« Tout ce superflu dans lequel nous vivons tous ne parvient plus à engendrer la moindre imagination. »
Plus ça va, plus — mais c’est normal —, plus ça me semble difficile. Forcément, plus ça semble s’éloigner. On fera ce qu’on pourra. Mais l’idéal serait d’être assez familier de la « matière Tchekhov » ou plus largement « matière russe » pour pouvoir y faire entrer des phrases qu’on trouve sur son chemin, dans la vie de tous les jours, les lectures, etc. Des phrases qui résonnent comme tchekhoviennes (ou dostoïevskiennes…) Comme, par exemple : « Maintenant, c’est la jeunesse qui est au pouvoir partout, et les gens pas très modestes, qui d’ailleurs ne savent plus comment s’appelle les plantes ici… » C’est une phrase que Tchekhov aurait pu noter dans son carnet, elle est de Peter Handke. Voyez, soyez, je vous en prie, libres. Ne vous inquiétez pas de la forme de ce spectacle (qui apparaîtra d’elle-même). C’est une espèce d’énorme passion, d’énorme confiance et c’est ça qui est difficile : se considérer comme des géants, c’est-à-dire d’une modestie à toute épreuve, d’un orgueil absolu et invisible, voyez, je n’arrive pas à le dire. Le livre intérieur. Regardez particulièrement les choses qui vous mettent sur la voie orale, les entretiens d’écrivains (ou non), par exemple. Si vous pouviez montrer votre « humanité », votre cœur, votre attention aux autres, à la vie, toutes ces choses dont je manque énormément, mais que je rêve de voir sur scène : les vies des un.e.s et des autres. Soyez des héros !
Phrases de Tchekhov (de Handke, en fait) :
« Au fond, j’ai été déçu par beaucoup de choses, les illusions sont là pour être déçues, mais il n’y a rien de plus fort et de mieux que les illusions. Elles vous mettent en chemin, n’est-ce pas ? Vive les illusions. »
Jouez des vieux, des jeunes, imaginez que vous avez tout le savoir de l’humanité en vous et que vous le détaillez. (Oui, comme un vendeur au détail.)
« Ce qui est intéressant, c’est : où se passent les histoires ? Où ? Du « où » du paysage ou de l’endroit naît entre autre le caractère des personnages. »
Et si alors ces personnages (les caractères) naissaient (ou aussi) du paradis ?
« Pendant qu'il se passait telle chose, l'arrosoir, là, dans le jardin — disons — se remplissait d'eau. Ça, c'est du temps. Laisser apparaître le temps dans ces catégories sensuelles m’a toujours fasciné. »
« Ma conviction, c’est qu’à travers des notions univoques, et même équivoques, on ne peut rien dire de vrai à propos de soi-même. Rien ! »
Vous pouvez aussi poser en absolu des exagérations d’états isolés (ce qu'explique que fait beaucoup Handke, mais que Tchekhov devait faire. A un moment de sa vie, Handke parle d'un roman qu'il a écrit qui n'est que violence et colère, il a ça en lui, mais à l'état isolé et, dans le roman, il grossit d'une manière dramaturgique ce sentiment.)
Il faut sentir que Tchekhov écrit à côté de vous.
« Il faut laisser filer. »
« Ces gens disparaissent tous maintenant. Dans dix ans, il n'y aura plus alors que… ces jeunes gens qui ne savent plus ce qu’est la nature, qui arrachent d'emblée tout ce qui est arbre fruitier et fichent des machins d'agrément, des espèces de… hêtres pourpres dégénérés ! un truc abominable de ce genre, des gens qui ont une machine pour la moindre chose et qui ne savent absolument plus ce qu'est le travail manuel… Des gens qui, pour compenser leur vie d'ordinateur, font du roller ou du VTT et qui foncent avec ça à travers les forêts et détruisent des chemins et anéantissent toutes les cultures de champignons… Peut-être, sûrement, c'est exagéré ce que je dis là ; parmi ceux-là, il y en a un qui est attentif, et tout de suite on pense : quel con je suis, c'est quoi ces préjugés que j'ai, là, et, pendant une heure, on est soulagé de ne pas avoir de préjugés envers l'humanité actuelle. Et puis arrive trente autres types qui renforcent les préjugés. »
« En parlant d'écrivains, on entend souvent — c'est une des choses les plus bêtes qui circulent, à propos d’écrivains — : Tel écrivain, tel homme ou telle femme, « a quelque chose à dire ». Moi, je n'ai rien à dire. C'est bien pour ça que j'écris ! Ça suffit déjà à me rendre les gens suspects, s'ils ont quelque chose à dire. Je ne lis pas ça. Un écrivain sérieux n'a rien à dire. Il a quelque chose à écrire, à décrire, à raconter. S'il a quelque chose à dire, qu'il le dise, mais qu'il n'écrive pas. »
« C’est le vieux problème, bien sûr : la littérature est-elle ce qui est ou ce qui pourrait être, ou ce qui devrait être ? Chez moi, c’est tout cela à la fois. Mais bon… c’est évident. (Rire) »
« Que sont devenus les gens enthousiastes ? Ceux qui un jour étaient jeunes et enthousiastes tournent au vinaigre, comme on dit en français. Le personnage de la banquière rencontre au cours de son voyage un homme qui, jeune, a été très enthousiaste et qui est en train de retrouver son enthousiasme. J'ai connu beaucoup de jeunes, autrefois, qui, lorsque je les ai revus, vingt ans plus tard… avaient tourné au vinaigre, étaient devenus amères — pas amères, l'amertume est juste, sans elle rien ne va —, aigris et ne souhaitant plus que le mal et ne voyant plus rien de bon. Et alors j'ai pensé : c'est curieux. J'aimerais raconter ça, un jour. Du moins tourner autour de ça, en écrivant : qu'est devenu votre enthousiasme, les jeunes ? Votre excitation ? Et alors je voulais esquisser du moins quelqu'un qui, après avoir tourné au vinaigre, redevient vin. »
« La conscience nous rend tous sots. Ce que signifie « conscience » là, ce n'est pas l'entendement, bien sûr, mais le fait d'être conscient de ce qu'on est en train de faire, ou de ne pas faire, si bien qu'on a une impression comme Kafka, qui a écrit qu'il pourrait chercher en lui-même pendant un an, il ne trouverait aucun sentiment vrai en lui. Si la conscience s'en mêle, le sentiment s'arrête. Ou alors on se met à raconter, et soudain on prend conscience du beau cheminement de la narration qui avance comme dans un rêve, et ça suffit pour que dès cet instant rien n'avance plus. C'est comme dans l'histoire du théâtre de marionnettes, de Kleist : dès que tu prends conscience de ce que tu fais, tu ne sais plus bien te mettre en marche. »
« J'ai déjà dû dire quelque part que j'avais une structure schizophrène, et je ne crois pas être le seul. En moi, de multiples personnalités ou personnage ou escrocs (plus ou moins escrocs) sont à l'œuvre. »
« Car ce qui m'a toujours dégoûté le plus, ou peut-être étais-je dégoûté de moi-même, en voyant ces mises en scène de mes pièces, c'était lorsque les comédiens ne les incarnaient pas. J'aurais voulu dire : Incarnez !… Sautez dans les rôles ! Et eux ont toujours pensé que c'était des textes si lointains ou qui planaient si haut qu'ils ne pourraient pas les incarner. C'était dommage. Ils n'ont fait que les dire. »
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