U n beau texte de Jacques Livchine (sur FaceBook)
« La photo, c'est le théâtre de Mandeure, dans le pays de Montbéliard, ancien théâtre gallo-romain abandonné en l'an 400 qui accueillait 18 000 personnes. J'y pense aujourd'hui quand j'imagine les scénarios les plus sordides style arrêt total du théâtre pendant 200 ou 300 ans....
Or ce matin
J’y crois à peine : événement sans précédent
Un vrai spectateur écrit sa détresse de ne plus pouvoir aller au théâtre
Il s’appelle Joël Cramesnil
C’est un spectateur certes un peu professionnel, mais c’est un spectateur, Joël Cramesnil c’est son nom, je lui ai écrit pour être sûr que ce n’était pas un leurre
Parce que dans toute cette misère, là où le bât blesse, c’est que ce sont les artistes qui réclament la réouverture des théâtres.
Je n’aime pas leurs caquètements, et leur prétention de se croire les plus importants du monde
Carrément, le monde du théâtre souffre de séparatisme, c’est une petite communauté, un club, un microcosme, presque une cour avec sa hiérarchie, en haut le Français, puis les cinq théâtres nationaux, etc.
Jadis, au temps des festivals, je m’amusais à évaluer les poignées de main à Avignon
1000 : points un Ministre de la Culture
400 : un directeur de Drac
200 : un directeur de Théâtre National
200 : le directeur du festival d’avignon, le pape PY
180 : le directeur d’un CDN
100 : un metteur en scène de compagnie conventionnée
04 : un intermittent
En 1991 étouffant dans les cercles de théâtres parisiens, nous nous sommes exilés dans l’Est
Ça a été la claque
Je ne pouvais même pas croire que des gens vivaient sans connaitre Vilar, Jeanne Laurent, Planchon Chéreau Mnouchkine, Sobel, Debauche, Garran, jean Claude Collot, Jean Marie Songy Jean Luc Courcoult, Peter Brook, Peter Stein, Léna Breban, Gil Galliot etc.
J’ai appris la modestie en Franche-Comté et je me suis mis à respecter une autre culture : celle des champignons, des sapins, de la fabrication du Comté, de l’autogestion de Lip, des utopies diverses…
J’ai compris que la vraie cathédrale de la culture s’appelait Bricorama, car ici on met sa créativité au service de la maison et du jardin
Et pour Noël, dans les villages, les maisons sont magnifiquement illuminées
La Culture, c’est un tout petit peu le théâtre pour quelques abonnés privilégiés, mais c’est surtout la nature, les épicéas, les champignons, le Doubs qui se jette dans la Saône, les couchers de soleil
il y a l’air, il y a le vent les montagnes le ciel, les enfants les animaux et le charbon de terre (Cendrars)
Et puis quand j’ai appris que 98 % des français approuvaient le plan Castex pour Noël j’ai bien compris que réclamer une exception théâtrale serait un peu déplacée par ici… d’autant plus que la misère monte comme le lait qui bout
Dans l’affaire Covid, ce qui me plaît : c’est qu’un petit machin invisible soit capable de faire plier un pays tout entier,
ce qui me fait rire c’est la mise en chantier par Macron d’un sous marin nucléaire alors qu’il suffirait de parachuter deux ou trois condamnés contaminés dans les forces ennemies pour en venir à bout
Ce qui me plaît, c’est l’énorme déstabilisation de toutes nos routines
Chez nous, la vie ne s’arrête pas, il y a du monde au château, aux 3 oranges, on déjeune ensemble, on rit, on se raconte les temps anciens, et l’avenir entravé
Tu connais la phrase de Van Gogh ?
« Je peux me passer de Dieu, mais je ne peux pas me passer de mon besoin de créer » *
Alors…
Chut, nous œuvrons dans l’ombre et en silence
Pourvu que les confinements nous laissent encore du temps.
Les représentations seront clandestines et secrètes, tels les chrétiens dans les catacombes
Nous avons décidé de mourir bien vivants. »
* « Je peux bien, dans la vie et dans la peinture aussi, me passer du bon Dieu. Mais je ne puis pas, moi, souffrant, me passer de quelque chose plus grand que moi, qui est ma vie, la puissance de créer. »