J'ai oublié, cher Yves-Noël, de joindre à mon dernier message le lien vers un entretien d'Yves Bonnefoy au Monde à propos de Shakespeare où il dit qu'il faudrait jouer Shakespeare dans le noir.
« Comment ce travail sur la matière même du texte, sur les mots, les vers, le rythme, le souffle, vous a-t-il mené à la conviction que c’est la poésie — et la poésie comme « parole de vérité », comme saisissement du monde — qui est au cœur du projet théâtral de Shakespeare ?
« Je l’avais eue, cette conviction, dès ma première rencontre de ces grands textes qui avait été, plus ou moins, une écoute comme je viens de dire que ce doit être, même quand on assiste à des représentations – comme on dit – d’Hamlet, de Macbeth. Si bien, croyez-moi, que je trouverais on ne peut plus naturel qu’une obscurité totale enveloppe scène et salle : on ne verrait rien mais on entendrait, on percevrait mieux dans le noir la respiration des mots dans le texte. »
[…]
« Si j’étais un metteur en scène de Shakespeare, je ne m’intéresserais guère aux façons dont il me faudrait meubler les planches, mais j’aurais envie de transporter l’œuvre, avec ses acteurs, ses événements, dans des foules sous la pluie ou dans des montagnes, lieux où sa parole étouffée par les bruits, emportée par les vents, n’en serait que plus audible, en sa profondeur. Je parlais tout à l’heure d’un Hamlet joué dans le noir. Dont les spectateurs ne percevraient rien que les voix, dont les acteurs, même, ne se verraient pas du tout entre eux. C’était déjà cette idée d’une scène très élargie, car ce noir, c’est celui qui règne entre les étoiles, c’est ce non-être dont Hamlet ne cesse pas de faire l’objet de sa réflexion. »
Vous voyez que les grands esprits se rencontrent. « on ne verrait rien mais on entendrait, on percevrait mieux dans le noir la respiration des mots dans le texte. » C'est ce que vous avez fait pour Baudelaire, laisser les spectateurs ne percevoir que la voix dans le noir qui règne entre les étoiles, et pour Baudelaire, les étoiles ce serait encore trop, il aurait voulu qu'elles s'éteignent, comme dans Hopkins Forest.
À suivre
Amitiés
Jean-Paul