Bien sûr, l'époque
s'accélère, il y a une accélération vers l'effondrement qu'on attend, qu'on
espère même — on le guette... aujourd'hui ? demain ? la semaine prochaine ? —
et puis peut-être qu'on a tort, qu'il ne se passe rien, que ce qu'il va se
passer, imminent, ce ne sera rien. Parce qu'on pense ça en voyant la dernière à
Paris de Passim, le
spectacle du Théâtre du Radeau. On se dit : C'est dingue qu'un théâtre
pareil existe ! invraisemblable ! complètement à contre-courant — et l'on se
dit : Et s'ils avaient raison, eux, de ne pas bouger, de rester fixes — et
vivants — contre l'époque qui s'accélère — et meurt ? Pour moi, c'est
invraisemblable. J'ai travaillé avec cette troupe, il me semble que c'était il
y a 100 ans : je fréquentais Marguerite Duras, à l'époque, c'est dire ! Ceux
qui étaient déjà des anciens sont maintenant des vieillards (l'un a été
hospitalisé pendant les représentations de Gennevilliers), mais cela ne se voit
pas sur le plateau, ils ont éternellement 35 ans. Ils jouent comme des
marionnettes, mais des marionnettes conscientes, frémissantes, inconscientes,
archaïques et étonnamment vivantes. Karine me dit que le spectacle Passim tourne moins. Cette désaffection, cette disgrâce,
suffisent à discréditer toute la profession des programmateurs qui, eux, cherchent
justement à galoper avec l'époque et ses malheurs et à y entraîner tout le
public. Une seule solution
: ne payez pas ! (Ça aussi, je le pensais pendant Passim). Le métier de spectateur est un métier, au moins ne
payez plus jamais. On devrait payer le spectateur, si on était logique, mais
au moins, vous, ne payez pas. C'est un trou qu'on vous demande de creuser, ne
payez pas la pelle pour ça.
Nota bene :
J’avais écrit cette note dans
le train. Et Gwenaël Morin à qui je la racontais s’est mis à m’expliquer
ça : A Athènes, le théâtre, c’était pour tout le monde. Ça durait une
semaine. Mais les commerçants et les artisans ont râlé : Vous êtes bien
gentil avec votre truc, mais si j’arrête de travailler une semaine, moi, je ne gagne pas
ma vie ! Alors on leur a dit : Combien ça vous rapporte votre
semaine ? et on les a dédommagés pour qu’il puisse aller au
« théâtre » (étymologiquement : « lieu d’où l’on
regarde »). Gwenaël Morin pense comme moi qu’il ne faut pas faire payer le
théâtre, mais on n’a pas vraiment le droit, alors, lui, il fait payer 5 €. Rien
ne devrait coûter plus de 5 € dans ce monde. Il dit, ce que je pense, qu’il
faut qu’il y ait des choses qui ne passent pas par le « marché »
contrairement à ce qu’on essaye de nous faire croire (que le marché est notre
seconde nature). Le théâtre peut être une de ces choses. Il y en a d’autres. Il
faudrait qu’il y en ait beaucoup, beaucoup plus d’autres. Heureusement, nous
allons être aidés par la terre qui va mettre à bas le système — bien sûr, ça va
faire mal —, qui va décimer les populations (si la population continue d’augmenter,
ça ne sert pas à grand chose de parler d’écologie) puisque l’homme ne peut pas
de lui-même réguler son usure de sa présence sur terre...