L'humour, entretien avec David Di Nota
(Projet de publication pour la revue « Mouvement », à l'occasion d'une « carte blanche » sur le thème de « Dada ».)
ALWAYS TIME FOR COMEDY !
L’humour noir de Dada
Yves-Noël Genod / David Di Nota
« Ibsen n’a pas d’humour, donc je n’irai pas le voir. »
Bertolt Brecht, Journal de travail.
« …je compris également que l’ironie, le comique, l’humour devaient mourir, car le monde à venir était le monde du bonheur, et ils n’y auraient plus aucune place. »
Michel Houellebecq, La possibilité d’une île.
…là où la force poétique est incroyable, c’est que – que tu ailles à la guerre ou que tu sois objecteur de conscience, l’important, c’est ce que tu en retires en terme esthétique – et un type comme Dada, enfin, évidemment, heu…
Alors…
…le groupe Dada, heu, pouvait résister…
Là, ça enregistre, hein, quand ça tourne ?
…pouvait, heu… Allo, allo. Oh, ouais. Oui, ça enregistre, c’est sûr. Et, heu, ah, oui, tiens, j’ai pas éteint mon…
Donc… On s’en fout, mais…
Ça va nous embêter aussi.
Non. Et puis on s’en fout. Tu peux laisser le…
Non, non, mais ça va nous gêner, aussi, attends, je vais mettre sur silence. Heu, comment on met sur silence ? Autre. Tiret silence. Voilà. Et, heu, alors – c’est juste une parenthèse pour dire que ce qui est merveilleux, c’est que on peut être objecteur de conscience comme Dada dans leur cabaret ou on peut partir à la guerre la fleur au fusil comme Apollinaire, mais ce qui est extraordinaire dans, dans la littérature en question, c’est que, peu importe finalement les positions politiques, c’est, le plus important, c’est ce que tu en extrais et les deux, en partant de faç…, dans des directions absolument opposées, ont composé des œuvres tout à fait remarquables. Donc c’est ça qui est toujours troublant dans le rapport politique / littérature ; c’est que on peut être collabo, bien que je pense que Céline n’a absolument pas été collabo mais on peut être, disons, catalogué collago, heu, collabo comme Louis-Ferdinand Céline ou bien résistant, heu, bon, comme Vercors ou Camus, et, et, écrire des œuvres très, très conséquentes. Donc y a vraiment un fleuve… – ça veut pas dire que les écrivains sont apolitiques – mais y a vraiment un autre rapport au monde, au, au, à la cité, à travers la littérature et cet autre rapport, il ne passe pas par ces étiquettes là. Donc, c’est toujours troublant de voir que des gens qui sont partis dans des directions opposées… Je pense que c’est toujours valable aujourd’hui. …sont partis dans des directions opposées, composent des œuvres très, très, très, très fortes, très, très conséquentes. Donc, c’est toujours beau parce que ça veut dire que on va bien au-delà des oppositions politiques en littérature. Enfin, bon, voilà, c’était juste pour terminer sur l’histoire du pacifisme de Dada. Moi, ça me fait toujours chaud au cœur que la littérature apporte beaucoup plus de subtilités…
…dit fallait faire attention à la table.
Ah, ouais, tout à fait.
Alors, si on donne des coups de pieds.
Non, non, je, ça marche impec.
Alors, euh, alors…
Alors. Bonjour.
Bonjour.
Bonjour.
Non, c’était l’autre fois, c’était, on ét…, tu parlais, tu disais qu’au théâtre le problème du pathos se voit encore plus, un peu comme la politique, le problème de la politique, en Afrique.
Tout à fait.
Alors, heu, moi, c’est vrai que j’ai un problème avec la tragédie au théâtre et…
Ah, oui.
…j’ai du mal à sortir du théâtre et à être mal à l’aise et toi tu disais même que, heu, pour toi, voir un spectacle de théâtre où il y ait pas d’humour, sous quelque forme que ce soit, c’était même impensable.
Ah, oui, tout à fait, c’est même… Oh, c’est joli. Enfin…
Depuis j’ai vu la, une pièce magnifique où je devais peut-être jouer, d’ailleurs, la…
Sans blague ?
…Robespierre, La mort de Danton, tu sais ?
Sans blague ? Formidable !
Et Robespierre, c’est génial comme rôle, en effet, oui, moi, je le comprends très bien.
Oh, mince !
Mais la pièce est géniale pendant tout un moment…
Et ça s’est pas fait, pourquoi ça s’est pas fait ?
…où, moi, je prenais beaucoup de notes. Parce que le, finalement, le metteur en scène, c’était une idée qu’il avait, avec moi, puis finalement il le joue lui-même, très bien, d’ailleurs.
Dommage, t’aurais bien fait.
Oui, j’aurais bien fait.
Mais… On ne sait jamais, ça peut se passer.
Alors, du coup, bon, la pièce, je sais pas si tu la connais, mais elle est super bien et moi je prenais des notes jusqu’au moment où ça devient une tragédie…
La mort de Danton.
…et, là, je trouve que c’était très ennuy…, c’est devenu raté, raté.
Voilà, voilà, ouais, ouais. Mais les Allemands sont très forts dans la comédie…
Mais peut-être pas…
…alors qu’ils s’obstinent à faire de la tragédie.
Non, mais là, là, c’était pas un metteur en scène allemand.
Non, mais je parle des textes. C’est à dire les, très, très souvent, très souvent… Enfin, bon vas-y, excuse-moi, je t’ai coupé la parole.
Est-ce qu’il faudrait vérifier ? Ça résonne. On vérifie quand même ?
Si tu veux, oui. Vérifie une fois, ouais. Vérifie une fois comment ça…
Comment on fait ?
…ce que ça…Tu dois appuyer Stop et Play.
Papapapa, papapa. Bon, alors, ça va peut-être, je sais pas, mais ça marchait, ça a peut-être effacé ce qu’on a dit, donc, heu…
Oh, c’est pas grave.
…alors ce sera encore à recommencer, mais…
Ok.
Non, peut-être pas, d’ailleurs, parce que c’est marqué GP01 003. Je sais plus.
Bon. Vas y.
Alors, La mort de Danton, c’est une pièce que Brecht, il aimait bien ?
Oui, beaucoup, beaucoup. Ce qu’il adorait, Brecht, ce qui l’a presque décidé à faire du théâtre, c’est Wedekind, le fameux, le fameux Éveil du printemps qui est effectivement une pièce électrique, géniale et qui, justement, qui ne tombe pas dans le pathos alors qu’on parle de la sexualité enfantine…
Mais c’est pas, c’est pas…
…de toute sorte de sujets…
…c’est pas Büchner, ça ?
Non, non. Tout à fait. Wedekind. C’est, c’est un… Voilà. Je pense que c’est, voilà, fin du, fin du XIX ème, quoi. Et ça, c’est vraiment du très, très, du très, très beau théâtre, mais c’est justement électrique, c’est à dire que tu tombes pas dans cette histoire de pathos. Mais l’histoire du pathos, pourquoi on est lancé là-dessus, au théâtre ? Parce que, il me semble que, si tu veux, l’idée de départ qui était un petit peu notre, le point de rencontre, c’est que, le théâtre, il est absolument en, il est en première ligne pour combattre ça et, bizarrement, quatre-vingt pour cent des pièces qui se jouent – bon, je vais, je vais pas voir cent pour cent des pièces mais, à chaque fois que j’y vais, je peux retenir que vingt pour cent de ce qui me paraît conséquent parce que le reste tombe dans ce pathos. Là où le théâtre serait le mieux à même de dénoncer le pathos, en fait, il le, il le perpétue, alors, dans des, dans des drames, des tragédies qui sont insupportables à écouter, qui sont en plus indécentes, presque indécentes éthiquement, parce que c’est ça, le problème du pathos, c’est que c’est indécent. Quand heu, comment il, quand Lautréamont dit dans les Poésies qui est un texte vraiment essentiel, écrit que, il, heu, heu, tu ne, « l’homme ne créera pas le malheur dans ses livres », bon, ou sur une pièce ou ailleurs, sur une scène ou ailleurs, c’est vraiment parce qu’il a une sensation que, enfin, il a un sentiment éthique par rapport à la douleur parce que, évidemment, que la douleur existe, il s’agit pas de le nier et de dire que tout est rose, mais y a une façon, y a une façon de le traiter au théâtre, et ce qui se fait au théâtre, c’est quatre-vingt pour cent des cas, une façon d’exalter une sorte de mal-être, de malaise ou, ou de prendre sur ses épaules le malheur du monde en remontant éternellement des pièces qu’on essaye absolument de montrer comme étant actuelles alors que les, les problèmes sont quand même très, très différents. Heu, Racine et Corneille sont des auteurs extraordinaires, mais enfin, bon, c’est quand même pas exactement la même chose qu’on vit aujourd’hui et ce qui est très embêtant, c’est que, heu, le théâtre, au lieu de combattre – alors qu’il est absolument fait pour ça, c’est à dire qu’il peut dénoncer la, la comédie de la douleur mieux que n’importe quelle autre forme artistique, eh bien – regarde Molière ! – , eh ben, c’est toujours le contraire qui se produit, alors, ça, c’est très décevant et je pense que ça joue beaucoup sur le, l’espèce de, de, de, comment dire, de fatigue d’aller au théâtre qui, qui, qui est le, si présente aujourd’hui.
Alors, y a le problème de la tragédie parce que la tragédie, ça appartient au théâtre, mais, mais, ce qu’on disait l’autre fois, tu penses que la tragédie est devenue redondante à notre époque parce que le s…, parce que l’époque est tragique déjà elle-même.
Ah, oui, c’est vrai on disait ça aussi.
C’est à dire qu’il y a une, à cause d’une sensation de mauvaise conscience.
Tout à fait.
Une sensation de la mauvaise conscience qui est générale et qui n’était pas forcément dans les siècles précédents où on pouvait massacrer son voisin sans forcément avoir mauvaise conscience, c’est ça ?
Exactement. Tout à fait, tout à fait.
Alors, j’y pensais avec La mort de Danton parce que je me disais, parce que là, c’était en effet très appuyé sur ça, sur la mauvaise conscience et je me disais que peut-être la, peut-être, quand la pièce avait été écrite, c’était pas, on n’en avait pas la même perception.
Ah, oui, tout à fait.
Mais je sais pas.
Ah, non, non , mais je suis, je partage tout à fait ça. C’est justement ce qui est si particulier parce que quand on dit…
Tu partages tout à fait ça parce que c’est toi qui l’a dit.
En plus, oui, je suis d’accord avec moi-même. Mais c’est pas toujours le cas ! Non, non, mais écoute, le truc, c’est que, non, mais je…
« Mais vous êtes d’accord… »
Écoute, toutes les fois que tu diras quelque chose que j’ai dit, heu, non, mais ce qui est, ce qui est vraiment, si tu veux, les époques bougent, heureusement, donc y a un sentiment que le tragique se déplace et c’est évident que les, au XVII ème siècle, ils avaient un certain sens de ce qui, de ce qui ne va pas et de la douleur, voir après Voltaire et le tremblement de, de Lisbonne, et tout ça, donc, ils ont le sentiment, quand même, y a un malheur universel qui s’abat et donc ils en ont très conscience, mais aujourd’hui on peut dire que ce malheur universel, enfin, la conscience que le mal, que le, que le monde tourne mal, ça, c’est quelque chose qui est, c’est presque le B-A BA du spectateur devant sa télé, enfin, c’est vraiment quelque chose de… Alors le théâtre a pas à nous éclairer sur ça, c’est, au contraire, de nous donner une sorte de liberté par rapport à la douleur qu’il doit servir et c’est cette liberté qui manque, c’est ces, c’est ce travail de libération, de déprise qui manque énormément. Ce qui fait que les gens continuent à jouer des pièces comme s’il fallait nous éclairer sur le malheur du monde alors qu’on est déjà éclairé sur le malheur du monde et qu’il faudrait plutôt nous initier à, à, à, à sortir de ce pathos parce qu’avec la douleur vient le pathos, malheureusement, qui est le discours sur la douleur que prend celui qui ne souffre pas, heu, sur ses épaules, voilà. Quand celui qui ne souffre pas prend la douleur de l’autre sur ses épaules, ça devient du pathos.
Alors, bon, le théâtre, c’est aussi, heu, c’est, en fait, aussi, le cinéma.
Ouais.
Parce que y a, évidemment, à part quelques Bresson, y a, le cinéma, c’est du, pour moi, c’est du théâtre filmé, quoi. Mais, alors j’ai vu Caché de Michael Haneke.
Oui et j’ai, j’ai pas vu.
Tu vois un peu ce que c’est ?
Je vois, mais alors je suis nul.
Alors, là, pour le coup c’est vraiment déclaré que ça travaille sur la mauvaise conscience, sur la culpabilité, enfin, c’est vraiment un film là-dessus et sur la, sur le, la culpabilité qui remonte là, dans le film, à la guerre d’Algérie, au massacre des Algériens dans la Seine en 60, je sais pas si c’est en, dans les années 50 ou 60. Et donc une culpabilité qui traîne depuis la génération précédente.
Ah, très beau sujet, parce c’est vrai que c’est très prégnant.
Oui, après, c’est un enfant qui a dénoncé un camarade à six ans et c’est l’histoire qui ressurgit quarante ans après, etc. Donc on ressort, moi je suis ressorti de là vraiment…
Noué.
…très alourdi, oui, pendant plusieurs jours.
Ouais, ouais, ouais. Bifidus.
Alors, je sais pas, je sais pas pourquoi, parce que, moi, je supporte des livres qui sont noirs comme Houellebecq. Mais je les lis, en général, en vacances au soleil. Ou j’ai lu, par exemple, Voyage au bout de la nuit
Oui, et puis, puis…
…à l’Île Maurice.
…que ce soit le Voyage ou Houellebecq, c’est traversé par un humour formidable. Donc…
C’est ça, oui.
…c’est, c’est, on est bien dans le noir, mais alors y a une ligne de lumière extraordinaire de part leur humour, à ces deux très grands écrivains. Donc ça va, là, on n’a pas de problème quand on, quand on est dans cet uni…, ces deux univers là. Mais ce qui manque, c’est justement cette dimension-là. Mais vas-y, termine parce que c’était…
Non, c’est ça. Ouais, ouais, ouais, en effet que il suffit d’avoir cette perception de l’humour que moi j’ai eu parfois sur certains spectacles de Régy, alors que personne ne rit jamais dans les spectacles de Régy, mais, moi, j’y allais parfois d’une manière si détendue et je connaissais tellement les trucs et que je trouvais ça drôle et puis il est arrivé une fois au deux que des gens rient pendant la représentation – dont moi – mais très peu de gens rient aux spectacles de Régy ! Moi, j’ai ce problème maintenant aussi avec le nouveau spectacle où, là, l’humour est quand même une ligne qui est très, qui est pas appuyée, qui est très en surface…
Oui, qui est pas appuyée mais qui est présente.
Oui, mais qui pourrait disparaître du jour au lendemain, comme ça, très vite, par, heu…
Oh, pas sûr.
… par simplement la perception des gens ou pas grand chose qui ferait que ça, mais je vais essayer d’y veiller, mais…
Ah, je crois pas parce que même la salle…
Parce que, finalement…
…la plus bornée que j’ai vue, même les plus bornés rigolaient…
Ouais.
…ce jour-là. Le fameux lundi, ce qu’on va appelé maintenant le Bloody Monday…
Ouais.
…où les gens riaient pas, eh ben, c’était quand même, y avait quand même des gens qui riaient. C’est à dire que tu l’appuies pas, c’est pas comme dans le précédent spectacle où c’était vraiment un spectacle très, très drôle, mais volontairement drôle, mais tu y réussissais, là, c’est pas appuyé, c’est vrai que c’est, c’est, l’accent est déplacé, mais n’empêche que c’est toujours présent et, moi, c’est la chose la plus précieuse que tu as et je t’ai dit combien je pensais que c’était important que tu, tu conserves toujours une ligne alors, appuyée ou pas…
Ouais.
… mais qu’elle soit toujours là parce que ça fait vraiment unité avec tous les spectacles, moi, j’en ai vu que deux, malheureusement, mais avec tous les spectacles que, que, que j’ai vus et que j’espère que tu feras, c’est comme une sorte de collier, quoi.
Et tu disais, tu disais : « ça rehausse les couleurs ». Ça, c’est bien parce que comme c’est un spectacle dans le noir…
Ah, bien sûr, bien sûr.
…et avec très peu de…
Très peu de…, ouais. Et pourtant, tu vois, c’est bizarre, parce que j’ai pas du tout un sentiment de, en ressortant de ça, d’un sentiment de noir, j’ai plutôt un sentiment de lumière. Alors, va savoir pourquoi !
Ah, oui, bien sûr, on essaye ça, oui, oui.
Eh ben, c’est très réussi. Moi, je, c’est pourquoi je me suis très attaché à ton travail et pourquoi j’espère qu’on va continuer à toujours être en compagnonnage comme ça et continuer longtemps, moi, parce que j’ai vraiment envie de, de, de, de ça, je trouve que c’est extrêmement, extrêmement troublant parce que, moi, je pense beaucoup à ce que tu fais, je repense beaucoup, même si je t’en parle pas forcément beaucoup mais ça, ça m’est très, très cher qu’il y ait cet espèce de développement en parallèle parce que, je te l’ai dit, c’est avant tout parce que tu as trouvé une certaine qualité d’humour et, et les, l’humour c’est exactement comme la couleur, y a des tons, des tonalités et, heu, et, toi, tu as une certaine touche comme ça et, ça, c’est merveilleux, c’est vraiment merveilleux. Je, je – on en parlait avec Olivia – c’est à dire que c’est un humour vraiment qui t’est très, très personnel. Parfois on n’a pas le, on n’a pas le sentiment, c’est comme la couleur de sa propre voix, on l’entend pas, et l’humour c’est souvent le cas, on sait pas à quel point on est individuel dans la manière dont on rit. Mais je pense qu’alors là, pour le coup, au théâtre, tu vois, y a rien de plus singulier que l’humour. C’est à dire que y a pas deux metteurs en scène ou deux auteurs qui rient du monde de la même façon et toi tu as une façon très – si on essaye de la qualifier – mais très enfantine, très innocente et en même temps très, très raffinée et alors – c’est ça qui est peut-être le plus drôle à Paris – très, très parisienne. En même temps de rire de Dolto ou de Lacan, je suis pas sûr que ça ferait rire de la même manière, je sais pas, je voudrais pas être méprisant, ça va sonner tout de suite méprisant si on désigne une autre région de la France. Mais, donc, si tu veux, mais c’est ce mélange là qui fait que on a à la fois l’impression d’une grande, grande innocence et d’une très, très grande, d’un grand travail de lecture derrière, donc, ça, c’est, c’est génial. Moi, je trouve que ce contraste là, je l’ai vu nulle part et c’est très, très intéressant.
Mais moi, j’ai, j’ai…
J’espère que tu le perdras pas.
En fait, je sais pas, parce que, pour moi, l’humour, c’est vraiment lié à la noirceur, en fait.
Bien sûr. Bien sûr.
Je t’avais dit que le spectacle d’Aubervilliers, jusque, jusqu’au dernier moment, c’était un truc très noir et personne pouvait rigoler et ça s’est ouvert avec le public, et c’était simplement, en fait, quelque chose en plus qui permettait que tout devienne léger et de transformer, heu, en direct, justement, une, une espèce de lourdeur, de la transformer en, en joie de vivre, mais c’est, mais quasiment, simplement par le partage avec les gens. Donc c’était, ça venait qu’à, qu’à la f… Et je me disais toujours que si, si, si, alors, si je, si j’avais une vision moins noire des choses, j’aurais plus besoin de l’humour non plus.
Bien sûr, bien sûr.
Je sais pas.
Non, mais c’est, c’est sûr.
Et parfois je me disais aussi que cette vision noire des choses venait, vient que j’étais en thérapie depuis très longtemps. Et que maintenant ça va mieux, j’ai arrêté. Donc, peut-être, j’ai, j’ai, j’ai plus besoin d’hu…, d’humour autant.
J’espère que ça va pas créer des problèmes avec, avec tes pièces après, hein ? Il s’agirait pas que tu deviennes heureux.
« Il a perdu complètement son humour. »
Non, non, mais il s’agirait pas que tu deviennes heureux non plus, hein ?
Non, parce que c’est sûr que dès qu’on parle de psychanalyse, on est dans l’humour total…
Ah, c’est la chose la plus drôle !
…parce que cette chose est tellement grotesque.
Ah, mais c’est la chose la plus drôle ! Alors, c’est ça qui m’a tellement passionné au début quand j’ai vu ton premier spectacle, c’est que, c’est vrai que la psychanalyse, c’est, c’est du pain bénit, c’est du pain…
Oui, oui.
…mais c’est extraordinaire ! Bon, Freud, c’est un génie. Alors, après, il a écrit une œuvre extraordinaire, mais alors, ça, ça, ça a donné lieu à des tics incroyables et des gens se sont mis à avoir des névroses juste pour aller chez le psychanalyste.
Ouais.
Et alors, c’est quand même quelque chose qui en dit long sur l’époque. Donc, toi, vivant ces choses-là, tu parles de nous.
Ben, oui.
C’est ça qui est très fort.
Ouais.
Et donc, parlant, en plus avec humour, de tes névroses, de tes, heu, heu, de, de ton psychanalyste, de tout ça, je trouve que ça touche très, très juste parce que ce sont des choses qui sont tout à fait, heu, à la fois très, très drôles et très, très noires parce que si tu rigoles pas de ça, ben, c’est tout simplement le quotidien de quatre-vingt-dix-neuf pour cent des gens, quoi. C’est ça. C’est, c’est la névrose, c’est le, c’est le pain quotidien. Donc, si tu veux, en parlant de ça, tu parles de quelque chose de très, très, très présent, de très présent, ouais. Je trouve c’est un merveilleux, merveilleux sujet. J’ai toujours souhaité un jour écrire une pièce où, où Freud se dispute avec Ferenczi, heu, sur la question de – parce que je trouve que ça se porte très bien au théâtre – sur la question de comment faire une thérapie. Heu, longtemps il a été question de savoir : Alors qu’est-ce qu’il peut dire, il se tait, le psychanalyste ? Non, il parle. Alors, il, est-ce qu’il peut toucher le patient ? Ben, justement, Ferenczi pensait qu’il devait toucher le patient.
Ah, oui ?
Il pensait qu’il devait le caresser, qu’il devait le, tu vois, le dorloter…
Le, le… Ah, ouais, ouais.
…avoir un contact physique et, et, et Freud disait : Non, pas question, c’est pas possible, mais y a eu tout une, et puis ils se sont vachement disputés comme il s’est disputé avec tout le monde. Mais y a eu, y a eu, un moment donné, heu, dans l’histoire de la psychanalyse, au tout début, la possibilité que…
Une tendresse ? Ouais.
…qu’une tendresse s’instaure, s’installe, et que, à un moment donné, ben, si, si ça doit, c’est, c’est, c’était sur le régime du « et plus si affinité ».
Ouais.
C’est à dire que si, si ça se trouve, heu, le patient y gagnait en plaisir, y gagnait en libération de ses névroses, ben, pourquoi pas faire l’amour avec son psychanalyste.
Mais ils l’ont fait d’ailleurs ! Ils l’ont tenté à un moment, hein, tout ça. Ouais, ouais, ils ont essayés. Mais moi, je, je fais de l’haptonomie. L’haptonomie…
Alors, c’est des débats intéressants.
…l’haptonomie, c’est avec le contact, on couche pas ensemble, mais c’est un contact affectif très fort, oui. Oui.
Alors, ça remet en question ce que Lacan appelait le transfert où justement…
Oui, ben là, oui, c’est, c’est contre la psychanalyse, d’ailleurs, c’est des, c’est des, en opposition, oui.
Voilà. Voilà. Ben disons…
Ben, allez, attends, sauf que, c’est contre, mais ça a intégré tout ça. Ils pensent que ça va plus loin, quoi. Mais évidemment que y a du transfert, aussi avec tout ça. Enfin, je sais pas.
Enfin, c’est marrant, toutes ces débats, toute cette casuistique, tous ces espèces de débats théologiques sur : Est-ce qu’on peut toucher ou pas ? C’est quand même très intéressant parce que, parce que ça définit des régimes, de de, de, presque des régimes tactiles, des régimes de corps de comment on, on incarne la vérité, comment on s’en libère, est-ce que c’est par la… Quel est, quel est la place du corps dans la vérité ? Eh ben, ça, c’est une question théâtrale s’il en est. Alors, c’est pour ça que la psychanalyse et le théâtre, c’est, c’est quelque, c’est quelque chose de très, très, très, très bien…
Alors, est-ce qu’on a dit pourquoi – pourquoi ou ça reste mystérieux ? – pourquoi le théâtre, bêtement, alors qu’il aurait la possibilité de décoller le pathos…
Ah, oui.
…plonge dedans ? On sait pas ?
Ça, on sait pas. On aimerait bien savoir.
Pourquoi, en Afrique, la politique est si…
Alors, moi, je, je… Alors, en Afrique, c’est simple.
…caricaturale ?
Oui. Ben, disons, l’Afrique dit la vérité du politique, c’est ça que j’aime beaucoup, c’est que, et je veux absolument y aller, d’ailleurs ça me manque beaucoup, il va falloir y aller l’année prochaine. Mais, si tu veux, le rapport politique, heu, heu, pseudo démocratique qui est le nôtre, si tu veux, pour en bien connaître sa, sa substance, on peut aller en Afrique et puis regarder comment ça se passe. Évidemment en Europe tout est édulcoré parce que on a de l’argent, c’est tout, parce qu’on a une économie qui a fonctionné, qui fonctionne encore un petit peu, et donc, assis sur notre tas d’or, on peut…
C’est policé, quoi.
Voilà, c’est policé, on se rend pas compte de la vérité des rapports de force parce qu’il faut aller creuser, mais en Afrique tout est au grand jour, voilà. Eh ben, au théâtre ça devrait être la même chose – c’est un parallèle un peu con, mais je sais pas comment ça nous est venu, ce parallèle, mais, enfin, bon – et le, au théâtre, tout le pathos devrait être au grand jour parce que le pathos, c’est de la comédie. Donc, évidemment, s’il y a bien un lieu où la comédie peut se lire et se voir, c’est sur, heu, sur un tréteau.
Ouais.
Tu vois. Or, c’est pas ce qu’il arrive, mais c’est vrai qu’il faut des génies comme Molière pour la montrer cette comédie, pour vraiment mettre du doigt, toucher le doigt sur l’espèce de comédie qu’on se joue aujourd’hui dans notre douleur, dans notre célébration de la douleur.
Ouais.
Et surtout les artistes. Ce qui rend la chose encore plus insupportable, c’est que les artistes se mettent à ressentir en eux-mêmes qu’il faut qu’ils souffrent…
Ouais.
…pour pouvoir, heu, dire quelque chose de profond. Alors, ça, c’est, ça, c’est le… Si tu veux, moi, j’ai vu combien d’actrices ou combien de, de, d’acteurs, comment dire, avoir cette espèce de vision à la Artaud du cri comme, comme disant plus la vérité que la joie ou la légèreté ou…, tu vois, et, ça, c’est très dommage, mais c’est quelque chose de très, très présent. Alors, ça rend les spectacles insupportables. Pourquoi est-ce, pourquoi est-ce que c’est si pénible ? Pourquoi est-ce que tu ressors noué avec la nécessité de manger des, je sais pas, des, des yaourts au bifidus pour, pour te libérer, c’est parce que y a une insistance sur la douleur qui n’a, sans décalage, sans humour, sans espèce de, de, de vrai rapport critique, de vraie lecture critique sur, sur notre douleur. On, on, au lieu, si tu veux, d’en prendre une distance, voilà, d’effectuer une distanciation, on, on, on l’investit nous-même de notre, de notre corps, de notre truc et puis on en fait, voilà, une espèce de grande messe.
Moi, j’ai vu une fois une tragédie, heu, montrée d’une manière solaire et, et qui donnait des informations très précises, quoi. C’était Médée par cette Valérie Dréville dont je te parlais, grande actrice, là.
Ah, oui, bien sûr.
Et metteur en scène russe : Vassiliev, et, là, ça m’a pas détruit du tout, au contraire – je suis allé plusieurs fois pour voir – c’était très précis, les informations qu’elle donnait sur cette femme, sur cette, sur cette possibilité là et de…
Parce que, Yves-Noël, attends, il faut qu’on enlève une ambiguïté, c’est pas la tragédie qui porte ça. C’est à dire, la tragédie, c’est un genre absolument extraordinaire. Ce qui porte ça, c’est la lecture tragique de la tragédie. Mais une tragédie bien mise en scène avec une espèce de ponctualité, de précision, etc., ça te libère plus qu’une mauvaise comédie, c’est évident. Donc, c’est pas le genre tragique, c’est notre rapport à la tragédie qui est lourd. La tragédie, elle est inattaquable. Je pense à, y a une pièce que j’aime beaucoup de Koltès – y a beaucoup de choses qui sont pas terribles, mais en fait y a des, y a aussi des choses qui sont vraiment merveilleuses et une des choses merveilleuses c’est, heu, c’est, heu, c’est Roberto Zucco et Zucco, en un sens, c’est une tragédie, c’est une tragédie, mais, alors, c’est éclairé par une, par – vraiment, ça a même toutes les caractéristiques d’une tragédie, quand on réfléchit – mais c’est éclairé par une luminosité et une ponctualité dans le regard, une précision qui est, heu, qui en fait un genre merveilleusement léger, alors, ça, c’est merveilleux d’arriver à ça. J’attends de te voir dans une tragédie parce que je suis sûr que tu y apporteras une très, très grande légèreté.
J’ai joué un drame…
Je suis sûr, je sais pas, peut-être que tu vas te planter.
…déjà. J’ai joué un drame. Un drame.
Justement.
Tolstoï, j’ai joué. Le cadavre vivant.
Justement. Je connais pas cette pi…
Mais c’est pas une tragédie, c’était un drame. Un drame, quoi.
Je connais pas.
Ça se termine mal.
Ça se termine mal ! Mais toute espèce de spectacle se termine plutôt mal.
Mais c’était bien, parce que, justement, on essayait, avec Julie Brochen, là, de pas le jouer de manière pathétique. Y avait en particulier une scène dans laquelle on recevait une lettre de l’annonce du suicide de notre copain, là, heu, et puis dans la scène, c’est marqué, c’est écrit que « Lisa sanglote » et moi, je dis : « C’est affreux. », etc. Heu, donc on avait beaucoup de mal à le jouer et finalement on l’improvisait tous les soirs et, évidemment, je disais : « C’est affreux. » avec un sourire et c’est, ça faisait rire tout le monde, mais c’était le, c’était le moyen qu’on avait trouvé pour éviter de tomber dans le p…, de jouer « c’est affreux » en disant…
Bien sûr, bien sûr.
… parce que, là, on s’en sortait pas, c’est sûr !
C’est clair, c’est clair. Mais moi, je veux, enfin, bon, tu me préviendras, moi, je viendrais te voir. Je suis sûr que… La chose la plus triste que tu m’aies dites c’est que, quand on crée, les gens vous convoquent plus pour, heu, pour être interprète et ça c’est vraiment triste parce que, parce que j’imagine que la circulation entre les deux est essentielle et puis, moi, j’aimerais bien te voir justement dans des textes comme ça.
Ouais, ouais, ouais. Ben, ça, c’est parce que en France tout le monde a peur et peur des autres, des autres créateurs, etc. Ça circule pas énormément. Ouais, bon, ben voilà, hein.
Alors, je sais pas, on n’a pas…
On peut parler de tout ce qu’on veut d’autre.
Je pense pas qu’on ait dit des choses très, très importantes, hein, mais on, on, on a partagé nos petits trucs, quoi, bon. Je sais pas, ça prendra sans doute des directions, de toute façon, on verra bien comment on évolue…
Bon, après, y a le rapport à la religion…
…par rapport à ce qu’on a dit là.
…qui pose encore problème parce que dès qu’on, c’est à dire, c’est, le problème du pathos vient aussi de là, c’est à dire que dès qu’on pense à un, un, à un au-delà, un invisible et tout ça, eh ben, là, évidemment, y a la tentation pour de très grands metteurs en scène ou de très grandes actrices, par exemple Juliette Binoche ou encore Valérie Dréville, ben de, du coup de jouer des, de, de, de, de désincarner les cho…, enfin de jouer, de jouer pour un, pour un au-delà, quoi, de jouer quelque chose qui, qui, qui est pas, qui est pas de la vie sur terre, mais qui est, et ça, ça, ça crée aussi quelque chose qui est comme un…
Ben, c’est sûr.
Voilà. Ça incite pas à la comédie et à l’auto-ironie, ça, c’est sûr.
Heu, ouais, ouais, ouais.
Bon, y a encore ça, mais bon.
Non, non, mais, oui, c’est sûr, c’est sûr. Ben, ceci dit, malheureusement, c’est pas simplement quand on parle de l’au-delà que y a du pathos. Si on essayait de trouver le critère déterminant du pathos, on pourrait pas dire que c’est simplement la préoccupation tournée vers l’au-delà ou les « arrières mondes » comme disait Nietzsche, tous ces espèces de trucs comme ça, mais c’est vrai que, en même temps, c’est très présent, c’est comme les écrivains qui sont obsédés par la postérité, du coup ils passent à côté de, de leur vie ou de leurs, de leurs livres. Heu, je pense que la postérité pour l’acteur, c’est effectivement l’au-delà, heu, le religieux, et le religieux, ben, ça peut prendre aussi des formes très, très humaines, style, pourquoi je te parlais d’Artaud, Artaud qui a fait une œuvre contre la religion et qui est devenu une religion au théâtre insupportable. Et c’est difficile de, de trouver le critère déterminant, mais de la même manière que c’est, c’est absolument difficile, c’est très, très difficile de trouver le critère déterminant de ce qui nous sort du pathos parce que c’est, les solutions qu’inventent des artistes à chaque fois très singuliers, à ch…, et dans des univers absolument différents pour nous sortir de ça et pour avoir juste ce regard de, de, quand on parlait de l’humour, ben, c’est, là, y a absolument pas de recette. Mais y a vraiment une affinité élective entre, entre, entre tous les écrivains très drôles. Par exemple entre Thomas Bernhardt – plus ses romans d’ailleurs que ses pièces de théâtre – y a, y a, vraiment… Tu sens qu’à chaque fois c’est quand même, c’est ça que je te disais au début, et ça j’y crois, j’y crois très, très dur même si je l’exprime très mal, c’est qu’il y a vraiment deux familles d’écrivains et je pense qu’il y a vraiment deux familles d’artistes, fondamentalement, et que cette ligne du pathos elle est, c’est un divisor de águas comme on dit en brésilien, un diviseur des eaux, parce que si y a vraiment ceux qui se prennent le matériau expressif comme une arme de guerre contre la, le, le romantisme et les, les, le pathos et puis il y a ceux qui l’utilisent – et c’est pour, c’est pour ça que j’ai eu beaucoup de mal à lire Duras – je te disais l’autre jour – qui l’utilisent pour, d’une manière ou d’une autre, l’exalter – d’une manière fine, intelligente ou pas, mais qui consiste à dire : Ah ! J’ai mal et je vais vous le dire. Je vais vous le raconter. Ah ! Je souffre, je ne me sens pas bien, je suis dans un état de malaise, dans un état de mal-être et le monde ne me convient pas et je vais vous le dire. Donc, si tu veux, entre ceux qui sont dans cette position-là – t’as qu’à regarder à la télévision quand on interview un écrivain – t’as vraiment ceux qui : Alors vous avez souffert de ça ? Oui, en fait, ça raconte l’histoire d’une nana... Et alors on est dans l’exaltation, dans l’expressivité d’une douleur. Ou alors tu as vraiment des, des tirailleurs, des franc-tireur de ça et qui construisent des œuvres tout à fait à l’opposé, pour qui la littérature, c’est une arme de guerre contre, heu, contre, heu, contre, heu, cette mélopée. Mais pourquoi est-ce que c’est important, pourquoi est-ce que la littérature est importante dans cette histoire là ? Parce que, tu sais, la phrase de Chamfort : « Personne ne tomberait amoureux s’il n’avait jamais entendu parler d’amour. », elle est profondément vraie, c’est à dire que…
La femme, la phrase de qui ?
De Chamfort.
C’est qui Chamfort ?
Un moraliste…
Ah, d’accord…
…français.
…c’est pas le chanteur ?
Peu importe, ç’aurait pu. Moi, je trouve qu’il écrit, qu’il fait de très bonnes paroles. Eh ben, le truc, c’est que, c’est, c’est, ce qui est, pourquoi est-ce que c’est grave ? Parce que les gens souffrent, pas parce qu’ils ont mal, ils souffrent parce qu’ils ont un regard sur leur propre douleur physique qui est conditionné par du langage et du discours. C’est à dire que les gens souffrent pas de la même manière en Afrique ou ici ou à Cuba ou, tu vois. Y a des choses qui nous font souffrir parce qu’on les dit, parce qu’on est habitué à les dire. Dans tous les cas des névroses, quatre-vingt-dix-neuf pour cent des névroses, ce sont des discours. Donc on adopte ces discours comme on adopte des modes vestimentaires…
Exactement, oui, oui.
…sans s’en rendre compte. Et pourquoi la littérature en première ligne pour lutter contre ça ? C’est parce que, elle, elle a à faire avec les discours.
Ouais.
C’est son truc, les discours. Les discours des gens, Madame Bovary, son truc. C’est le, le, c’est l’affaire de Flaubert de dénoncer le bovarysme.
Ouais.
Eh ben, c’est l’affaire des écrivains de dénoncer ces discours névrotiques qui sont, qui sont en circulation tout le temps, tout le temps.
Ouais.
Donc, c’est là que, si tu veux, se joue la vraie partie, à mon avis, de la littérature.
Ouais, ouais.
Bon, mais ça, voilà, ça, c’est, c’est une conviction profonde, si tu veux, que j’ai et qui, pour moi qui, qui, qui définit tout le rapport que je peux avoir au théâtre. Ce qui me rends tes, tes, tes textes – et je dis tes textes…
Ouais, ouais, ouais. Non, mais c’est…
…parce que c’est très écrit – si lumineux et puis beaucoup, beaucoup parce que je vais y retourner là, mais je sais que je vais m’emmerder, beaucoup de pièces très emmerdantes. Parce que je n’ai plus cette, cette déprise par rapport au discours, parce que j’ai l’impression d’être dans un certain discours.
Ouais, ouais.
Alors, ça peut être la névrose, ça peut être le romantisme, ça peut être… C’est des discours qu’on connaît par cœur, tu vois.
Kafka, il disait ça aussi.
Qui ça ?
Kafka, je pense. Mais je retrouve pas la citation quand il dit : « Sauter du, hors du rang des criminels »
Ah, oui : « Hors du rang des meurtriers. » « Écrire, c’est faire un bond hors du rang des meurtriers. »
Quelque chose comme ça.
C’est ça, la citation. Merveilleuse.
Kafka dont, d’ailleurs, on dit que c’est plus drôle qu’on pense.
Mais c’est extrêmement drôle Kafka ! Mais c’est extrêmement drôle, mais Kafka ! Mais c’est, c’est, c’est extraordinaire ! C’est l’équilibre parfait entre la tragédie, l’humour complet, une légèreté extraordinaire et en même temps une profondeur métaphysique, heu, sans égale. Donc, oui, ben, alors là, si on… On devrait terminer sur son nom, d’ailleurs, parce que c’est…
Mais…
Non, mais c’est vrai.
…on pourrait pas terminer en disant, en revenant à Dada, si y a un rapport avec Dada.
Ah, oh, je suis sûr qu’il l’aimait beaucoup, hein.
Comment ?
Il faut qu’on parle un peu de Dada ?
Ben, par exemple, on peut parler de Dada, ouais…
D’accord.
…ouais, ouais. Parce que, parce qu’on m’a demandé de faire un…
Y a longtemps que je suis pas revenu à Dada. Mais je pense que si, si on, si on…
Ben, on voit bien dans Dada, on voit bien, en tout cas, les, qu’il y a, en effet, un espèce de saut vital, vivant…
Oui.
…heu…
Insurrection.
…hors d’une époque, quoi, hors d’un, hors d’un climat, ça c’est sûr, hein ?
Ah, oui, oui. Tout a fait, tout à fait. Et une insurrection qui se fait sur la forme, sur l’expressivité, justement.
Ouais, ouais.
Cette façon de marteler parce que une bonne partie de la poésie Dada, c’est quand même du martèlement, presque du non-sens, mais c’est justement pour remettre vraiment en question l’espèce, l’expressivité en cours, n’est-ce pas, la façon dont les gens exprimaient leurs, leurs, leurs sentiments comme on dit, et, et c’est, en ce sens là, le travail de Dada a été vraiment très, très intéressant parce qu’ils ont coupé, ils ont cassé les, le, le, le jouet, quoi, pour en inventer d’autres et ça, c’est, c’est vraiment, c’est une très belle insurrection et puis ça s’est fait, ça, c’est, c’est, c’est toujours des miracles quand ça se produit – mais ça s’est fait avec les autres arts, avec la peinture…
Ouais, ouais. Ouais, ouais. Ouais, ouais.
…ça s’est fait avec le théâtre. Ce qui manque aujourd’hui complètement. T’as vu qu’aujourd’hui, y a une désolidarisation totale des, des, des arts. C’est à dire que des mouvements artistiques, d’abord y en a plus, et ensuite des mouvements qui ont vraiment une, une, comme ça, qui font appel à tous les arts en même temps, ça, ça, ça a disparu. Ça reviendra peut-être, c’est pas forcément un mal, mais, disons que c’était quand même très impressionnant.
Pourtant la question du pathos, par exemple, c’est les, c’est, c’est sûrement très présent dans les arts plastiques aussi.
Bien sûr. Bien sûr. Mais les gens travaillent en, séparés, aujourd’hui, hein ? Et puis, bon, c’est ce qui fait qu’il y a de très belles rencontres, hein, aussi. Les gens travaillent séparés. Bon, ben, c’est la crise des avant-gardes aussi. On veut plus d’avant-garde alors forcément les gens restent dans leur coin et essaye de travailler différemment, mais, mais c’est vrai que y a des grandes solidarités entre, entre certains peintres et entre, ouais, sur cette question là.
Et alors, heu, quand il, tu lisais l’autre fois le truc de Haztfeld, là – Jean Haztfeld ? – sur le génocide rwandais…
Ah, oui, oui, tout à fait. Ouais, ouais.
…et…
Très beau texte.
…presque tu disais que t’en, que tu avais besoin de ça parce que le problème…
Ah, oui, c’est vrai.
…c’est que si tu traitais pas du pire directement…
Ouais, ouais.
…tout le reste – ça c’est mystérieux un peu, pour moi…
Ah, ouais.
…mais, parce que tu parles de, d’un texte que je ne connais pas, mais – tout le reste, ce serait la métaphore du pire et…
Ouais, c’est vrai, c’est vrai, c’est vrai.
…du coup, il, du coup il valait mieux…
Ah, ouais, ouais.
…abordé le sujet directement à un moment.
Ouais, ouais, mais ça, c’est un problème qui, qui est lié à mon propre travail, mais ça, je m’en suis aperçu maintenant – ça m’est très, très pénible – c’est que je pense qu’effectivement, que si tu vas pas directement dans la description du pire, tu es, tu es menacé en tant qu’écrivain – et peut-être aussi en tant que homme de théâtre, je sais pas – tu es menacé de faire, heu, que ton propre travail soit toujours une métaphore du pire. C’est à dire que, heu, tu ne traites le pire que par métaphore, par éloignement, tu vois. C’est comme si le pire était un centre et qu’il y avait des cercles autour du centre et que toi tu es au troisième, au quatrième ou au septième cercle.
Mais pourquoi ça fait ça ?
Parce que, de toute façon, l’art a à voir avec le pire, de toute façon. Après, on verra comment il traite, si tu veux. Chaque artiste le traite différemment, hein, Dante ou, etc. Mais, de toute façon, disons, l’art, s’il veut avoir un tant soit peu de conséquences – ça fait drôle de parler de l’art comme ça, avec un grand A – eh ben, il, il, il doit traiter de ça. Ben, dans tes propres spectacles, y a cette dimension d’humour, mais on sent, effectivement, et je pense notamment dans le dernier, si tu veux, c’est, y a des passages pas du tout drôles. J’étais avec une amie, bon, elle m’a dit qu’elle a carrément eu peur, tu vois, à certains endroits, et c’est très bien, c’est parce que c’est, parce que qu’est-ce que ça a réveillé ? Ça a réveillé certaines vérités de fond sur la mort sur, heu, le, sur le, bon, ben, la tragédie, alors pour le coup, d’être…
Elle a eu peur où ? Dans mon spectacle ?
Oui.
Ah oui ?
Dans un certain cri, si tu veux, à un moment donné…
Ah, oui, y a une crise quand même.
…avec l’épée, etc…
Ah, ben, ça, oui.
…avec cette espèce de crise. Et ça a vraiment fait, rempli sa fonction. Et, effectivement, c’est très important que ça soit présent. Imagine que ce soient que des blagues, ton spectacle, ça marcherait pas.
Ah, ouais, ouais. Ouais.
Bon, alors, donc, ça veut dire que tu as une conscience intuitive que il faut qu’il y ait le noir. Et ça, c’est vrai de toutes les grandes œuvres. Même un livre drôle, je parle pas, évidemment, du Voyage au bout de la nuit qui, vraiment, qui prend ça au centre, dans les mains, mais même un livre drôle comme, par exemple, je sais pas, Philip Roth, celui que je suis en train de lire : Le théâtre de Sabbath qui est un livre très drôle, une comédie sexuelle, bon, y a cette dimension, là, noire. De toute façon, il faut la traiter, tu peux pas écrire un livre léger. Moi j’ai essayé de le faire, je me suis planté et c’est très mauvais. Je déteste relire ce que j’ai fait dans ce sens là. Mais, je pense que… Précisément, pourquoi c’était très mauvais ? Parce que…
Tu voulais le faire avec quoi ? Avec Festivité locale ?
Ou le deuxième plutôt dont je, dont je tairais le nom. Bon, c’est des trucs, mais ça, c’est un parcours, si tu veux, je fais ma propre psychanalyse, c’est à dire que c’est pas bon. C’est à dire que il faut traiter le mal directement et, après, tu peux, à l’intérieur de ce traitement là, faire, tracer des lignes d’humour, mais si tu le traites pas directement, les gens vont dire : Oh, ben, ce type, il est un peu léger, quand même.
Ouais, ouais.
Il a, il a, je crois qu’il a pas tellement souffert, il a pas tellement compris ce que c’était qu’exister. Alors ça, c’est très emmerdant, tu vois. Alors tu te dis : Bon, très bien, je, je, je prends note et puis je vais traiter di…, la chose différemment. Même si c’est ridicule, en un sens, mais il vaut mieux le faire.
Y a toujours le problème de pas être pris au sérieux ! Mais dès qu’on, dès qu’on a de l’humour, on est tout de suite soupçonné d’être potache. D’ailleurs, heu, d’ailleurs, c’était, je suis…
Oui, c’est vrai.
…bien content de voir que les dadas ont revendiqué…
C’est vrai.
…le côté potache parce que, moi, on m’a tout de suite, évidemment, fait tomber ce mot-là sur la, sur la figure.
Ouais. Ouais.
Moi, j’adore, mais…
Ouais, ouais, bien sûr. Mais, tu vois, c’est quand même bizarre parce que si on relie les deux choses : ce qu’on a dit précédemment sur l’époque qui est tragique et donc ce qu’on aimerait, c’est que des artistes arrivent avec un humour extraordinaire, très différents les uns des autres, mais ou, nous déprennent de cette tragédie, que la fonction de l’art, ça soit ça, ce soit quelque chose comme un grand courant d’air frais de, de, comme ça, heu, à l’intérieur d’un, d’un marasme qui est, qui est, bon, ben – et, et, si on relie avec ce qu’on vient de dire, eh ben, moi, je sais que j’espérais, quand j’ai commencé dans le métier, heu, quand j’avais vingt ans, j’espérais que, si tu veux, mes livres soient que des bouffées de bonheur pour apprendre au jeu éthique et, pour, pour se déprendre, et puis tu te rends compte qu’on te prend pas au sérieux. Alors si on te prend pas au sérieux tu dis : Bon, écoutez, moi je suis comme vous, je sais très bien ce que c’est que souffrir, je peux aussi faire semblant de souffrir…
Oui.
…comme vous, hein, si vous voulez que je fasse semblant, je vais faire semblant.
Ouais.
Bon, alors, évidemment, la solution, c’est pas de faire semblant de souffrir, mais puisque l’époque est si lourde…
Ouais.
…que même la légèreté, elle la pénalise…
Ouais.
…elle la taxe tout de suite de potache, comme tu dis, ou de, d’autres trucs…
Ouais.
…alors autant traiter directement du mal…
Ouais.
…mais à ta propre manière…
Ouais.
…c’est à dire sans pathos, et, là, je pense que c’est dans la bonne équation. Moi, j’en suis arrivé là.
Ouais, ouais, ouais. Je suis d’accord. C’est un peu mon parcours aussi.
Bon, ben, tu vois. Y a une certaine…
Mais alors tu sais humour, c’est un mot français, un vieux mot français, mais qui est passé en anglais, et, heu, c’était, c’était humeur, ça venait d’humeur bien sûr, et puis c’est passé en anglais, ce qui fait qu’au XIX e siècle, je crois…
Humor.
…c’était vraiment, heu, le mot anglais, c’est à dire que c’était une définition d’une chose typiquement anglaise, l’humour. Alors que le français, en France on disait de l’esprit, avoir de l’esprit ou quelque chose comme ça. Il me semble que c’est ça, hein. Et, alors, pourquoi je dis ça ? Oui, par rapport à l’Angleterre.
Parce que tu voulais absolument qu’on parle de l’Angleterre !
Bon, laisse tomber. Non, non, mais c’est, c’est, non parce que c’est vrai que les Anglais, ils ont un, ils ont un sens presque génétique de l’humour et qu’ils sont, heu, comme dans les cafés, quoi, par exemple, dans les cafés, y a pas besoin d’être professionnel de la stand up comedy pour, heu, pour pouvoir faire rire dans les cafés.
Ouais, c’est vrai.
C’est quand même très fort.
C’est vrai, c’est vrai. Mais tu vois, alors, pour le coup, moi j’ai toujours préféré l’humour américain.
Ah, oui ?
On parle jamais de l’humour américain.
Ah, ouais.
L’humour anglais, évidemment, c’est, c’est, c’est… Mais, alors, ce qui, j’ai un problème avec l’humour anglais, c’est que c’est trop fin pour moi, moi, j’aime dans l’humour la simplicité et le côté potache me ravit, si tu veux, l’humour juif américain, heu, cette espèce de, de, d’humour basé sur le non-sens, heu, qui n’a… C’est une phrase, c’est pas à comprendre au troisième degré comme les Anglais, c’est vraiment d’une simplicité mais stupide.
Ah, ouais.
L’humour stupide, ça, c’est, c’est le comble de l’humour pour moi et les Brésiliens aussi sont très, très drôles.
Ah, ouais.
Ils ont un sens de l’humour extraordinaire.
Ah, ouais.
Y a un type qui s’appelle Millôr Fernandes qui est, qui est le, l’Oscar Wilde des Brésiliens.
Ouais.
Bon, c’est un humour extrêmement simple, mais c’est ravageur. Et je trouve que les, que les Américains sont beaucoup plus drôles, me font beaucoup plus rire, même les comédies des années trente, Groucho Marx, tout ça, bon, ben, ça, c’est le pied, c’est vraiment le pied. L’humour, voilà. Mais on était dans toutes ces gammes d’humour, toutes ces, toutes ces, ces, ces… Je, il me semble que y a un type qui a écrit L’arc-en-ciel de l’humour, un truc comme ça…
En brésilien ?
Non, en français, je me demande même si c’est pas… Comment il s’appelle, cet auteur ? Et il a écrit aussi, heu, L’homme de l’humour, je crois. Et pour montrer… Oui, mais c’est sûr, comment il s’appelle ? Maintenant ça me revient, ah ! J’arrive pas. Et pour montrer, parce que tu sais on parle d’humour noir, alors il dit, il dit : Certes il y a l’humour noir, mais y a le violet, y a le bleu ciel, y a le machin et alors il décrit tout ça.
Ouais, ouais.
C’est vrai que c’est merveilleux. Moi, je me suis toujours senti plus proche des Américains que de l’humour anglais.
Et l’humour américain, alors, c’est quoi ? Par exemple, alors, c’est, c’est Woody Allen, bien sûr, et puis, et puis qui ?
Heu…
Peut-être pas Woody Allen, je sais pas.
Heu, alors il faudrait donner des noms ? Tu sais, je sais pas leurs noms, mais je pense à ces présentateurs, parce qu’ils ont beaucoup de…
Ah, ouais, ouais.
…Late night show, des choses comme ça, tu sais…
Ah, ouais, ouais.
…et je regardais sur, à la télévision américaine, je peux pas donner un nom comme ça…
Non, mais c’était juste pour moi, pour, heu, pour, heu…
…mais y a un type extrêmement drôle, alors, et puis, alors, là, il me semble que c’est vraiment une très, très bon, très représentatif des mouvements américains, mais, alors, là, ça y est, c’est la crise des noms, c’est un auteur, heu, américain, heu, très, très drôle, qui est, qui est typiquissime, mais c’est un romancier, en plus… Mark Twain !
Mark Twain.
Mark Twain. Y a des perles de Mark Twain et tu verrais que c’est un humour qui est beaucoup moins basé sur le…
C’est quelle époque ?
…double, double s…, double understanding, tu vois, le s…, sens sous-jacent. C’est beaucoup plus, c’est direct, c’est à dire : t’as rien à comprendre, t’as tout à rire tout de suite, c’est à consommer tout de suite, comme des bananes et ça, c’est génial, moi, c’est l’humour que je préfère.
Et c’est quelle époque ?
Oh, c’est, c’est tout début XX ème.
Tout début XX ème ?
Ouais, ouais, ouais. Très, très, très, très drôle. Ah, ben, voilà, justement parce que y a quelque chose beaucoup plus down to earth, de plus terre à terre chez les Américains et j’aime beaucoup l’humour terre à terre, en fait. Mais, bon, heu, y a un type extrêmement drôle, je te le dis parce qu’il est pas très connu, puis ça peut être une référence, c’est Tucholsky. Tucholsky a écrit des choses extrêmement drôles. C’est un Juif qui, qui est, qui est mort, ben, je crois que oui, il s’est suicidé, me semble-t-il, hein, pendant la, je sais pas si c’est pendant la guerre, juste après ou juste avant, un Juif donc, et, heu, il a, il a aussi une approche, un peu comme Karl Krauss, complètement désopilante, heu, heu, de, de, enfin, comme ça, du réel, et ça c’est génial, encore un autre, un autre degré, une autre famille d’humour, l’humour, heu, heu, autrichien ou allemand, heu…
Ah, oui, ça, là, on est plus en Amérique.
…début du siècle. Là, on est vraiment dans l’humour cynique, acide, voilà, acide, alors que l’humour américain reste quand même très, très chaleureux, quoi, comme l’humour brésilien. Les Brésiliens ont un humour sur eux-mêmes qui est extraordinaire. C’est un pay…, c’est un peuple très drôle, c’est le peuple le plus drôle que j’ai rencontré, moi. C’est là où j’ai le plus ri.
Brésiliens ?
C’était au Brésil.
Ah, oui ?
Ah, c’est sûr. Et alors ce qui m’a toujours fasciné, parce que les Anglais ont un vocabulaire sans fin, donc des capacités de jouer sur les sens…
Ouais.
…qui sont infinies, alors que les Brésiliens tournent autour de vingt mots.
Ah, oui.
J’exagère, mais c’est presque ça. Mais, avec vingt mots, il créent des, des, enfin, c’est des, c’est des perles à chaque fois.
Ouais.
Oui, voilà, donc ça, c’est, ça, c’est assez fascinant.
Ah, ça, c’est la plus belle virtuosité, avec très peu de moyens.
Voilà, c’est ça, c’est un peu l’Arte povera.
Ouais. Bon.
Les Français, je sais pas s’ils ont de l’humour, peut-être qu’ils ont de l’esprit plus que de l’humour, mais ce serait triste parce que je préfèrerais qu’on ait de l’humour, mais on s’en rend pas compte, c’est comme nos propres…
T’as vu le travail de Luchini ?
Oui.
C’est intéressant ? J’ai jamais vu.
Moi, je trouve que c’est quelqu’un qui est évidemment doué, mais, bon, ben, c’est, c’est, je trouve qu’il en fait trop, quoi.
Il en fait trop ?
Maintenant, on va dire du mal des gens ?
Non, non, c’est parce que, en fait, avec la résonance, des fois, tu, tu me don…, tu me donnais l’impression de, de Luchini. Excuse-moi.
Oui, ben, voilà, je, c’est sans doute qu’il faut arrêter. Là, tu me tues, là. « Yves-Noël m’a tuer ». C’est de ta faute, t’avais qu’à pas m’interviewer aussi.
Bon.
On y va ?
Ouais.
Alors tu vas venir au Louvre ou pas ?
Oh, je veux bien t’accompagner.
Notes :
David Di Nota est un ancien danseur de l’Opéra. Il a trente-cinq ans. Il est, pour moi, l’un des plus grands écrivains français. Il est publié chez Gallimard. Il est aussi gardien de musée au Louvre le week-end.
L’entretien a été enregistré dans un appartement vide, le vendredi 28 octobre 2005.
Les deux spectacles de moi auxquels David Di Nota se réfèrent sont Pour en finir avec Claude Régy, présenté aux Laboratoires d’Aubervilliers et Le Dispariteur, à la Ménagerie de Verre.
Cette bécasse d’Ariane Mnouchkine a dit à Julie Brochen qu’elle m’avait trouvé formidable, mais qu’elle – « C’est toi, Julie qui lui a dit ? » – n’aurait pas dû me faire dire « C’est affreux » dans un sourire. « Là, tu vois, tu es trop intervenue, en tant que metteur en scène, parce que quand c’est affreux, c’est affreux ! »
L’éventuel titre vient d’une phrase de Philippe Sollers dans « Le Journal du dimanche », du 31 octobre 2005 : « Même l’humour noir de Dada est récupéré dans le grand tombeau du musée. »
L'Arc-en-ciel des humours et L'Homme de l'humour, de Dominique Noguez.
Héléna Villovitch m’a dit, hier, que pour les interviews pour « Elle » qu’elle faisait, elle réécrivait tout, c’était ça la méthode et, deuxième point, il fallait que les gens aient l’air plus intelligent qu’ils ne sont. Alors, là, méthode inverse, j’ai rien réécrit et, forcément, on a l’air plus idiot qu’on est (surtout David, moi encore…) Mais c’est pas « Elle », c’est « Mouvement » et c’est Dada, n’est-ce pas ?
Yves-Noël Genod
ALWAYS TIME FOR COMEDY !
L’humour noir de Dada
Yves-Noël Genod / David Di Nota
« Ibsen n’a pas d’humour, donc je n’irai pas le voir. »
Bertolt Brecht, Journal de travail.
« …je compris également que l’ironie, le comique, l’humour devaient mourir, car le monde à venir était le monde du bonheur, et ils n’y auraient plus aucune place. »
Michel Houellebecq, La possibilité d’une île.
…là où la force poétique est incroyable, c’est que – que tu ailles à la guerre ou que tu sois objecteur de conscience, l’important, c’est ce que tu en retires en terme esthétique – et un type comme Dada, enfin, évidemment, heu…
Alors…
…le groupe Dada, heu, pouvait résister…
Là, ça enregistre, hein, quand ça tourne ?
…pouvait, heu… Allo, allo. Oh, ouais. Oui, ça enregistre, c’est sûr. Et, heu, ah, oui, tiens, j’ai pas éteint mon…
Donc… On s’en fout, mais…
Ça va nous embêter aussi.
Non. Et puis on s’en fout. Tu peux laisser le…
Non, non, mais ça va nous gêner, aussi, attends, je vais mettre sur silence. Heu, comment on met sur silence ? Autre. Tiret silence. Voilà. Et, heu, alors – c’est juste une parenthèse pour dire que ce qui est merveilleux, c’est que on peut être objecteur de conscience comme Dada dans leur cabaret ou on peut partir à la guerre la fleur au fusil comme Apollinaire, mais ce qui est extraordinaire dans, dans la littérature en question, c’est que, peu importe finalement les positions politiques, c’est, le plus important, c’est ce que tu en extrais et les deux, en partant de faç…, dans des directions absolument opposées, ont composé des œuvres tout à fait remarquables. Donc c’est ça qui est toujours troublant dans le rapport politique / littérature ; c’est que on peut être collabo, bien que je pense que Céline n’a absolument pas été collabo mais on peut être, disons, catalogué collago, heu, collabo comme Louis-Ferdinand Céline ou bien résistant, heu, bon, comme Vercors ou Camus, et, et, écrire des œuvres très, très conséquentes. Donc y a vraiment un fleuve… – ça veut pas dire que les écrivains sont apolitiques – mais y a vraiment un autre rapport au monde, au, au, à la cité, à travers la littérature et cet autre rapport, il ne passe pas par ces étiquettes là. Donc, c’est toujours troublant de voir que des gens qui sont partis dans des directions opposées… Je pense que c’est toujours valable aujourd’hui. …sont partis dans des directions opposées, composent des œuvres très, très, très, très fortes, très, très conséquentes. Donc, c’est toujours beau parce que ça veut dire que on va bien au-delà des oppositions politiques en littérature. Enfin, bon, voilà, c’était juste pour terminer sur l’histoire du pacifisme de Dada. Moi, ça me fait toujours chaud au cœur que la littérature apporte beaucoup plus de subtilités…
…dit fallait faire attention à la table.
Ah, ouais, tout à fait.
Alors, si on donne des coups de pieds.
Non, non, je, ça marche impec.
Alors, euh, alors…
Alors. Bonjour.
Bonjour.
Bonjour.
Non, c’était l’autre fois, c’était, on ét…, tu parlais, tu disais qu’au théâtre le problème du pathos se voit encore plus, un peu comme la politique, le problème de la politique, en Afrique.
Tout à fait.
Alors, heu, moi, c’est vrai que j’ai un problème avec la tragédie au théâtre et…
Ah, oui.
…j’ai du mal à sortir du théâtre et à être mal à l’aise et toi tu disais même que, heu, pour toi, voir un spectacle de théâtre où il y ait pas d’humour, sous quelque forme que ce soit, c’était même impensable.
Ah, oui, tout à fait, c’est même… Oh, c’est joli. Enfin…
Depuis j’ai vu la, une pièce magnifique où je devais peut-être jouer, d’ailleurs, la…
Sans blague ?
…Robespierre, La mort de Danton, tu sais ?
Sans blague ? Formidable !
Et Robespierre, c’est génial comme rôle, en effet, oui, moi, je le comprends très bien.
Oh, mince !
Mais la pièce est géniale pendant tout un moment…
Et ça s’est pas fait, pourquoi ça s’est pas fait ?
…où, moi, je prenais beaucoup de notes. Parce que le, finalement, le metteur en scène, c’était une idée qu’il avait, avec moi, puis finalement il le joue lui-même, très bien, d’ailleurs.
Dommage, t’aurais bien fait.
Oui, j’aurais bien fait.
Mais… On ne sait jamais, ça peut se passer.
Alors, du coup, bon, la pièce, je sais pas si tu la connais, mais elle est super bien et moi je prenais des notes jusqu’au moment où ça devient une tragédie…
La mort de Danton.
…et, là, je trouve que c’était très ennuy…, c’est devenu raté, raté.
Voilà, voilà, ouais, ouais. Mais les Allemands sont très forts dans la comédie…
Mais peut-être pas…
…alors qu’ils s’obstinent à faire de la tragédie.
Non, mais là, là, c’était pas un metteur en scène allemand.
Non, mais je parle des textes. C’est à dire les, très, très souvent, très souvent… Enfin, bon vas-y, excuse-moi, je t’ai coupé la parole.
Est-ce qu’il faudrait vérifier ? Ça résonne. On vérifie quand même ?
Si tu veux, oui. Vérifie une fois, ouais. Vérifie une fois comment ça…
Comment on fait ?
…ce que ça…Tu dois appuyer Stop et Play.
Papapapa, papapa. Bon, alors, ça va peut-être, je sais pas, mais ça marchait, ça a peut-être effacé ce qu’on a dit, donc, heu…
Oh, c’est pas grave.
…alors ce sera encore à recommencer, mais…
Ok.
Non, peut-être pas, d’ailleurs, parce que c’est marqué GP01 003. Je sais plus.
Bon. Vas y.
Alors, La mort de Danton, c’est une pièce que Brecht, il aimait bien ?
Oui, beaucoup, beaucoup. Ce qu’il adorait, Brecht, ce qui l’a presque décidé à faire du théâtre, c’est Wedekind, le fameux, le fameux Éveil du printemps qui est effectivement une pièce électrique, géniale et qui, justement, qui ne tombe pas dans le pathos alors qu’on parle de la sexualité enfantine…
Mais c’est pas, c’est pas…
…de toute sorte de sujets…
…c’est pas Büchner, ça ?
Non, non. Tout à fait. Wedekind. C’est, c’est un… Voilà. Je pense que c’est, voilà, fin du, fin du XIX ème, quoi. Et ça, c’est vraiment du très, très, du très, très beau théâtre, mais c’est justement électrique, c’est à dire que tu tombes pas dans cette histoire de pathos. Mais l’histoire du pathos, pourquoi on est lancé là-dessus, au théâtre ? Parce que, il me semble que, si tu veux, l’idée de départ qui était un petit peu notre, le point de rencontre, c’est que, le théâtre, il est absolument en, il est en première ligne pour combattre ça et, bizarrement, quatre-vingt pour cent des pièces qui se jouent – bon, je vais, je vais pas voir cent pour cent des pièces mais, à chaque fois que j’y vais, je peux retenir que vingt pour cent de ce qui me paraît conséquent parce que le reste tombe dans ce pathos. Là où le théâtre serait le mieux à même de dénoncer le pathos, en fait, il le, il le perpétue, alors, dans des, dans des drames, des tragédies qui sont insupportables à écouter, qui sont en plus indécentes, presque indécentes éthiquement, parce que c’est ça, le problème du pathos, c’est que c’est indécent. Quand heu, comment il, quand Lautréamont dit dans les Poésies qui est un texte vraiment essentiel, écrit que, il, heu, heu, tu ne, « l’homme ne créera pas le malheur dans ses livres », bon, ou sur une pièce ou ailleurs, sur une scène ou ailleurs, c’est vraiment parce qu’il a une sensation que, enfin, il a un sentiment éthique par rapport à la douleur parce que, évidemment, que la douleur existe, il s’agit pas de le nier et de dire que tout est rose, mais y a une façon, y a une façon de le traiter au théâtre, et ce qui se fait au théâtre, c’est quatre-vingt pour cent des cas, une façon d’exalter une sorte de mal-être, de malaise ou, ou de prendre sur ses épaules le malheur du monde en remontant éternellement des pièces qu’on essaye absolument de montrer comme étant actuelles alors que les, les problèmes sont quand même très, très différents. Heu, Racine et Corneille sont des auteurs extraordinaires, mais enfin, bon, c’est quand même pas exactement la même chose qu’on vit aujourd’hui et ce qui est très embêtant, c’est que, heu, le théâtre, au lieu de combattre – alors qu’il est absolument fait pour ça, c’est à dire qu’il peut dénoncer la, la comédie de la douleur mieux que n’importe quelle autre forme artistique, eh bien – regarde Molière ! – , eh ben, c’est toujours le contraire qui se produit, alors, ça, c’est très décevant et je pense que ça joue beaucoup sur le, l’espèce de, de, de, comment dire, de fatigue d’aller au théâtre qui, qui, qui est le, si présente aujourd’hui.
Alors, y a le problème de la tragédie parce que la tragédie, ça appartient au théâtre, mais, mais, ce qu’on disait l’autre fois, tu penses que la tragédie est devenue redondante à notre époque parce que le s…, parce que l’époque est tragique déjà elle-même.
Ah, oui, c’est vrai on disait ça aussi.
C’est à dire qu’il y a une, à cause d’une sensation de mauvaise conscience.
Tout à fait.
Une sensation de la mauvaise conscience qui est générale et qui n’était pas forcément dans les siècles précédents où on pouvait massacrer son voisin sans forcément avoir mauvaise conscience, c’est ça ?
Exactement. Tout à fait, tout à fait.
Alors, j’y pensais avec La mort de Danton parce que je me disais, parce que là, c’était en effet très appuyé sur ça, sur la mauvaise conscience et je me disais que peut-être la, peut-être, quand la pièce avait été écrite, c’était pas, on n’en avait pas la même perception.
Ah, oui, tout à fait.
Mais je sais pas.
Ah, non, non , mais je suis, je partage tout à fait ça. C’est justement ce qui est si particulier parce que quand on dit…
Tu partages tout à fait ça parce que c’est toi qui l’a dit.
En plus, oui, je suis d’accord avec moi-même. Mais c’est pas toujours le cas ! Non, non, mais écoute, le truc, c’est que, non, mais je…
« Mais vous êtes d’accord… »
Écoute, toutes les fois que tu diras quelque chose que j’ai dit, heu, non, mais ce qui est, ce qui est vraiment, si tu veux, les époques bougent, heureusement, donc y a un sentiment que le tragique se déplace et c’est évident que les, au XVII ème siècle, ils avaient un certain sens de ce qui, de ce qui ne va pas et de la douleur, voir après Voltaire et le tremblement de, de Lisbonne, et tout ça, donc, ils ont le sentiment, quand même, y a un malheur universel qui s’abat et donc ils en ont très conscience, mais aujourd’hui on peut dire que ce malheur universel, enfin, la conscience que le mal, que le, que le monde tourne mal, ça, c’est quelque chose qui est, c’est presque le B-A BA du spectateur devant sa télé, enfin, c’est vraiment quelque chose de… Alors le théâtre a pas à nous éclairer sur ça, c’est, au contraire, de nous donner une sorte de liberté par rapport à la douleur qu’il doit servir et c’est cette liberté qui manque, c’est ces, c’est ce travail de libération, de déprise qui manque énormément. Ce qui fait que les gens continuent à jouer des pièces comme s’il fallait nous éclairer sur le malheur du monde alors qu’on est déjà éclairé sur le malheur du monde et qu’il faudrait plutôt nous initier à, à, à, à sortir de ce pathos parce qu’avec la douleur vient le pathos, malheureusement, qui est le discours sur la douleur que prend celui qui ne souffre pas, heu, sur ses épaules, voilà. Quand celui qui ne souffre pas prend la douleur de l’autre sur ses épaules, ça devient du pathos.
Alors, bon, le théâtre, c’est aussi, heu, c’est, en fait, aussi, le cinéma.
Ouais.
Parce que y a, évidemment, à part quelques Bresson, y a, le cinéma, c’est du, pour moi, c’est du théâtre filmé, quoi. Mais, alors j’ai vu Caché de Michael Haneke.
Oui et j’ai, j’ai pas vu.
Tu vois un peu ce que c’est ?
Je vois, mais alors je suis nul.
Alors, là, pour le coup c’est vraiment déclaré que ça travaille sur la mauvaise conscience, sur la culpabilité, enfin, c’est vraiment un film là-dessus et sur la, sur le, la culpabilité qui remonte là, dans le film, à la guerre d’Algérie, au massacre des Algériens dans la Seine en 60, je sais pas si c’est en, dans les années 50 ou 60. Et donc une culpabilité qui traîne depuis la génération précédente.
Ah, très beau sujet, parce c’est vrai que c’est très prégnant.
Oui, après, c’est un enfant qui a dénoncé un camarade à six ans et c’est l’histoire qui ressurgit quarante ans après, etc. Donc on ressort, moi je suis ressorti de là vraiment…
Noué.
…très alourdi, oui, pendant plusieurs jours.
Ouais, ouais, ouais. Bifidus.
Alors, je sais pas, je sais pas pourquoi, parce que, moi, je supporte des livres qui sont noirs comme Houellebecq. Mais je les lis, en général, en vacances au soleil. Ou j’ai lu, par exemple, Voyage au bout de la nuit
Oui, et puis, puis…
…à l’Île Maurice.
…que ce soit le Voyage ou Houellebecq, c’est traversé par un humour formidable. Donc…
C’est ça, oui.
…c’est, c’est, on est bien dans le noir, mais alors y a une ligne de lumière extraordinaire de part leur humour, à ces deux très grands écrivains. Donc ça va, là, on n’a pas de problème quand on, quand on est dans cet uni…, ces deux univers là. Mais ce qui manque, c’est justement cette dimension-là. Mais vas-y, termine parce que c’était…
Non, c’est ça. Ouais, ouais, ouais, en effet que il suffit d’avoir cette perception de l’humour que moi j’ai eu parfois sur certains spectacles de Régy, alors que personne ne rit jamais dans les spectacles de Régy, mais, moi, j’y allais parfois d’une manière si détendue et je connaissais tellement les trucs et que je trouvais ça drôle et puis il est arrivé une fois au deux que des gens rient pendant la représentation – dont moi – mais très peu de gens rient aux spectacles de Régy ! Moi, j’ai ce problème maintenant aussi avec le nouveau spectacle où, là, l’humour est quand même une ligne qui est très, qui est pas appuyée, qui est très en surface…
Oui, qui est pas appuyée mais qui est présente.
Oui, mais qui pourrait disparaître du jour au lendemain, comme ça, très vite, par, heu…
Oh, pas sûr.
… par simplement la perception des gens ou pas grand chose qui ferait que ça, mais je vais essayer d’y veiller, mais…
Ah, je crois pas parce que même la salle…
Parce que, finalement…
…la plus bornée que j’ai vue, même les plus bornés rigolaient…
Ouais.
…ce jour-là. Le fameux lundi, ce qu’on va appelé maintenant le Bloody Monday…
Ouais.
…où les gens riaient pas, eh ben, c’était quand même, y avait quand même des gens qui riaient. C’est à dire que tu l’appuies pas, c’est pas comme dans le précédent spectacle où c’était vraiment un spectacle très, très drôle, mais volontairement drôle, mais tu y réussissais, là, c’est pas appuyé, c’est vrai que c’est, c’est, l’accent est déplacé, mais n’empêche que c’est toujours présent et, moi, c’est la chose la plus précieuse que tu as et je t’ai dit combien je pensais que c’était important que tu, tu conserves toujours une ligne alors, appuyée ou pas…
Ouais.
… mais qu’elle soit toujours là parce que ça fait vraiment unité avec tous les spectacles, moi, j’en ai vu que deux, malheureusement, mais avec tous les spectacles que, que, que j’ai vus et que j’espère que tu feras, c’est comme une sorte de collier, quoi.
Et tu disais, tu disais : « ça rehausse les couleurs ». Ça, c’est bien parce que comme c’est un spectacle dans le noir…
Ah, bien sûr, bien sûr.
…et avec très peu de…
Très peu de…, ouais. Et pourtant, tu vois, c’est bizarre, parce que j’ai pas du tout un sentiment de, en ressortant de ça, d’un sentiment de noir, j’ai plutôt un sentiment de lumière. Alors, va savoir pourquoi !
Ah, oui, bien sûr, on essaye ça, oui, oui.
Eh ben, c’est très réussi. Moi, je, c’est pourquoi je me suis très attaché à ton travail et pourquoi j’espère qu’on va continuer à toujours être en compagnonnage comme ça et continuer longtemps, moi, parce que j’ai vraiment envie de, de, de, de ça, je trouve que c’est extrêmement, extrêmement troublant parce que, moi, je pense beaucoup à ce que tu fais, je repense beaucoup, même si je t’en parle pas forcément beaucoup mais ça, ça m’est très, très cher qu’il y ait cet espèce de développement en parallèle parce que, je te l’ai dit, c’est avant tout parce que tu as trouvé une certaine qualité d’humour et, et les, l’humour c’est exactement comme la couleur, y a des tons, des tonalités et, heu, et, toi, tu as une certaine touche comme ça et, ça, c’est merveilleux, c’est vraiment merveilleux. Je, je – on en parlait avec Olivia – c’est à dire que c’est un humour vraiment qui t’est très, très personnel. Parfois on n’a pas le, on n’a pas le sentiment, c’est comme la couleur de sa propre voix, on l’entend pas, et l’humour c’est souvent le cas, on sait pas à quel point on est individuel dans la manière dont on rit. Mais je pense qu’alors là, pour le coup, au théâtre, tu vois, y a rien de plus singulier que l’humour. C’est à dire que y a pas deux metteurs en scène ou deux auteurs qui rient du monde de la même façon et toi tu as une façon très – si on essaye de la qualifier – mais très enfantine, très innocente et en même temps très, très raffinée et alors – c’est ça qui est peut-être le plus drôle à Paris – très, très parisienne. En même temps de rire de Dolto ou de Lacan, je suis pas sûr que ça ferait rire de la même manière, je sais pas, je voudrais pas être méprisant, ça va sonner tout de suite méprisant si on désigne une autre région de la France. Mais, donc, si tu veux, mais c’est ce mélange là qui fait que on a à la fois l’impression d’une grande, grande innocence et d’une très, très grande, d’un grand travail de lecture derrière, donc, ça, c’est, c’est génial. Moi, je trouve que ce contraste là, je l’ai vu nulle part et c’est très, très intéressant.
Mais moi, j’ai, j’ai…
J’espère que tu le perdras pas.
En fait, je sais pas, parce que, pour moi, l’humour, c’est vraiment lié à la noirceur, en fait.
Bien sûr. Bien sûr.
Je t’avais dit que le spectacle d’Aubervilliers, jusque, jusqu’au dernier moment, c’était un truc très noir et personne pouvait rigoler et ça s’est ouvert avec le public, et c’était simplement, en fait, quelque chose en plus qui permettait que tout devienne léger et de transformer, heu, en direct, justement, une, une espèce de lourdeur, de la transformer en, en joie de vivre, mais c’est, mais quasiment, simplement par le partage avec les gens. Donc c’était, ça venait qu’à, qu’à la f… Et je me disais toujours que si, si, si, alors, si je, si j’avais une vision moins noire des choses, j’aurais plus besoin de l’humour non plus.
Bien sûr, bien sûr.
Je sais pas.
Non, mais c’est, c’est sûr.
Et parfois je me disais aussi que cette vision noire des choses venait, vient que j’étais en thérapie depuis très longtemps. Et que maintenant ça va mieux, j’ai arrêté. Donc, peut-être, j’ai, j’ai, j’ai plus besoin d’hu…, d’humour autant.
J’espère que ça va pas créer des problèmes avec, avec tes pièces après, hein ? Il s’agirait pas que tu deviennes heureux.
« Il a perdu complètement son humour. »
Non, non, mais il s’agirait pas que tu deviennes heureux non plus, hein ?
Non, parce que c’est sûr que dès qu’on parle de psychanalyse, on est dans l’humour total…
Ah, c’est la chose la plus drôle !
…parce que cette chose est tellement grotesque.
Ah, mais c’est la chose la plus drôle ! Alors, c’est ça qui m’a tellement passionné au début quand j’ai vu ton premier spectacle, c’est que, c’est vrai que la psychanalyse, c’est, c’est du pain bénit, c’est du pain…
Oui, oui.
…mais c’est extraordinaire ! Bon, Freud, c’est un génie. Alors, après, il a écrit une œuvre extraordinaire, mais alors, ça, ça, ça a donné lieu à des tics incroyables et des gens se sont mis à avoir des névroses juste pour aller chez le psychanalyste.
Ouais.
Et alors, c’est quand même quelque chose qui en dit long sur l’époque. Donc, toi, vivant ces choses-là, tu parles de nous.
Ben, oui.
C’est ça qui est très fort.
Ouais.
Et donc, parlant, en plus avec humour, de tes névroses, de tes, heu, heu, de, de ton psychanalyste, de tout ça, je trouve que ça touche très, très juste parce que ce sont des choses qui sont tout à fait, heu, à la fois très, très drôles et très, très noires parce que si tu rigoles pas de ça, ben, c’est tout simplement le quotidien de quatre-vingt-dix-neuf pour cent des gens, quoi. C’est ça. C’est, c’est la névrose, c’est le, c’est le pain quotidien. Donc, si tu veux, en parlant de ça, tu parles de quelque chose de très, très, très présent, de très présent, ouais. Je trouve c’est un merveilleux, merveilleux sujet. J’ai toujours souhaité un jour écrire une pièce où, où Freud se dispute avec Ferenczi, heu, sur la question de – parce que je trouve que ça se porte très bien au théâtre – sur la question de comment faire une thérapie. Heu, longtemps il a été question de savoir : Alors qu’est-ce qu’il peut dire, il se tait, le psychanalyste ? Non, il parle. Alors, il, est-ce qu’il peut toucher le patient ? Ben, justement, Ferenczi pensait qu’il devait toucher le patient.
Ah, oui ?
Il pensait qu’il devait le caresser, qu’il devait le, tu vois, le dorloter…
Le, le… Ah, ouais, ouais.
…avoir un contact physique et, et, et Freud disait : Non, pas question, c’est pas possible, mais y a eu tout une, et puis ils se sont vachement disputés comme il s’est disputé avec tout le monde. Mais y a eu, y a eu, un moment donné, heu, dans l’histoire de la psychanalyse, au tout début, la possibilité que…
Une tendresse ? Ouais.
…qu’une tendresse s’instaure, s’installe, et que, à un moment donné, ben, si, si ça doit, c’est, c’est, c’était sur le régime du « et plus si affinité ».
Ouais.
C’est à dire que si, si ça se trouve, heu, le patient y gagnait en plaisir, y gagnait en libération de ses névroses, ben, pourquoi pas faire l’amour avec son psychanalyste.
Mais ils l’ont fait d’ailleurs ! Ils l’ont tenté à un moment, hein, tout ça. Ouais, ouais, ils ont essayés. Mais moi, je, je fais de l’haptonomie. L’haptonomie…
Alors, c’est des débats intéressants.
…l’haptonomie, c’est avec le contact, on couche pas ensemble, mais c’est un contact affectif très fort, oui. Oui.
Alors, ça remet en question ce que Lacan appelait le transfert où justement…
Oui, ben là, oui, c’est, c’est contre la psychanalyse, d’ailleurs, c’est des, c’est des, en opposition, oui.
Voilà. Voilà. Ben disons…
Ben, allez, attends, sauf que, c’est contre, mais ça a intégré tout ça. Ils pensent que ça va plus loin, quoi. Mais évidemment que y a du transfert, aussi avec tout ça. Enfin, je sais pas.
Enfin, c’est marrant, toutes ces débats, toute cette casuistique, tous ces espèces de débats théologiques sur : Est-ce qu’on peut toucher ou pas ? C’est quand même très intéressant parce que, parce que ça définit des régimes, de de, de, presque des régimes tactiles, des régimes de corps de comment on, on incarne la vérité, comment on s’en libère, est-ce que c’est par la… Quel est, quel est la place du corps dans la vérité ? Eh ben, ça, c’est une question théâtrale s’il en est. Alors, c’est pour ça que la psychanalyse et le théâtre, c’est, c’est quelque, c’est quelque chose de très, très, très, très bien…
Alors, est-ce qu’on a dit pourquoi – pourquoi ou ça reste mystérieux ? – pourquoi le théâtre, bêtement, alors qu’il aurait la possibilité de décoller le pathos…
Ah, oui.
…plonge dedans ? On sait pas ?
Ça, on sait pas. On aimerait bien savoir.
Pourquoi, en Afrique, la politique est si…
Alors, moi, je, je… Alors, en Afrique, c’est simple.
…caricaturale ?
Oui. Ben, disons, l’Afrique dit la vérité du politique, c’est ça que j’aime beaucoup, c’est que, et je veux absolument y aller, d’ailleurs ça me manque beaucoup, il va falloir y aller l’année prochaine. Mais, si tu veux, le rapport politique, heu, heu, pseudo démocratique qui est le nôtre, si tu veux, pour en bien connaître sa, sa substance, on peut aller en Afrique et puis regarder comment ça se passe. Évidemment en Europe tout est édulcoré parce que on a de l’argent, c’est tout, parce qu’on a une économie qui a fonctionné, qui fonctionne encore un petit peu, et donc, assis sur notre tas d’or, on peut…
C’est policé, quoi.
Voilà, c’est policé, on se rend pas compte de la vérité des rapports de force parce qu’il faut aller creuser, mais en Afrique tout est au grand jour, voilà. Eh ben, au théâtre ça devrait être la même chose – c’est un parallèle un peu con, mais je sais pas comment ça nous est venu, ce parallèle, mais, enfin, bon – et le, au théâtre, tout le pathos devrait être au grand jour parce que le pathos, c’est de la comédie. Donc, évidemment, s’il y a bien un lieu où la comédie peut se lire et se voir, c’est sur, heu, sur un tréteau.
Ouais.
Tu vois. Or, c’est pas ce qu’il arrive, mais c’est vrai qu’il faut des génies comme Molière pour la montrer cette comédie, pour vraiment mettre du doigt, toucher le doigt sur l’espèce de comédie qu’on se joue aujourd’hui dans notre douleur, dans notre célébration de la douleur.
Ouais.
Et surtout les artistes. Ce qui rend la chose encore plus insupportable, c’est que les artistes se mettent à ressentir en eux-mêmes qu’il faut qu’ils souffrent…
Ouais.
…pour pouvoir, heu, dire quelque chose de profond. Alors, ça, c’est, ça, c’est le… Si tu veux, moi, j’ai vu combien d’actrices ou combien de, de, d’acteurs, comment dire, avoir cette espèce de vision à la Artaud du cri comme, comme disant plus la vérité que la joie ou la légèreté ou…, tu vois, et, ça, c’est très dommage, mais c’est quelque chose de très, très présent. Alors, ça rend les spectacles insupportables. Pourquoi est-ce, pourquoi est-ce que c’est si pénible ? Pourquoi est-ce que tu ressors noué avec la nécessité de manger des, je sais pas, des, des yaourts au bifidus pour, pour te libérer, c’est parce que y a une insistance sur la douleur qui n’a, sans décalage, sans humour, sans espèce de, de, de vrai rapport critique, de vraie lecture critique sur, sur notre douleur. On, on, au lieu, si tu veux, d’en prendre une distance, voilà, d’effectuer une distanciation, on, on, on l’investit nous-même de notre, de notre corps, de notre truc et puis on en fait, voilà, une espèce de grande messe.
Moi, j’ai vu une fois une tragédie, heu, montrée d’une manière solaire et, et qui donnait des informations très précises, quoi. C’était Médée par cette Valérie Dréville dont je te parlais, grande actrice, là.
Ah, oui, bien sûr.
Et metteur en scène russe : Vassiliev, et, là, ça m’a pas détruit du tout, au contraire – je suis allé plusieurs fois pour voir – c’était très précis, les informations qu’elle donnait sur cette femme, sur cette, sur cette possibilité là et de…
Parce que, Yves-Noël, attends, il faut qu’on enlève une ambiguïté, c’est pas la tragédie qui porte ça. C’est à dire, la tragédie, c’est un genre absolument extraordinaire. Ce qui porte ça, c’est la lecture tragique de la tragédie. Mais une tragédie bien mise en scène avec une espèce de ponctualité, de précision, etc., ça te libère plus qu’une mauvaise comédie, c’est évident. Donc, c’est pas le genre tragique, c’est notre rapport à la tragédie qui est lourd. La tragédie, elle est inattaquable. Je pense à, y a une pièce que j’aime beaucoup de Koltès – y a beaucoup de choses qui sont pas terribles, mais en fait y a des, y a aussi des choses qui sont vraiment merveilleuses et une des choses merveilleuses c’est, heu, c’est, heu, c’est Roberto Zucco et Zucco, en un sens, c’est une tragédie, c’est une tragédie, mais, alors, c’est éclairé par une, par – vraiment, ça a même toutes les caractéristiques d’une tragédie, quand on réfléchit – mais c’est éclairé par une luminosité et une ponctualité dans le regard, une précision qui est, heu, qui en fait un genre merveilleusement léger, alors, ça, c’est merveilleux d’arriver à ça. J’attends de te voir dans une tragédie parce que je suis sûr que tu y apporteras une très, très grande légèreté.
J’ai joué un drame…
Je suis sûr, je sais pas, peut-être que tu vas te planter.
…déjà. J’ai joué un drame. Un drame.
Justement.
Tolstoï, j’ai joué. Le cadavre vivant.
Justement. Je connais pas cette pi…
Mais c’est pas une tragédie, c’était un drame. Un drame, quoi.
Je connais pas.
Ça se termine mal.
Ça se termine mal ! Mais toute espèce de spectacle se termine plutôt mal.
Mais c’était bien, parce que, justement, on essayait, avec Julie Brochen, là, de pas le jouer de manière pathétique. Y avait en particulier une scène dans laquelle on recevait une lettre de l’annonce du suicide de notre copain, là, heu, et puis dans la scène, c’est marqué, c’est écrit que « Lisa sanglote » et moi, je dis : « C’est affreux. », etc. Heu, donc on avait beaucoup de mal à le jouer et finalement on l’improvisait tous les soirs et, évidemment, je disais : « C’est affreux. » avec un sourire et c’est, ça faisait rire tout le monde, mais c’était le, c’était le moyen qu’on avait trouvé pour éviter de tomber dans le p…, de jouer « c’est affreux » en disant…
Bien sûr, bien sûr.
… parce que, là, on s’en sortait pas, c’est sûr !
C’est clair, c’est clair. Mais moi, je veux, enfin, bon, tu me préviendras, moi, je viendrais te voir. Je suis sûr que… La chose la plus triste que tu m’aies dites c’est que, quand on crée, les gens vous convoquent plus pour, heu, pour être interprète et ça c’est vraiment triste parce que, parce que j’imagine que la circulation entre les deux est essentielle et puis, moi, j’aimerais bien te voir justement dans des textes comme ça.
Ouais, ouais, ouais. Ben, ça, c’est parce que en France tout le monde a peur et peur des autres, des autres créateurs, etc. Ça circule pas énormément. Ouais, bon, ben voilà, hein.
Alors, je sais pas, on n’a pas…
On peut parler de tout ce qu’on veut d’autre.
Je pense pas qu’on ait dit des choses très, très importantes, hein, mais on, on, on a partagé nos petits trucs, quoi, bon. Je sais pas, ça prendra sans doute des directions, de toute façon, on verra bien comment on évolue…
Bon, après, y a le rapport à la religion…
…par rapport à ce qu’on a dit là.
…qui pose encore problème parce que dès qu’on, c’est à dire, c’est, le problème du pathos vient aussi de là, c’est à dire que dès qu’on pense à un, un, à un au-delà, un invisible et tout ça, eh ben, là, évidemment, y a la tentation pour de très grands metteurs en scène ou de très grandes actrices, par exemple Juliette Binoche ou encore Valérie Dréville, ben de, du coup de jouer des, de, de, de, de désincarner les cho…, enfin de jouer, de jouer pour un, pour un au-delà, quoi, de jouer quelque chose qui, qui, qui est pas, qui est pas de la vie sur terre, mais qui est, et ça, ça, ça crée aussi quelque chose qui est comme un…
Ben, c’est sûr.
Voilà. Ça incite pas à la comédie et à l’auto-ironie, ça, c’est sûr.
Heu, ouais, ouais, ouais.
Bon, y a encore ça, mais bon.
Non, non, mais, oui, c’est sûr, c’est sûr. Ben, ceci dit, malheureusement, c’est pas simplement quand on parle de l’au-delà que y a du pathos. Si on essayait de trouver le critère déterminant du pathos, on pourrait pas dire que c’est simplement la préoccupation tournée vers l’au-delà ou les « arrières mondes » comme disait Nietzsche, tous ces espèces de trucs comme ça, mais c’est vrai que, en même temps, c’est très présent, c’est comme les écrivains qui sont obsédés par la postérité, du coup ils passent à côté de, de leur vie ou de leurs, de leurs livres. Heu, je pense que la postérité pour l’acteur, c’est effectivement l’au-delà, heu, le religieux, et le religieux, ben, ça peut prendre aussi des formes très, très humaines, style, pourquoi je te parlais d’Artaud, Artaud qui a fait une œuvre contre la religion et qui est devenu une religion au théâtre insupportable. Et c’est difficile de, de trouver le critère déterminant, mais de la même manière que c’est, c’est absolument difficile, c’est très, très difficile de trouver le critère déterminant de ce qui nous sort du pathos parce que c’est, les solutions qu’inventent des artistes à chaque fois très singuliers, à ch…, et dans des univers absolument différents pour nous sortir de ça et pour avoir juste ce regard de, de, quand on parlait de l’humour, ben, c’est, là, y a absolument pas de recette. Mais y a vraiment une affinité élective entre, entre, entre tous les écrivains très drôles. Par exemple entre Thomas Bernhardt – plus ses romans d’ailleurs que ses pièces de théâtre – y a, y a, vraiment… Tu sens qu’à chaque fois c’est quand même, c’est ça que je te disais au début, et ça j’y crois, j’y crois très, très dur même si je l’exprime très mal, c’est qu’il y a vraiment deux familles d’écrivains et je pense qu’il y a vraiment deux familles d’artistes, fondamentalement, et que cette ligne du pathos elle est, c’est un divisor de águas comme on dit en brésilien, un diviseur des eaux, parce que si y a vraiment ceux qui se prennent le matériau expressif comme une arme de guerre contre la, le, le romantisme et les, les, le pathos et puis il y a ceux qui l’utilisent – et c’est pour, c’est pour ça que j’ai eu beaucoup de mal à lire Duras – je te disais l’autre jour – qui l’utilisent pour, d’une manière ou d’une autre, l’exalter – d’une manière fine, intelligente ou pas, mais qui consiste à dire : Ah ! J’ai mal et je vais vous le dire. Je vais vous le raconter. Ah ! Je souffre, je ne me sens pas bien, je suis dans un état de malaise, dans un état de mal-être et le monde ne me convient pas et je vais vous le dire. Donc, si tu veux, entre ceux qui sont dans cette position-là – t’as qu’à regarder à la télévision quand on interview un écrivain – t’as vraiment ceux qui : Alors vous avez souffert de ça ? Oui, en fait, ça raconte l’histoire d’une nana... Et alors on est dans l’exaltation, dans l’expressivité d’une douleur. Ou alors tu as vraiment des, des tirailleurs, des franc-tireur de ça et qui construisent des œuvres tout à fait à l’opposé, pour qui la littérature, c’est une arme de guerre contre, heu, contre, heu, contre, heu, cette mélopée. Mais pourquoi est-ce que c’est important, pourquoi est-ce que la littérature est importante dans cette histoire là ? Parce que, tu sais, la phrase de Chamfort : « Personne ne tomberait amoureux s’il n’avait jamais entendu parler d’amour. », elle est profondément vraie, c’est à dire que…
La femme, la phrase de qui ?
De Chamfort.
C’est qui Chamfort ?
Un moraliste…
Ah, d’accord…
…français.
…c’est pas le chanteur ?
Peu importe, ç’aurait pu. Moi, je trouve qu’il écrit, qu’il fait de très bonnes paroles. Eh ben, le truc, c’est que, c’est, c’est, ce qui est, pourquoi est-ce que c’est grave ? Parce que les gens souffrent, pas parce qu’ils ont mal, ils souffrent parce qu’ils ont un regard sur leur propre douleur physique qui est conditionné par du langage et du discours. C’est à dire que les gens souffrent pas de la même manière en Afrique ou ici ou à Cuba ou, tu vois. Y a des choses qui nous font souffrir parce qu’on les dit, parce qu’on est habitué à les dire. Dans tous les cas des névroses, quatre-vingt-dix-neuf pour cent des névroses, ce sont des discours. Donc on adopte ces discours comme on adopte des modes vestimentaires…
Exactement, oui, oui.
…sans s’en rendre compte. Et pourquoi la littérature en première ligne pour lutter contre ça ? C’est parce que, elle, elle a à faire avec les discours.
Ouais.
C’est son truc, les discours. Les discours des gens, Madame Bovary, son truc. C’est le, le, c’est l’affaire de Flaubert de dénoncer le bovarysme.
Ouais.
Eh ben, c’est l’affaire des écrivains de dénoncer ces discours névrotiques qui sont, qui sont en circulation tout le temps, tout le temps.
Ouais.
Donc, c’est là que, si tu veux, se joue la vraie partie, à mon avis, de la littérature.
Ouais, ouais.
Bon, mais ça, voilà, ça, c’est, c’est une conviction profonde, si tu veux, que j’ai et qui, pour moi qui, qui, qui définit tout le rapport que je peux avoir au théâtre. Ce qui me rends tes, tes, tes textes – et je dis tes textes…
Ouais, ouais, ouais. Non, mais c’est…
…parce que c’est très écrit – si lumineux et puis beaucoup, beaucoup parce que je vais y retourner là, mais je sais que je vais m’emmerder, beaucoup de pièces très emmerdantes. Parce que je n’ai plus cette, cette déprise par rapport au discours, parce que j’ai l’impression d’être dans un certain discours.
Ouais, ouais.
Alors, ça peut être la névrose, ça peut être le romantisme, ça peut être… C’est des discours qu’on connaît par cœur, tu vois.
Kafka, il disait ça aussi.
Qui ça ?
Kafka, je pense. Mais je retrouve pas la citation quand il dit : « Sauter du, hors du rang des criminels »
Ah, oui : « Hors du rang des meurtriers. » « Écrire, c’est faire un bond hors du rang des meurtriers. »
Quelque chose comme ça.
C’est ça, la citation. Merveilleuse.
Kafka dont, d’ailleurs, on dit que c’est plus drôle qu’on pense.
Mais c’est extrêmement drôle Kafka ! Mais c’est extrêmement drôle, mais Kafka ! Mais c’est, c’est, c’est extraordinaire ! C’est l’équilibre parfait entre la tragédie, l’humour complet, une légèreté extraordinaire et en même temps une profondeur métaphysique, heu, sans égale. Donc, oui, ben, alors là, si on… On devrait terminer sur son nom, d’ailleurs, parce que c’est…
Mais…
Non, mais c’est vrai.
…on pourrait pas terminer en disant, en revenant à Dada, si y a un rapport avec Dada.
Ah, oh, je suis sûr qu’il l’aimait beaucoup, hein.
Comment ?
Il faut qu’on parle un peu de Dada ?
Ben, par exemple, on peut parler de Dada, ouais…
D’accord.
…ouais, ouais. Parce que, parce qu’on m’a demandé de faire un…
Y a longtemps que je suis pas revenu à Dada. Mais je pense que si, si on, si on…
Ben, on voit bien dans Dada, on voit bien, en tout cas, les, qu’il y a, en effet, un espèce de saut vital, vivant…
Oui.
…heu…
Insurrection.
…hors d’une époque, quoi, hors d’un, hors d’un climat, ça c’est sûr, hein ?
Ah, oui, oui. Tout a fait, tout à fait. Et une insurrection qui se fait sur la forme, sur l’expressivité, justement.
Ouais, ouais.
Cette façon de marteler parce que une bonne partie de la poésie Dada, c’est quand même du martèlement, presque du non-sens, mais c’est justement pour remettre vraiment en question l’espèce, l’expressivité en cours, n’est-ce pas, la façon dont les gens exprimaient leurs, leurs, leurs sentiments comme on dit, et, et c’est, en ce sens là, le travail de Dada a été vraiment très, très intéressant parce qu’ils ont coupé, ils ont cassé les, le, le, le jouet, quoi, pour en inventer d’autres et ça, c’est, c’est vraiment, c’est une très belle insurrection et puis ça s’est fait, ça, c’est, c’est, c’est toujours des miracles quand ça se produit – mais ça s’est fait avec les autres arts, avec la peinture…
Ouais, ouais. Ouais, ouais. Ouais, ouais.
…ça s’est fait avec le théâtre. Ce qui manque aujourd’hui complètement. T’as vu qu’aujourd’hui, y a une désolidarisation totale des, des, des arts. C’est à dire que des mouvements artistiques, d’abord y en a plus, et ensuite des mouvements qui ont vraiment une, une, comme ça, qui font appel à tous les arts en même temps, ça, ça, ça a disparu. Ça reviendra peut-être, c’est pas forcément un mal, mais, disons que c’était quand même très impressionnant.
Pourtant la question du pathos, par exemple, c’est les, c’est, c’est sûrement très présent dans les arts plastiques aussi.
Bien sûr. Bien sûr. Mais les gens travaillent en, séparés, aujourd’hui, hein ? Et puis, bon, c’est ce qui fait qu’il y a de très belles rencontres, hein, aussi. Les gens travaillent séparés. Bon, ben, c’est la crise des avant-gardes aussi. On veut plus d’avant-garde alors forcément les gens restent dans leur coin et essaye de travailler différemment, mais, mais c’est vrai que y a des grandes solidarités entre, entre certains peintres et entre, ouais, sur cette question là.
Et alors, heu, quand il, tu lisais l’autre fois le truc de Haztfeld, là – Jean Haztfeld ? – sur le génocide rwandais…
Ah, oui, oui, tout à fait. Ouais, ouais.
…et…
Très beau texte.
…presque tu disais que t’en, que tu avais besoin de ça parce que le problème…
Ah, oui, c’est vrai.
…c’est que si tu traitais pas du pire directement…
Ouais, ouais.
…tout le reste – ça c’est mystérieux un peu, pour moi…
Ah, ouais.
…mais, parce que tu parles de, d’un texte que je ne connais pas, mais – tout le reste, ce serait la métaphore du pire et…
Ouais, c’est vrai, c’est vrai, c’est vrai.
…du coup, il, du coup il valait mieux…
Ah, ouais, ouais.
…abordé le sujet directement à un moment.
Ouais, ouais, mais ça, c’est un problème qui, qui est lié à mon propre travail, mais ça, je m’en suis aperçu maintenant – ça m’est très, très pénible – c’est que je pense qu’effectivement, que si tu vas pas directement dans la description du pire, tu es, tu es menacé en tant qu’écrivain – et peut-être aussi en tant que homme de théâtre, je sais pas – tu es menacé de faire, heu, que ton propre travail soit toujours une métaphore du pire. C’est à dire que, heu, tu ne traites le pire que par métaphore, par éloignement, tu vois. C’est comme si le pire était un centre et qu’il y avait des cercles autour du centre et que toi tu es au troisième, au quatrième ou au septième cercle.
Mais pourquoi ça fait ça ?
Parce que, de toute façon, l’art a à voir avec le pire, de toute façon. Après, on verra comment il traite, si tu veux. Chaque artiste le traite différemment, hein, Dante ou, etc. Mais, de toute façon, disons, l’art, s’il veut avoir un tant soit peu de conséquences – ça fait drôle de parler de l’art comme ça, avec un grand A – eh ben, il, il, il doit traiter de ça. Ben, dans tes propres spectacles, y a cette dimension d’humour, mais on sent, effectivement, et je pense notamment dans le dernier, si tu veux, c’est, y a des passages pas du tout drôles. J’étais avec une amie, bon, elle m’a dit qu’elle a carrément eu peur, tu vois, à certains endroits, et c’est très bien, c’est parce que c’est, parce que qu’est-ce que ça a réveillé ? Ça a réveillé certaines vérités de fond sur la mort sur, heu, le, sur le, bon, ben, la tragédie, alors pour le coup, d’être…
Elle a eu peur où ? Dans mon spectacle ?
Oui.
Ah oui ?
Dans un certain cri, si tu veux, à un moment donné…
Ah, oui, y a une crise quand même.
…avec l’épée, etc…
Ah, ben, ça, oui.
…avec cette espèce de crise. Et ça a vraiment fait, rempli sa fonction. Et, effectivement, c’est très important que ça soit présent. Imagine que ce soient que des blagues, ton spectacle, ça marcherait pas.
Ah, ouais, ouais. Ouais.
Bon, alors, donc, ça veut dire que tu as une conscience intuitive que il faut qu’il y ait le noir. Et ça, c’est vrai de toutes les grandes œuvres. Même un livre drôle, je parle pas, évidemment, du Voyage au bout de la nuit qui, vraiment, qui prend ça au centre, dans les mains, mais même un livre drôle comme, par exemple, je sais pas, Philip Roth, celui que je suis en train de lire : Le théâtre de Sabbath qui est un livre très drôle, une comédie sexuelle, bon, y a cette dimension, là, noire. De toute façon, il faut la traiter, tu peux pas écrire un livre léger. Moi j’ai essayé de le faire, je me suis planté et c’est très mauvais. Je déteste relire ce que j’ai fait dans ce sens là. Mais, je pense que… Précisément, pourquoi c’était très mauvais ? Parce que…
Tu voulais le faire avec quoi ? Avec Festivité locale ?
Ou le deuxième plutôt dont je, dont je tairais le nom. Bon, c’est des trucs, mais ça, c’est un parcours, si tu veux, je fais ma propre psychanalyse, c’est à dire que c’est pas bon. C’est à dire que il faut traiter le mal directement et, après, tu peux, à l’intérieur de ce traitement là, faire, tracer des lignes d’humour, mais si tu le traites pas directement, les gens vont dire : Oh, ben, ce type, il est un peu léger, quand même.
Ouais, ouais.
Il a, il a, je crois qu’il a pas tellement souffert, il a pas tellement compris ce que c’était qu’exister. Alors ça, c’est très emmerdant, tu vois. Alors tu te dis : Bon, très bien, je, je, je prends note et puis je vais traiter di…, la chose différemment. Même si c’est ridicule, en un sens, mais il vaut mieux le faire.
Y a toujours le problème de pas être pris au sérieux ! Mais dès qu’on, dès qu’on a de l’humour, on est tout de suite soupçonné d’être potache. D’ailleurs, heu, d’ailleurs, c’était, je suis…
Oui, c’est vrai.
…bien content de voir que les dadas ont revendiqué…
C’est vrai.
…le côté potache parce que, moi, on m’a tout de suite, évidemment, fait tomber ce mot-là sur la, sur la figure.
Ouais. Ouais.
Moi, j’adore, mais…
Ouais, ouais, bien sûr. Mais, tu vois, c’est quand même bizarre parce que si on relie les deux choses : ce qu’on a dit précédemment sur l’époque qui est tragique et donc ce qu’on aimerait, c’est que des artistes arrivent avec un humour extraordinaire, très différents les uns des autres, mais ou, nous déprennent de cette tragédie, que la fonction de l’art, ça soit ça, ce soit quelque chose comme un grand courant d’air frais de, de, comme ça, heu, à l’intérieur d’un, d’un marasme qui est, qui est, bon, ben – et, et, si on relie avec ce qu’on vient de dire, eh ben, moi, je sais que j’espérais, quand j’ai commencé dans le métier, heu, quand j’avais vingt ans, j’espérais que, si tu veux, mes livres soient que des bouffées de bonheur pour apprendre au jeu éthique et, pour, pour se déprendre, et puis tu te rends compte qu’on te prend pas au sérieux. Alors si on te prend pas au sérieux tu dis : Bon, écoutez, moi je suis comme vous, je sais très bien ce que c’est que souffrir, je peux aussi faire semblant de souffrir…
Oui.
…comme vous, hein, si vous voulez que je fasse semblant, je vais faire semblant.
Ouais.
Bon, alors, évidemment, la solution, c’est pas de faire semblant de souffrir, mais puisque l’époque est si lourde…
Ouais.
…que même la légèreté, elle la pénalise…
Ouais.
…elle la taxe tout de suite de potache, comme tu dis, ou de, d’autres trucs…
Ouais.
…alors autant traiter directement du mal…
Ouais.
…mais à ta propre manière…
Ouais.
…c’est à dire sans pathos, et, là, je pense que c’est dans la bonne équation. Moi, j’en suis arrivé là.
Ouais, ouais, ouais. Je suis d’accord. C’est un peu mon parcours aussi.
Bon, ben, tu vois. Y a une certaine…
Mais alors tu sais humour, c’est un mot français, un vieux mot français, mais qui est passé en anglais, et, heu, c’était, c’était humeur, ça venait d’humeur bien sûr, et puis c’est passé en anglais, ce qui fait qu’au XIX e siècle, je crois…
Humor.
…c’était vraiment, heu, le mot anglais, c’est à dire que c’était une définition d’une chose typiquement anglaise, l’humour. Alors que le français, en France on disait de l’esprit, avoir de l’esprit ou quelque chose comme ça. Il me semble que c’est ça, hein. Et, alors, pourquoi je dis ça ? Oui, par rapport à l’Angleterre.
Parce que tu voulais absolument qu’on parle de l’Angleterre !
Bon, laisse tomber. Non, non, mais c’est, c’est, non parce que c’est vrai que les Anglais, ils ont un, ils ont un sens presque génétique de l’humour et qu’ils sont, heu, comme dans les cafés, quoi, par exemple, dans les cafés, y a pas besoin d’être professionnel de la stand up comedy pour, heu, pour pouvoir faire rire dans les cafés.
Ouais, c’est vrai.
C’est quand même très fort.
C’est vrai, c’est vrai. Mais tu vois, alors, pour le coup, moi j’ai toujours préféré l’humour américain.
Ah, oui ?
On parle jamais de l’humour américain.
Ah, ouais.
L’humour anglais, évidemment, c’est, c’est, c’est… Mais, alors, ce qui, j’ai un problème avec l’humour anglais, c’est que c’est trop fin pour moi, moi, j’aime dans l’humour la simplicité et le côté potache me ravit, si tu veux, l’humour juif américain, heu, cette espèce de, de, d’humour basé sur le non-sens, heu, qui n’a… C’est une phrase, c’est pas à comprendre au troisième degré comme les Anglais, c’est vraiment d’une simplicité mais stupide.
Ah, ouais.
L’humour stupide, ça, c’est, c’est le comble de l’humour pour moi et les Brésiliens aussi sont très, très drôles.
Ah, ouais.
Ils ont un sens de l’humour extraordinaire.
Ah, ouais.
Y a un type qui s’appelle Millôr Fernandes qui est, qui est le, l’Oscar Wilde des Brésiliens.
Ouais.
Bon, c’est un humour extrêmement simple, mais c’est ravageur. Et je trouve que les, que les Américains sont beaucoup plus drôles, me font beaucoup plus rire, même les comédies des années trente, Groucho Marx, tout ça, bon, ben, ça, c’est le pied, c’est vraiment le pied. L’humour, voilà. Mais on était dans toutes ces gammes d’humour, toutes ces, toutes ces, ces, ces… Je, il me semble que y a un type qui a écrit L’arc-en-ciel de l’humour, un truc comme ça…
En brésilien ?
Non, en français, je me demande même si c’est pas… Comment il s’appelle, cet auteur ? Et il a écrit aussi, heu, L’homme de l’humour, je crois. Et pour montrer… Oui, mais c’est sûr, comment il s’appelle ? Maintenant ça me revient, ah ! J’arrive pas. Et pour montrer, parce que tu sais on parle d’humour noir, alors il dit, il dit : Certes il y a l’humour noir, mais y a le violet, y a le bleu ciel, y a le machin et alors il décrit tout ça.
Ouais, ouais.
C’est vrai que c’est merveilleux. Moi, je me suis toujours senti plus proche des Américains que de l’humour anglais.
Et l’humour américain, alors, c’est quoi ? Par exemple, alors, c’est, c’est Woody Allen, bien sûr, et puis, et puis qui ?
Heu…
Peut-être pas Woody Allen, je sais pas.
Heu, alors il faudrait donner des noms ? Tu sais, je sais pas leurs noms, mais je pense à ces présentateurs, parce qu’ils ont beaucoup de…
Ah, ouais, ouais.
…Late night show, des choses comme ça, tu sais…
Ah, ouais, ouais.
…et je regardais sur, à la télévision américaine, je peux pas donner un nom comme ça…
Non, mais c’était juste pour moi, pour, heu, pour, heu…
…mais y a un type extrêmement drôle, alors, et puis, alors, là, il me semble que c’est vraiment une très, très bon, très représentatif des mouvements américains, mais, alors, là, ça y est, c’est la crise des noms, c’est un auteur, heu, américain, heu, très, très drôle, qui est, qui est typiquissime, mais c’est un romancier, en plus… Mark Twain !
Mark Twain.
Mark Twain. Y a des perles de Mark Twain et tu verrais que c’est un humour qui est beaucoup moins basé sur le…
C’est quelle époque ?
…double, double s…, double understanding, tu vois, le s…, sens sous-jacent. C’est beaucoup plus, c’est direct, c’est à dire : t’as rien à comprendre, t’as tout à rire tout de suite, c’est à consommer tout de suite, comme des bananes et ça, c’est génial, moi, c’est l’humour que je préfère.
Et c’est quelle époque ?
Oh, c’est, c’est tout début XX ème.
Tout début XX ème ?
Ouais, ouais, ouais. Très, très, très, très drôle. Ah, ben, voilà, justement parce que y a quelque chose beaucoup plus down to earth, de plus terre à terre chez les Américains et j’aime beaucoup l’humour terre à terre, en fait. Mais, bon, heu, y a un type extrêmement drôle, je te le dis parce qu’il est pas très connu, puis ça peut être une référence, c’est Tucholsky. Tucholsky a écrit des choses extrêmement drôles. C’est un Juif qui, qui est, qui est mort, ben, je crois que oui, il s’est suicidé, me semble-t-il, hein, pendant la, je sais pas si c’est pendant la guerre, juste après ou juste avant, un Juif donc, et, heu, il a, il a aussi une approche, un peu comme Karl Krauss, complètement désopilante, heu, heu, de, de, enfin, comme ça, du réel, et ça c’est génial, encore un autre, un autre degré, une autre famille d’humour, l’humour, heu, heu, autrichien ou allemand, heu…
Ah, oui, ça, là, on est plus en Amérique.
…début du siècle. Là, on est vraiment dans l’humour cynique, acide, voilà, acide, alors que l’humour américain reste quand même très, très chaleureux, quoi, comme l’humour brésilien. Les Brésiliens ont un humour sur eux-mêmes qui est extraordinaire. C’est un pay…, c’est un peuple très drôle, c’est le peuple le plus drôle que j’ai rencontré, moi. C’est là où j’ai le plus ri.
Brésiliens ?
C’était au Brésil.
Ah, oui ?
Ah, c’est sûr. Et alors ce qui m’a toujours fasciné, parce que les Anglais ont un vocabulaire sans fin, donc des capacités de jouer sur les sens…
Ouais.
…qui sont infinies, alors que les Brésiliens tournent autour de vingt mots.
Ah, oui.
J’exagère, mais c’est presque ça. Mais, avec vingt mots, il créent des, des, enfin, c’est des, c’est des perles à chaque fois.
Ouais.
Oui, voilà, donc ça, c’est, ça, c’est assez fascinant.
Ah, ça, c’est la plus belle virtuosité, avec très peu de moyens.
Voilà, c’est ça, c’est un peu l’Arte povera.
Ouais. Bon.
Les Français, je sais pas s’ils ont de l’humour, peut-être qu’ils ont de l’esprit plus que de l’humour, mais ce serait triste parce que je préfèrerais qu’on ait de l’humour, mais on s’en rend pas compte, c’est comme nos propres…
T’as vu le travail de Luchini ?
Oui.
C’est intéressant ? J’ai jamais vu.
Moi, je trouve que c’est quelqu’un qui est évidemment doué, mais, bon, ben, c’est, c’est, je trouve qu’il en fait trop, quoi.
Il en fait trop ?
Maintenant, on va dire du mal des gens ?
Non, non, c’est parce que, en fait, avec la résonance, des fois, tu, tu me don…, tu me donnais l’impression de, de Luchini. Excuse-moi.
Oui, ben, voilà, je, c’est sans doute qu’il faut arrêter. Là, tu me tues, là. « Yves-Noël m’a tuer ». C’est de ta faute, t’avais qu’à pas m’interviewer aussi.
Bon.
On y va ?
Ouais.
Alors tu vas venir au Louvre ou pas ?
Oh, je veux bien t’accompagner.
Notes :
David Di Nota est un ancien danseur de l’Opéra. Il a trente-cinq ans. Il est, pour moi, l’un des plus grands écrivains français. Il est publié chez Gallimard. Il est aussi gardien de musée au Louvre le week-end.
L’entretien a été enregistré dans un appartement vide, le vendredi 28 octobre 2005.
Les deux spectacles de moi auxquels David Di Nota se réfèrent sont Pour en finir avec Claude Régy, présenté aux Laboratoires d’Aubervilliers et Le Dispariteur, à la Ménagerie de Verre.
Cette bécasse d’Ariane Mnouchkine a dit à Julie Brochen qu’elle m’avait trouvé formidable, mais qu’elle – « C’est toi, Julie qui lui a dit ? » – n’aurait pas dû me faire dire « C’est affreux » dans un sourire. « Là, tu vois, tu es trop intervenue, en tant que metteur en scène, parce que quand c’est affreux, c’est affreux ! »
L’éventuel titre vient d’une phrase de Philippe Sollers dans « Le Journal du dimanche », du 31 octobre 2005 : « Même l’humour noir de Dada est récupéré dans le grand tombeau du musée. »
L'Arc-en-ciel des humours et L'Homme de l'humour, de Dominique Noguez.
Héléna Villovitch m’a dit, hier, que pour les interviews pour « Elle » qu’elle faisait, elle réécrivait tout, c’était ça la méthode et, deuxième point, il fallait que les gens aient l’air plus intelligent qu’ils ne sont. Alors, là, méthode inverse, j’ai rien réécrit et, forcément, on a l’air plus idiot qu’on est (surtout David, moi encore…) Mais c’est pas « Elle », c’est « Mouvement » et c’est Dada, n’est-ce pas ?
Yves-Noël Genod