L ivre live
Je suis au fond d’un lit merveilleusement ému fenêtre ouverte dans la nuit, fenêtre d’enfance, lit d’enfance, jardin où les oiseaux se sont tus, la pluie a pris le relai, tout est vert, le jardin sous la nuit, et, du creux de ma fatigue (mot souvent chanté par Barbara), je dialogue avec vous, heureux, ce texte est une vaste lettre, vous y êtes, en tout cas pour moi, aussi présent que dans vos lettres et votre vie. Savoir si c’est publiable, je ne sais pas, sans doute un gros travail d’editing ; les livres sont tellement difficiles, complexes. Comment ça marche ? Par exemple, Edouard Levé (dont vous parlez), Autoportrait, comment c’est fait ? Un travail acharné, absolu jusqu’à ce que ça tienne. Quand j'étais gosse, j'avais entendu Marguerite Duras donner comme en passant une définition de la littérature : « pas un mot plus haut que l'autre ». Edouard Levé n’a publié qu’un livre tous les sept ans, on peut très bien imaginer que s’il en avait sorti un par an, ils auraient été moins bons (et les écoulements d’eau que j’entends me forcent à vous le dire). Moi-même, à une époque, je « publiais » huit spectacles par an. Le hasard — comme toujours, pensais-je — aurait séparé le bon grain de l’ivresse. Ainsi, pour moi, votre texte est un texte d’acteur, je veux dire, d’un stand-up où l’on n’a pas peur de jouer avec les à-peu-près, les approximations qui traînent (du moment qu’elles s’enchaînent) et de « faire du charme », ce qui est un peu sale, comme nous savons (savon). Roland Barthes (que vous aimez) : « Je ne puis jamais parler qu'en ramassant ce qui traîne dans la langue ». Ô ce silence où l’on écoute de la musique la nuit ! Dans le grand vaste territoire de terreur où dorment les parents, grande tristesse d’être heureux (et de peu)… Et maintenant, cette journée du lendemain, la pluie à l’infini, j’ai laissé la fenêtre ouverte, le jardin qui déborde… la fraîcheur mouille les os… la voiture passe... Je vous embrasse, Yvno
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