avait dit dans sa présentation Yves-Noël Genod, citant un vers d’Apollinaire.

Par-delà, il y a le geste d’ensemble d’une traversée où l’acteur bien que seul n’est plus au centre, le rythme furtif (45 min), d’où l’image qui se grave est celle d’un grand silence secret. Le Dispariteur, c’est le projet de Yves-Noël Genod. Il n’écrit pas, il se tait et fait chantonner des acteurs qui l’inspirent, ou bien dire des bribes de textes, échos d’états intérieurs traversés… Le théâtre, là, nous fait toucher ce point intérieur où le tragique des jeux de désirs nous plongent dans la perte, ou dans l’inanité du gain (par exemple, infliger soi-même à l’autre de ne plus le désirer), suggérant qu’il n’y a qu’à vivre ces choses sans y résister, sans se révolter, elles sont fatales, elles sont à vivre sans peur… du noir.

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