Saturday, March 07, 2009

L'accomplissement (Loin..., de Rachid Ouramdane)

Ton solo, Rachid, est somptueux comme un opéra ! Bien que tu m’aies dit que tu travaillais maintenant sur des thèmes identiques mais avec du monde, je trouve qu’hier, que ce soit un solo était nécessaire. C’est toi qui permets l’identification à ce qui se dit – se dévoile sans mensonge (sans pathos) comme la vérité vraie et c’est toi qui révèles la possibilité du sauf dans cette réalité qui détruit (ceci par tes qualités humaines qui sont ton art – avec toi, je pense souvent à cette phrase de Jouvet : « L’acteur, c’est l’homme. ») Le spectacle a sans doute directement résonné pour moi avec la lecture toute récente d’un livre très important : Prélude à la délivrance (comme je t’ai dit) : de la pensée pure et de l’humanité pure, du sacré, de la beauté*. La splendeur anthracite du noir que tu révèles est en effet inoubliable, cette splendeur est l’éclat de la beauté et c’est, dès le début, l’opération mise en marche de transsubstantiation et de transmission, dans cette forêt de marbre noir, de l’irréductible vivant : que tu incarnes, que tu montres, que tu dis : « Je suis vivant, je suis là et vous aussi. » Ça ne peut pas marcher pour tout le monde, mon ami, Pierre, impressionné, est resté extérieur, n’a pas été touché. Moi, certes impressionné, c’est le contraire, comme je t’ai dit, j’ai laissé couler les larmes à l’apparition des deux mots « Verlaine, Rimbaud » dans le récit. Les défauts possibles, je les ai vus passer, mais, pour moi, tu les as toujours traversés. Ils sont clairs, les défauts possibles : le risque de l’exhaustivité ; ceci parce que tu t’occupes (ce que je t’avais déjà dit pour le solo de Pascal) de mettre en ensemble des lignes chacune déjà extrêmement belle et complète, ce qui peut s’apparenter à une gageure car il faut que néanmoins un espace, un vide circule et respire à plein poumon jusqu’au bout, ce qui était le cas pour moi, hier. Des accroissements d’espaces les uns après les autres, le même qui s’accroît, grandi comme un cancer, mais avec cet accroissement ce recouvrement mondial de la surface terre par ce marbre noir s’accroît aussi ce qui sauve (Heidegger et les auteurs de ce livre dont je parle) – et le face à face avec le pire, la seule solution – en tout cas, celle que tu te coltines – pour saisir le « risque » qui sauve.


* Une citation recopiée au hasard (tout le livre parle de ça) : « L’art, c’est ce qui tranche. L’art néantise le flux. Il agit comme une déconnection. Et puis c’est quelque chose de très secret, aussi imperceptible qu’une expérience spirituelle. Pas question de l’assimiler à cette spéculation financière qu’est devenue la sphère planétaire de l’art contemporain. Au fond, ce que j’attends de l’art, c’est qu’il accomplisse un miracle. L’art, pour moi, c’est l’équivalent du miracle. Quand il a lieu, plus rien d’autre n’existe, il bouleverse toutes les coordonnées. Je crois que c’est Georges Bataille qui parlait de ce « désir de prodige » qui accompagne nécessairement l’œuvre d’art. Le prodige est de nature poétique ; il s’accomplit parfois dans l’amour, et parfois dans l’art. Mais c’est une chose qui arrive à pas de colombe, dans l’éblouissement d’un filigrane, avec cette discrétion souveraine qu’il y a dans les visages féminins de la peinture florentine du XVe siècle. » (Yannick Haenel.)

Il me semble que, malgré les risques que tu prends, cet accomplissement a lieu.

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