Apparition du théâtre
J’ai vu un spectacle dont je ne peux pas dire du mal car beaucoup de gens que j’aime l’ont aimé, mais — je revenais du Mexique, je me suis précipité à cause de ce qu’ils en disaient — comme c’était mal joué ! C’est-à-dire d’une manière française, névrosée, déprimée, angoissée — quel intérêt ? Jouez dans la langue originelle, ça éviterait le par-cœur de l’ennui, la cachette du par-cœur, l’angoisse du par-cœur, la cachette de l’angoisse du par-cœur, la dissimulation du mensonge car l’intention n’est rien, l’intention ne cache pas le par-cœur et le mensonge et le fait que vous ne pensez pas à ce que vous faites. La mise en scène n’était pas du tout nulle, elle était même discrète, mais les acteurs jouaient tellement mal ! Et je me demandais pourquoi. C’est quand même pas difficile de bien jouer. La France est-elle si... Bon, c’était quand même pas aussi mauvais que Nouveau Roman ! J’écrivais cela dans les premières minutes du spectacle et puis — voyez — la pièce finit par agir, à un moment on y croit, l’arrivée d’un acteur qualifié d’« animal dans le zoo contemporain » ou de « pomme du même arbre » et on y croit — allez savoir pourquoi, ça prend — il y a comme une humilité chez le spectateur qui accepte sa dure condition : rester coincer devant un vilain spectacle — et la pièce, puisqu’il y en a une, prend, par l’acteur-animal — qui a probablement « tué », « pillé », comme il est dit. Cela me faisait penser à la phrase d’Edouard Levé : « J'ai peut-être parlé sans le savoir avec qq qui a tué qq » (que j’avais entendue dans le documentaire radiophonique de Clara Chabalier) *. Les acteurs ralentissaient pour sortir en coulisse parce que les coulisses de ce théâtre sont très étroites — plus il y a d’acteurs, plus il y a d’embouteillage. Et puis c’est devenu bien, je ne sais pas, la lumière a changé, les fautes de jeu ont paru plus discrètes et d’autres merveilles, les merveilles des acteurs, sont apparues.
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