...Véritable antidote à la solitude où Richard II l’avait abandonné...
Shakespeare en Avignon (2): Quand Yves-Noël Genod ravit le public
En ce dernier jour du Festival d’Avignon « Off », il est encore temps de rendre hommage à l’une des pépites de ce grand rendez-vous théâtral : Le Parc Intérieur, création d’Yves Noël Genod « autour » de Shakespeare. Pour le spectateur, il s’agit d’un véritable antidote à la solitude où Richard II l’avait abandonné. Dans la belle salle ronde de la « Condition des Soies », le comédien s’est livré à une irrésistible parade de séduction.
Officiellement, Genod nous offre la voluptueuse lecture d’un poème de Shakespeare, Vénus et Adonis. Dans cette épopée érotique, la déesse exhibe son amour pour Adonis. Ses promesses de plaisir charnel sont aussi brûlantes que le jeune homme se montre frigide et « inapt to toy » (dans le texte original). De promesses en résistances, il ne se passe donc presque rien dans cette poésie, sauf à la fin… Mais il y a la poésie de Shakespeare ; et il y a le charme de Genod. Car dans son solo d’histrion intimiste, l’acteur s’est donné pour mission de charmer chaque membre du public.
Très vite, de confidences en apartés, on comprend alors que l’histoire de Vénus est un peu celle de Genod : tout comme la déesse avec le jeune homme, le comédien ne cesse de dire au spectateur son amour, et son désir ardent de le combler. Ainsi, par exemple, à la Condition des Soies, l’entrée du spectacle est « libre », parce que « les vraies putains sont celles qui font payer pas avant mais après », explique Genod (façon originale d’annoncer qu’il entend nous donner du plaisir). En outre, le spectateur reçoit en entrant dans la salle une coupe de champagne gracieusement tendue par Jeanne Balibar. Puis, en guise de « première partie », la comédienne, chanteuse et danseuse lance des mots d’amour en regardant les spectateurs droit dans les yeux. Quand Genod lui succède sur scène, avec son sourire et son histoire de Vénus prête à tout pour être aimée, le public est déjà ravi.
« Regarde-moi dans les yeux, c’est là que se trouve ta beauté », dit la belle à Adonis au début du poème. Rejetant la suffisance narcissique, elle se moquera plus tard de lui en ces termes : « ton cœur est-il amoureux de ton visage ? Alors toi-même fais-toi la cour ! ». Car ici, le jeu de miroir se doit d’être tendu vers l’autre. De fait, quand Genod raconte son souvenir d’un concert de David Bowie, c’est pour dire comment la rock star, en recevant trois roses, affirma vouloir les faire fleurir pendant le concert pour pouvoir en offrir à chacun des spectateurs. Dans une perspective tout aussi tendre, lorsque le comédien évoque Borges, c’est pour vanter sa foi dans l’allusion qui, bien plus efficace que « l’expression » auto-suffisante, peut seule « aider le lecteur à imaginer ». Autre exemple, pris entre mille, de cette tension permanente vers le public : quand Genod cite sa psy, c’est pour assurer qu’un glaçon n’a jamais fait fondre un radiateur… Cela pour dire que dans ce spectacle à la fois poétique et drôle, introspectif et généreux, tout ce qui est à l’auteur est à vous. Et réciproquement. Si bien que lorsqu’un fâcheux portable vient à sonner dans la salle, Genod sourit tranquillement : « j’ai cru que c’était le mien ». Et symétriquement, lorsqu’Adonis dit bonsoir à Vénus et la prie de lui dire « de même », le public répond à l’unisson « bonsoir », juste avant l’étreinte finale.
Bien sûr, ce jeu de séduction sans merci n’est pas dépourvu de certaines dérives. On regrette par exemple certaines coquetteries de notre narrateur de charme. Comme celle-ci : raconter qu’un jour Duras lui a fait dire (via Claude Régy s’il vous plaît !) que sa lettre était la plus belle lettre qu’elle ait jamais reçue. Ou bien certaines références un peu « far-fetched » qui vont mal avec la tranquille générosité de l’ensemble. Mais après tout, dans une parade d’amour, il faut aussi parfois faire le paon…
Par Judith Sibony.
Merci ! Très belle analyse (qui m'éclaire - maintenant que j'ai fini, je peux réfléchir à ce que j'ai fait très inconsciemment...)
Au plaisir
Yves-Noël
L'anecdote sur Duras, ce qui me paraissait intéressant, c'est de dire que je ne savais pas du tout ce que j'avais écrit dans la lettre nommée ainsi "la plus belle lettre que j'ai reçue de ma vie" - mais sans doute aussi faire le paon, vous avez raison... Lætitia Dosch, mon assistante, n'aimait pas trop non plus ce passage...
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