Saturday, June 09, 2012

Le chouette ennui



Bonjour, 

 je me permets de vous écrire : je suis venue hier au Rond-Point, Je m'occupe de vous personnellement / C'est vous les experts
C'était si beau. Naïf – émouvant – simple et délicat. 
Quelle tendresse !
Les mots de Valérie Dréville, sa fragilité aussi, sa vulnérabilité d'actrice, presque perdue au plateau, belle. 
La grosse dame – je l'appelle la grosse dame, dans mon cœur – qui se laisse être. Je crois que je pourrais la regarder vivre pendant des heures.
Les fenêtres ouvertes et mes yeux qui se fermaient parfois, de bonheur et d'ennui, le chouette ennui ! 
La chanson des escaliers. Offerte presque comme un cadeau.
La malice. 
La nage à même le sol et déjà on s'envole. 
Les choses qui se commencent pour de vrai et qui continuent pour de faux, mais qu'on voit se continuer.
Les gens qui partaient, qui parlaient, pour une fois je n'étais même pas énervée, ils étaient là, eux aussi, vivants – peut-être bêtes, mais vivants, comme autorisés à l'être.
La grâce.
Accrochée au vide, comme cette petite boule, tout m'a happée, tout m'a émue. C'est bête, mais c'est si rare. 
Les plantes et les poules, qui sont très bien où elles sont, c'est évident. 
Cette évidence. 
Les danses et l'œil rieur. 
Cette démission au faire – et le vivant qui naissait, partout, partout, où que je regarde.
La gratuité et l'important d'une fête.
La vie quand l'événement, c'est juste un pot qui tombe et qu'on remet.

Merci.  

Milène






Ecoutez, c'est à moi de vous remercier ! Vous remercier de m'apporter votre témoignage d'une si délicate façon ! En effet, je pense exactement comme vous – tous les soirs ! – certains soirs encore plus que d'autres, mais jusqu'à maintenant aucun ne m'a déçu – et je suis bouleversé d'apprendre que je ne suis pas le seul à vivre cela (j'adore votre expression : « le chouette ennui »). On est étonné parfois que les autres soient touchés par ce qui nous touche profondément, mais qu'ils ne le soient pas est absurde aussi ! Si vous avez des amis à m'envoyer, n'hésitez pas, j'ai quelques (peu d') invitations, mais toutes les détaxes à 14 euros possibles. Ceci dit, j'ai découvert un tarif encore plus intéressant, un ami étudiant a pris sa place aujourd'hui avec sa carte Imaginaire (quel joli nom !) : 12 euros. Pardon de parler finance, mais vos mots sont si justes que je ne vois rien à y ajouter...

(Et revenez quand vous voulez...)

Au plaisir

Yves-Noël

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Sophie O’Byrne
Hello, Yves-Noël, juste te dire que je trouve vraiment beau ce qu'il se passe au Rond-Point. Comment tu poursuis ton envie de voir émerger la vie dans un théâtre. Je trouve que c'est bien la (presque) seule quête qui vaille vraiment la peine. Il y avait à la Ménagerie comme un goût de « trop peu » (moi, j'aurais continué des mois évidemment à chercher plus loin) et, là, ça sort de partout et encore je ne l'ai vu qu'au début. D'ailleurs le fait que ça soit si difficile certains soirs avec le public d'après ce que j'ai pu comprendre (bien différent de celui de la Ménagerie) c'est bien la preuve qu'il se passe quelque chose. Une chose importante (voire essentielle peut-être !) Et vraiment, c'est Beau ! J'voulais t'le dire !
Bises, bises, Yves-No et sans doute je reviendrai au Rond-Point

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« La fiction appartient au lecteur »


Photo Marc Domage. JE M'OCCUPE DE VOUS PERSONNELLEMENT.

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Folie



« – Vous avez été malade, vous avez été soignée deux ans. Est-ce que vous avez des connaissances sur la folie ?
– Oui, j’en ai. Je ne crois pas être entrée complètement dans la folie. Vous savez, soit on verse carrément dedans, soit on se maintient au-dehors. Quand on est au-dehors, ça se présente comme une tentation. Moi, j’ai presque passé de l’autre côté, c’est très dur et on ne peut pas du tout le dire en mots. Un ami, un jour, m’a demandé de lui faire comprendre ce que je ressentais, de le faire comme s’il ne comprenait pas le langage. J’ai dit que j’étais un steak haché suspendu à une corde à linge, mouillé, par jour de grand vent. Je suis encore complètement d’accord avec ça, c’est le mieux que j’ai trouvé pour le dire. J’étais sans colonne vertébrale, sans peau, la tête pincée dans la corde à linge, je n’avais pas les pieds à terre, alors je ballottais d’un endroit à l’autre. Quand j’ai commencé à pouvoir bouger, je mettais douze heures pour laver la baignoire, me baigner, me rendre propre, m’habiller, quand j’avais fini ma toilette, la nuit venait. Ce qui m’a tirée de là d’abord, c’est Michel, il est venu tous les jours pendant deux ans, c’est long deux ans, tous les jours. Et puis j’ai l’idée aussi que c’est un petit vieux de la clinique. C’est lui qui m’a fait recommencer à rire pour la première fois. C’était un petit vieux maniaco-dépressif qui était resté immobile, la tête baissée, pendant des mois et des mois. Et puis tout à coup il s’était levé, il était passé à faire des gags tout de suite, à se faufiler partout. Par exemple il lavait des dossiers, il cassait tous les stores. Un jour, vous savez ce qu’il a fait, il a vidé tous les stylos de tout l’étage, impossible d’écrire un mot. Il disait très très peu de choses mais toujours les mêmes. Quand il prenait le thé, il levait sa tasse en l’air et il criait en articulant très fort : « Twinings, the tea of London. » Moi, il m’enchantait complètement. C’est avec lui que j’ai ri de nouveau. »

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Invitation au retour

« La fiction appartient aux lecteurs »





Spectacle sublime, hier soir. Bon, ok, pour moi, ça l’a tous les soirs été, tous les soirs d’été. Mais ça pourrait s’effondrer. Et certains soirs, ça l’est plus, si on peut le dire, plus sublime encore. Hier et il y a trois jours… On travaille sur la grâce, sur la magie, elle y est plus ou moins. Parfois le grillon chante, parfois pas. Parfois une trompette passe sur l’avenue Franklin Roosevelt, parfois pas, parfois un orage, parfois une nuit, parfois une lumière et tous les jours LA VIE. « LA VIE, seul vrai capital », comme nous dit Hélène Bessette. Il y a une chose que je voudrais avouer maintenant. Nous sommes à mi-parcours, je peux l’avouer maintenant : le spectacle change tous les jours. Ce n’est pas qu’il change normalement, c’est qu’il change radicalement tous les jours. Il n’est pas joué par les mêmes personnes, les mots qu’on y entend ne sont jamais les mêmes (mais d’Hélène Bessette, dits par Valérie Dréville), les actions qu’on y voit n’y sont jamais (ou si peu) les mêmes. D’habitude, mes spectacles sont écrits. Même s’ils ne se jouent qu’une fois, ils sont écrits ; les célèbres avant-premières permettent leur cristallisation. Là, nous avons travaillé (c’est beaucoup plus dur) pour que ces avant-premières ne cristallisent pas et nous travaillons tous les jours pour tout remettre en jeu tous les jours. Pourquoi ? Parce que ce spectacle frôle le réel (fenêtres ouvertes sur la rue, eau, feu, air, terre, plantes, fumées, animaux, insectes, voitures, intempéries, durée, hors champs, jardin, jardin planétaire, tiers-paysage, jardin en mouvement…) ou, dit autrement (à la Marguerite Duras) : parce que ce que nous voulons (j’avais écrit « volons), c’est l’ « état de l’apparition ». C’est ainsi que, moi, si j’étais moi, je reviendrais tous les jours – puisque tous les jours changent et m’émerveillent – c’est ce que je fais. 

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