L e Ciel
Farid est mort alors qu’il venait d’emménager rue des Orchidées, un bel appartement traversant avec du ciel, alors Christine m’a proposé de passer pour voir si je ne voulais pas de ses livres. Enorme bibliothèque encore dans les cartons. Tous les livres d’art vont aller en bibliothèque (et, moi, je m’intéresse à la littérature, mon logement est trop petit pour les livres d’art). D’abord je suis submergée, tant de titres que je n'ai pas lus (que lui avait lus, exhaustivité, souvent, d’auteurs totalement inconnus ou que je connais vaguement). Grâce aux oiseaux que j’entends à Paris, principalement des merles, fenêtre ouverte, je suis fourrée dans les prés de bord de mer et dans la lecture. Qu’est-ce que j’ai ramené, vous voulez savoir ? Saint-John Perse (œuvre complète), François Augiéras (3 livres), Hélène Bessette (2 livres), Gilles Deleuze et Félix Guattari (3 livres), Françoise Sagan, Francis Ponge, Maurice Roche, Emmanuel Berl (Interrogé par Patrick Modiano), David Di Nota (avec, retenue dans le livre, le manuscrit d'une nouvelle que Farid avait dû publier dans une revue), François Jonquet, Gustave Roud (2 livres), Djuna Barnes, Charles Dantzig, Bulle Ogier (son livre avec Anne Diatkine), Pierre Bergounioux (2 livres), Armand Robin, Raymond Roussel, Stephen Hawking, Witold Gombrowicz, Pierre Herbart, Robert Brasillach, Antonin Artaud, Paul Léautaud, Max Jacob, Jean Cocteau, Jean Genet. J’ai laissé avec regret une édition en 3 volumes de Restif de La Bretonne parce qu’elle doit valoir qqch. Christine m’a dit que si Boulinier lui en proposait 20 centimes, elle me la mettait de côté… Christine m’a donné aussi deux paires de souliers qui avaient une histoire (elle m’a donné aussi les histoires). J’aime porter les vêtements des autres, les vivants ou les morts — et lire les livres lus par d’autres, vivants et morts — et que les histoires des morts flottent encore parmi les vivants. Dans le livre d’entretien qui, bien sûr, par paresse, est celui que je commence, Emmanuel Berl parle du quiétisme de Fénelon sur lequel il a fait son mémoire : « Il y avait une chose que je trouvais être la vérité même : « Ne faites donc rien. Tout ce que vous ferez, ce sera toujours des bêtises. » Il y avait l’admirable phrase : « Taisez-vous et Dieu vous parlera. Comment voulez-vous qu’il vous parle, quand vous faites tant de bruit par tant de discours intéressés ? » J’ai toujours pensé que je n’existais pas beaucoup et que tous mes efforts pour exister davantage se retournerait contre moi. C’était en lien avec Proust — qui pensait, lui, qu’une jeune fille ne peut pas vous aimer si vous êtes amoureux d’elle, et que tout ce que l’on désire on ne l’a pas, parce que si les gens sentent qu’on le désire, alors immédiatement ils vous le refusent, au lieu que s’ils sentent que vous ne le désirez pas, ils vous le permettent. Proust en était convaincu. »
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