Tuesday, December 19, 2023

Marie-Noëlle pense : Je suis dans une forêt profonde. Marie-Noëlle lit Emily Dickinson. C’est ma sœur, pense-t-elle. Mais Emily Dickinson est la sœur de bien des jeunes filles. Marie-Noëlle s’est promenée dans la foule de Noël. La FNAC, H&M, elle n’était pas venue depuis vingt ans… L’inflation n’existe pas, c’est toujours aussi peu cher, H&M, toujours la caverne d’Ali-Baba, le réassort permanent. Mais elle n’a rien acheté. Elle a de la tendresse pour ceux qui achètent, elle a été l’une d’entre eux. Mais maintenant, elle est un pur esprit, elle n’a besoin de rien. Elle sent que si Dieu existait, il ne permettrait pas H&M. Il ne permettrait pas bien des choses. Mais c’est heureux aussi, il ne réprime pas, Dieu, il laisse leur liberté aux humains, il sait qu’il faut qu’ils en passent par là. La destruction de l’esprit, le vol des morts, la mort des couples, des familles, le parfum, tous ces parfums, toutes ces paillettes, ils veulent rêver, les pauvres. Elle sait tout ça, Marie-Noëlle, mais elle trouve qu’il n’y a rien de plus beau que se promener dans la foule de Noël. Sans rien acheter. Elle habite un tout petit cagibi, Marie-Noëlle, c’est pourquoi elle n’a besoin de rien : pas la place.

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S ilhouette Hedi Slimane


François Jonquet réussit le tour de force d’un conte de « real horror ». Daniel Emilfork a existé, probablement les circonstances de ce récit aussi (elles sont vraisemblables, en tout cas), mais FJ réussit à inventer son personnage comme Mary Shelley inventa la créature de Frankenstein, Oscar Wilde Dorian Gray (etc.). Il s’agit d’une nouvelle plutôt que d’un récit, une nouvelle peut-être plus dans le style de Jorge Luis Borges que dans celui d’Edgar Poe, dans le genre fantastique de toute façon. C’est dire que ça peut faire peur et que ça peut ne pas s’oublier. J’ai tremblé comme une feuille (et encore maintenant). Il faut dire que Chéri-Bibi m’avait traumatisé du temps où j’étais traumatisable. « Une cargaison humaine et de la plus terrible humanité qui soit : voleurs, escrocs et assassins… » Ce qui se dégage, c’est un personnage presque invisible, moins il a de répliques, plus il est content (du moment qu’il est « bien affiché »), un personnage de dandy qui ne participe que du bout des lèvres, son seul visage-silhouette suffisant et le moins de mots possibles dits d’une voix étrangère.