Sunday, August 05, 2018

L e Banc de poissons


« dans beaucoup de romans anglais, à beaucoup de moments, surtout aux moments principaux, les personnages ne sont pas traités comme des personnes. Il ne sont pas individués comme des personnes.
Par exemple, les sœurs Brontë ont une espèce de génie. Elles ont une espèce de génie surtout l’une… je sais plus laquelle c’est, alors je m’abstiens, je crois que c’est Charlotte, je crois que c’est Charlotte... ne cesse pas de présenter ses personnages comme... C’est pas une personne. C’est absolument l’équivalent d’un vent. C’est un vent qui passe.
Ou Virginia Woolf, c’est un banc de poissons. C’est une promenade, c’est pas... Tiens, je retrouve le même cas… justement ce que Benveniste négligeait et traitait comme mineur : « Je me promène ». C’est précisément il suffit que je me promène pour ne plus être un « Je ». Si ma promenade est une promenade, je suis plus un « je », je suis un évènement.
Celle qui a su faire ça à merveille, dans la littérature anglaise, c’est évidemment Virginia Woolf. Virginia Woolf, dès qu’elle fait bouger un héros, il perd sa qualité de personne. Grand exemple, dans Virginia Woolf, la promenade de Mrs Dalloway. « Je ne dirai plus : je suis ceci ou cela », conclut Mrs Dalloway. Je ne dirai plus, je suis ceci ou cela... Je ne dirai plus « je », j’ai un problème d’individuation… C’est très curieux, mais il faut se méfier des trucs. On n’en a jamais fini. On se disait au besoin. Ah, bien, il y a un vague choix entre quoi et quoi ? Entre dire « je » et dire le néant, ou dire « je » ou dire « l’abîme indifférencié ». La forme de « je » ou le « fond sans visage ». »

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« La philosophie, si c’était possible, se laisserait définir comme l’effort pour dire ce dont on ne peut pas parler. »

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C afé du commerce


Les minorités se haïssent, c'est pas vrai ? Moi, je ne me sens pas appartenir à la communauté trans, pourtant depuis 25 ans je me fais insulter, en rentrant chez moi, pas tous les jours, mais, disons, au moins une fois par semaine, par des jeunes musulmans qui m'associent clairement à la minorité trans. C'est vrai, je suis sans pitié avec les « bonnes intentions » de la gauche parce qu'elles me font honte. Sur Annie Ernaux : comme, il y a 2 ans, j'étais un peu à la mode on a essayé de me faire signer une pétition pour appeler à voter Mélenchon (que tu as signée). La personne qui me l'a demandé est une femme que j'admire (mais politiquement non). J'ai argumenté. À bout d'arguments, elle m'a dit : « Mais tu vois bien qu'Annie Ernaux à signé ! Si elle a signé, c'est que c'est bien ! » Annie Ernaux est un génie, mais pas politiquement. Duras est un génie, mais, dans sa période Mao, insupportable (« Radioscopie », de Jacques Chancel). Je n'ai aucune pitié pour les leçons politiques que donnent au monde les intellectuels quand elles sont nulles, le côté : Oui, je suis binaire car j'ouvre un front politique. Ça passe pas pour moi. Parce que ça touche au réel. Tous les politiques sont des pervers narcissiques (Cyrulnik), mais Taubira, à mes yeux, c'est la pire : rien que pour sa pomme. Elle nous a fait chier avec le mariage pour tous pendant six mois (en Angleterre, c'est passé en une après-midi) et plus ça durait, plus elle apparaissait comme l'icône de la résistance. Il suffit de la comparer avec Simone Veil (qui s'est vraiment battu, pas dans une posture, car elle était de droite) pour s'apercevoir que ce n'est rien, Taubira — et, pour moi, pire que rien, c'est (encore) une catastrophe pour la gauche ! (Pas seulement pour Jospin.) Des politiques comme elle ou Mélenchon, ça tue la gauche. Ils sont tellement à l'inverse ! Les Ceausescu. Elle a dit dans son dernier « livre » qu'elle ne lisait pas Borges parce qu'il avait serré la main à Pinochet. Eh bien, qu'elle ne le lise pas ! Je lis Montaigne, en ce moment (un conservateur, comme tu sais). Je n'ai jamais eu beaucoup d'argent pour mes spectacles, des solos que je transformais en pièce de groupe parce que je trouve plus amusant de travailler avec des gens que j'admire plutôt qu'avec moi-même que je n'admire pas tant que ça, mais j'en ai encore moins maintenant. Mes deux derniers spectacles : le sublime Hamlet Unlimited de Vanves : avec 2000€, le sublime L’Amant de Pantin : au chapeau. Les prochains spectacles seront malheureusement probablement des solos, on peut toujours partager le rien, mais les jeunes interprètes de maintenant (génération Macron) préfèrent ne rien faire plutôt que de faire sans être payé (ce qui était l'inverse, bien sûr, il y a quelque temps). On s'est déjà plusieurs fois fâché et réconcilié, cher Olivier, sorry pour ma mauvaise note à ta copie (c'est parce qu'à mes yeux elle n'est pas du niveau des autres, mais les amis ne devraient pas juger, tu as raison, mais il y a une ambiguïté sur Fesse-bouc). Passe un bel été ! (Oh, j'ai pas répondu sur Dior, c'est vrai que j'y ai laissé des mille et des cents ! C'est affreux. J'y pense souvent, je me dis que je pourrais vivre ailleurs que dans une chambre de bonne si j'avais été moins con —  mais c'est fini, ça aussi : à mesure que mes salaires baissaient le prix du luxe augmentait (tu sais bien), ce qui est une très bonne chose — every cloud has a silver lining — car maintenant je ne peux vraiment plus !) Je ne dis pas autre chose ici que ce que j'ai toujours dit sur mon blog que tu disais connaître à une époque puisque tu voulais même en faire un texte. Je te répondais : Ne dis pas ça, tu ne le feras jamais... Qu'est-ce qui fait partie du réel ? le faux ou le vrai ? le faux avec le vrai ? Sans doute tout appartient à la vérité car elle est tellement multiple que même les affreux dictateurs (c'est Maeterlynck qui le dit) sont aussi en rapport eux-mêmes avec une vérité... Mao, Hitler, Taubira et toi ! Bisous, très cher



Comme la situation se durcit pour tous les pauvres, ça ne t'aura pas échappé, les interprètes culpabilisent plus de ne pas « gagner » (comme tu le stigmatises d'ailleurs dans ton texte). Et, moi, je leur demande — comme toujours — de perdre. Disons qu'ils ont moins le temps à perdre, occupés certes à survivre, mais aussi à répondre aux normes actuelles (le côté « plan A », n'est-ce pas). J'en avais quand même trouvé 18 sublimes pour La Beauté contemporaine l'année dernière (ça paraît il y a un siècle), mais ça avait été très, très dur (j'hésite à recommencer). Quand j'avais fait un spectacle intitulé Dior n'est pas Dieu justement sur cette maladie de consumérisme dont je souffrais depuis mon adolescence, une jeune participante qui était en école de chais pas quoi, médiation culturelle, avait voulu leur demander un sponsoring, à Dior, elle était revenue en pleurs parce qu'ils avaient dit que si on ne changeait pas le titre, ils nous foutraient un procès au cul (je crois que c'était l'expression qu'ils avaient employée...). J'avais changé pour Lacroix n'est pas Dieu, mais c'était moins bon…

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L ’Enfer (Huis-Clos)


« Comme on était toujours ensemble on a fini par se haïr. »


« L’équipage est donc condamné à s’entendre à tout prix. Le mot « condamné » n’est peut-être pas très joli, mais il dit bien ce qu’il veut dire. » 

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J’ai revu hier (il est projeté dans le nouvel accrochage du musée de Beaubourg, très abîmé, très émouvant) le film de Beckett avec Buster Keaton. J’ai pensé à toi. C’est imaginé à partir de la phrase de Berkeley qui dit : « Etre, c’est être perçu ». Et donc Buster Keaton essaye d’échapper au regard des autres, au regard du poisson rouge, etc. jusqu’à ce qu’on comprenne qu’il aura du mal (bien du mal !) à échapper — s’étant enfermé dans une chambre dans laquelle il aura noyé de noir les miroirs, les fenêtres, viré les chats et les chiens, les poissons, les oiseaux, craignant les ombres qui, sur le mur, forment deux yeux maléfiques… — à échapper au regard de soi (à l’intérieur) sur soi (à l’intérieur), ahlala, quel pessimiste ce Beckett ! Mais il a un bel allié, Buster Keaton comme un fantôme de lui-même...
YN

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A ux spectacles en général


« Ce que je reproche aux livres en général, c’est qu’ils ne sont pas libres. Ce sont des livres charmants, sans prolongement, sans nuit, sans silence. Autrement dit, sans véritable auteur. Des livres de jour, de passe-temps, de voyage. Mais pas des livres qui s’inscrivent dans la pensée et qui disent le deuil noir de toute une vie, le lieu commun de toute pensée. »

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« En réalité, la télé, loin de diffuser (comme ils le soutiennent) des notions fragmentaires et privées d’une vision cohérente de la vie et du monde, est un puissant moyen de diffusion idéologique, et justement de l’idéologie consacrée de la classe dominante. [...] La télé, selon moi, en mêlant des spectacles d’une certaine valeur artistique et culturelle (la prose) et d’autres d’un niveau très inférieur, c’est-à-dire en mettant la partie la plus pauvre, culturellement parlant, au contact de divers niveaux, pour ainsi dire, de culture, non seulement ne concourt pas à élever le niveau culturel des couches inférieures, mais provoque chez elles le sentiment d’une infériorité presque angoissante. Ainsi les pauvres sont-ils en permanence soumis à un choix qui les conduit, par la force des choses, à préférer les spectacles étiquetés de niveau inférieur. En ce sens, si vous me permettez, je dirai que la télé s’ inscrit dans le phénomène général du néo-capitalisme. Au sens où elle tend à élever un peu le degré de connaissance chez ceux qui sont à un niveau supérieur, et à précipiter encore plus bas ceux qui se trouvent à un niveau inférieur. »

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