Saturday, March 05, 2016

S oirée underground à Pantin



D isparition du théâtre


J’ai un défaut (qui est aussi un bonheur) : je ne fais rien si on ne me le demande. Si on ne me demande rien, je ne fais rien. Sans me vanter, c’est une force que Marguerite Duras n’avait pas : « Je fais des films pour occuper mon temps. Si j’avais la force de ne rien faire, je ne ferais rien. » Eh bien, moi, cette « force » adolescente (j’ai lu ces phrases quand j'étais ado), je l’ai gardée, je l’ai gardée et je la garderai sans doute toute ma vie, ce qui fait de moi un personnage tragique. Donc le théâtre va disparaître, je n’ai plus de travail, on ne m’en propose plus. J’ai déployé une œuvre magnifique chez Gwenaël Morin à l’automne, mais Paris ne l’a pas vue et Paris, c’est Paris et Lyon, c’est Lyon. On me demande quand sera ma prochaine création (j’en ai fait sept), on me parle de 1er Avril, aux Bouffes du Nord, qui remonte à deux ans. Chaque semaine, je rencontre trois ou quatre personnes qui me parlent de 1er Avril — quel dommage que les Olivier * n’ait pas vu le potentiel de ce public grandissant ! (les deux ou trois derniers jours, on était à quatre cents, quand même, aux Bouffes) et, Avignon, c’est difficile d’y retourner, c’est très cher, Anthéa ** dirige maintenant cette salle magnifique... Donc il y avait encore une performance hier soir — avant le désert, le désir du désert, le « désêtre », comme disait Lacan. Ça se passait sur l’île Saint-Louis, chez Madame Louis, un cabaret très sympathique, 1 quai Bourbon, très ancien, il existait déjà au moment de la Révolution (celle qui le tenait voulait assassiner Robespierre et fut guillotinée, dit Wikipédia, mais Wikipédia se contredit dans un autre article) et César *** donnait une soirée pour ses amis et ses amis d'amis. Le clou de la soirée, si j’ai bien compris ce qui enflammait la foule, a été le groupe Antoine Antoine Antoine (très sympathique, d’ailleurs, Antoine). Philippe Katerine est passé et m’a demandé de lui parler de l’éclairagiste de 1er Avril **** dont j’ai survanté les mérites, bien entendu (ce n'est pas difficile), « Ah, les Philippe, on est des bons… », m’a dit Katerine. J’avais choisi de dire un poème de Gérard de Nerval et, du haut du quai, en regardant les eaux noires qui grouillaient, qui attiraient, j’ai pensé que ça n’avait sans doute pas été un mauvais choix. Tout est question de contexte. Je me demande si le cabaret qui est sur trois étages ne descend pas jusqu'au niveau des eaux... ou plus bas... Gérard de Nerval, c’est beaucoup plus difficile que Baudelaire, ça fait plusieurs années que je le traîne avec moi, ce poème. C’est plus difficile parce que Nerval était fou quand il l’écrivait (et Baudelaire n'a quand même, au moins, jamais été fou). El Desdichado. Eh bien, ça a marché ! j’ai eu plein de compliments. Il faut dire — ah, oui, j’allais oublié d’en parler... — que César m’avait adjoint un pianiste, recommandé par je ne sais qui, à la dernière minute, un Québécois, Jean-Philippe Sylvestre, depuis deux mois à Paris, mais plus craquant tu meurs dans sa chemise blanche, ah ! la pleine santé des musiciens, la pleine santé des Québécois... et qu’en parlant un peu avec ce partenaire improvisé je découvre qu’il n’est pas du tout accompagnateur, mais qu’il est soliste, qu’il se produit à la philharmonie de Berlin, etc. (Vous savez comment on y va, d'ailleurs ? Arbeit, Arbeit, Arbeit.) Un soliste ! Alors, voilà, il improvisait du Liszt et du Chopin pendant que je récitais du Nerval ! Donc ça a plu. Trop sexy. Soirée d'énorme amitié. C’était pas très long, je donnais aussi une explication du poème. Je rêve d’un spectacle entier qui ne serait que sur un seul poème, ce poème redit plusieurs fois, expliqué, déployé, un poème, un seul poème, ça suffirait, c’est un poème dont on pourrait parler à l’infini...



* Olivier Mantéi et Olivier Poubelle
** Anthéa Sogno
*** César Vayssié
**** Philippe Gladieux

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