V ous
Mon très cher Zakary !
Moi aussi, j’attendais depuis un moment de vos nouvelles (je savais que j’en recevrais, mais quand ?)
Quelle chance que vous lisiez ! Je m’y suis mis aussi, figurez-vous, parce que j’ai entendu Isabelle Huppert à « C à vous » avouer qu’elle ne lisait plus (que des journaux) et demander aux journalistes présents sur le plateau si eux-mêmes il leur arrivait de lire : non, personne ne pouvaient citer un livre récent ; ça a sonné comme un réveil parce que, bien-sûr, je suis comme les autres à pleurnicher, emporté par la distraction — et vous écrire en est encore une, mais celle-ci est l'une des plus douces... Je me dis qu'il ne va plus exister qu’une sorte de communauté, peut-être pourchassée, une sorte de congrégation de lecteurs. La littérature tout entière une niche comme la poésie l’est déjà. Mais je veux faire partie de cette société secrète. Mais, bon, ça me prend tout mon temps parce que je suis très lent — des journées entières dans les arbres — et ça m’isole, mais cet isolement — en tout cas, en ce moment —, je m’en fiche (c’est dans mon ADN). Ça vient aussi de la situation, bien sûr. C’est toujours l’idée : vivre le temps présent comme un présent. Vous connaissez cette phrase (oui, puisque je l’ai mise sur mon blog) : faire de chaque jour un matin. Bon, la lecture est à la fois une fuite et un extraordinaire paysage. J’envisageais même de me mettre au RSA — on a les résistances politiques qu’on peut — pour ne plus faire que lire jusqu'à la fin de mes jours — car mes jours sont comptés, mon chéri, tu es printemps, je suis hiver. Referons-nous du théâtre ? Dans mon cas, c’est très incertain, vu que je ne demande jamais rien. Mais, dans votre cas, cher Zakary, rien n’est incertain. Vous êtes jeunes, je conseille l’ambition (dont j’ai tant manqué). Faites-moi ce plaisir. Donc les classes prépa dans l’un des meilleurs lycées de la capitale (au moins). Votre fatalité, ce malheureusement à quoi vous ne devez pas échapper, c’est Normale Sup. Je le sens, je le sais. Après, vous ferez ce que vous voudrez. Mais papa exige l’entrée à Normale Sup (si papa est écouté...)
Le théâtre, ça doit toujours se faire par dessus la jambe, à mon sens, pour que ça fasse valeur. Comme vous dites, c’est « une solution de facilité ». Mais il faut que cela le soit.
Ah, autre chose, j’interdis les drogues. C’est tout simple : rien, pas le moindre cachet, bout de buvard, de fumette de quoi que ce soit. Jamais. Je sais, ça va isoler. Mais c’est la drogue qui isole. Je ne développe pas si vous le permettez : croyez-moi sur parole : je sais. Pour le reste, coucher… ça ! amusez-vous, cher enfant ! Faites toutes les cochonneries dont vous rêvez. (Mais donc pas de chemsex.) Ah, vous parliez d'amour ? Excusez-moi.
Je rêverais d’être grand seigneur comme le Marquis de La Mole (quel nom !) pour vous engager comme mon secrétaire comme il le fait en ce moment avec cet amour de Julien Sorel (je lis Le Rouge et le Noir, dépêchez-vous comme moi si vous ne l’avez pas lu : c’est au programme). Pour le moment, je vous compare, bien sûr, c’est un peu vous, ce lapin qui ressemble au jeune Stendhal. Je dis : pour le moment parce qu’il paraît que ça se termine mal. Mais nous n’en sommes pas là ! Comme c’est joli, n’est-ce pas ? parmi tant de merveilles (on est tout à coup à cheval sur l’ancien et le nouveau régime) cette expression qu’on y trouve (p 271), « lapin privé » (pour domestique)… Si j'osais, si j’avais de l’argent, qu’est-ce que j’en aurais, des lapins privés ! Mais qu’est-ce que je raconte ? vous me faites dire n’importe quoi ! Je fatigue… Vous permettez que j’y retourne, s'il vous plaît, que je vous quitte et que je ne fasse pas non plus mes devoirs, que je les remette comme tous les jours à demain, dites, mon bon papa ? (Renversement habile des rôles, vous avez vu ?)
Mais, oui, bêta, envoyez-moi votre Testament ! Tout le monde l'a probablement lu sauf moi ! Je suis jaloux de cette « ancienne prof de français » (du genre Brigitte Macron ?) qui a l’air bien amoureux, la saleté... (Commencer un compliment par « Il cohaBITE », c’est vraiment répugnant de sa part !) (Ne me parlez plus d’elle, s’il vous plaît.) (Et puis, elle vous tutoie, c’est affreux…)
Votre Yves-Noël
PS : Je ne suis pas un grand fan de René Char que je trouve surévalué (et qui, en plus, battait sa femme, mais, bon). Pourquoi ne liriez-vous pas les poèmes de Fresnes, de Robert Brasillach ? c’est très beau. Michel Houellebecq dit que c’est de loin ce qu’il a écrit de plus beau, que le reste ne vaut pas grand chose, mais c’est vrai que, ça, c’est parfait : il attend la mort et il écrit.
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