R eligion
« La structure religieuse est partout »
« La structure de la pensée est religieuse »
« Le théâtre est immédiatement énormément religieux. Donc il faut assumer ça. Pas de la façon mystique ; moi, je suis pas du tout mystique. — Vous êtes quoi, un laïc invétéré ? — Je ne sais pas. Peut-être que la question est intéressante, mais pas la réponse. C’est pas intéressant de dire : Moi, je suis croyant… Je suis athée… c’est pas intéressant. Ce qui est intéressant, c’est la structure dans laquelle nous tous on est tenus. Entrer dans un supermarché, c’est énormément un espace religieux. Une pharmacie. Une pharmacie, c’est de l’Esprit, c’est le Saint-Esprit. La publicité. Voir un match de football. La structure de la religion est partout. Les codes, les cultes chrétiens ont été substitués, mais la structure, ça reste. — Vous voulez dire que notre forme d’appartenance au monde, Roméo Castellucci, est forcément d’ordre religieux : on veut croire, on doit croire ? — Oui, oui, absolument. — Pour respirer ? — Pour exister. Mais, ça, c’est un problème, à mon avis. Ça c’est une forme d’esclavage. Par exemple, aujourd’hui, je crois que le langage, la manière de maitriser le langage comme un pouvoir, ça, c’est un danger. C’est vraiment une structure religieuse. Il y a quelqu’un qui a compris ça, la façon de parler, de s’exprimer, d’écrire évidemment a été canalisé dans des formes. Donc la façon de parler est déjà une forme de… je ne sais pas comment dire en français… en italien c’est une : … On est obligés à certains comportement dans le langage parce que la structure qui est là a conçu une phrase, comment dire, non ?— Vous voulez dire nous sommes conditionnés par une langue qui vient de la religion et qui nous demande une forme d’obéissance, en quelque sorte ? — Oui, oui, oui, oui. Oui, d’une certaine façon. Je l’ai dit, ça n’a rien à voir — malheureusement, je veux dire aussi — avec l’ancienne religion. Là on avait des outils. Par exemple, on pouvait choisir de pas entrer dans une église. Maintenant l’église est partout. On a dans notre poche un device qui fait partie de cette église. — Alors, cette église elle est au sens pas forcément religieux du terme, tel que vous l’entendez, ce terme d’église ? — Oui, non, c’est… — C’est une forme de soumission au monde ? — Oui, mais il y a un culte. On se met à genoux. Ça, c’est le culte. On est minoritaire face à quelqu’un d’autre ou quelque chose, non ? On est à genoux. On a voulu, peut-être — peut-être c’est pas un choix, je dois dire —, communiquer de cette manière. Je crois que la communication, l’information, c’est le pouvoir aujourd’hui. Le pouvoir. Parce que ce sont opérations dans la sphère intime. Donc l’intimité a été envahie. — Vous voulez dire que notre civilisation s’achemine de plus en plus vers une sorte de dépossession de notre propre langue, d’impossibilité de pouvoir déployer notre propre liberté tellement nous sommes asservis à des codes qui nous régissent plus ou moins consciemment ? — Oui. Je crois qu’il s’agit de ça. Par contre, il y a la possibilité de suspendre cette réalité, évidemment. Donc l’expérience de l’art, ça peut être une forme de combat. Ou de révolte, ou de destitution du pouvoir. Je pense que l’art, c’est un moyen qui peut être encore efficace. Donc il faut changer le jeu. Il s’agit pas d’être antagoniste. Etre antagoniste, aujourd’hui, ça veut dire déjà faire partie. C’est comme une foi inversée. On a besoin… — De s’échapper. — Voilà, voilà, c’est ça… — Mais comment s’échapper ? — Ah, il faut inventer un autre temps, un autre espace. D’autres lois physiques. Sur un plateau, on a véritablement un autre temps, un autre espace, une autre façon de rester, d’être ensemble. — Donc le théâtre devient un art de la résistance au XXIème siècle, pour vous ? — Toujours. Pas au XXIème… toujours. — Il l’a toujours été ? — Toujours, toujours été comme ça. »
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