M ais alors des corbeaux
Pendant ces « vacances » auprès de ma mère douée de la maladie d’Alzheimer (enfin du présent !), j’ai lu beaucoup de livres contemporains, des livres qui sont sortis, des livres qui s’achètent, loin d’être bêtes, et puis, on se dit : Il faut soutenir les libraires, les éditions, alors on lit les livres qui sortent. Et puis les livres déjà lus, j’ai lu aussi. J’ai lu ce livre je ne sais plus quand, je me souviens, Claude Régy m’avait dit que c’était celui qu’il préférait d’elle parce qu’il parlait de la création, de l’écriture. Et je relis ce livre, et je n’y arrive pas, c’est difficile — est-ce que mon niveau a baissé ? c’est bien possible, qu’est-ce qu’adolescent j’avais bien pu comprendre à ça que je ne comprends ? Ou bien est-ce que le contexte a changé ? Est-ce que c’est peut-être que les livres difficiles étaient plus abordables avant l’Internet qui a certes niqué cette capacité nécessaire pour certains livres (les meilleurs) : s’accrocher ? Eh bien, humilié comme un gosse, un débutant, je me suis accroché — et alors s’est peu à peu déployé quelque chose de miraculeux : ce livre dont je me demandais pendant tant de pages (« tous ces petits mots gris », disait Marguerite Duras de Nathalie Sarraute) de quoi il pouvait bien parler, parle en effet, vraiment, de quelque chose, mais avec une telle force, une telle audace, une telle impudeur, de la folie de l’auteure, certes, mais parle vraiment de quelque chose, notre rapport et notre décollement permanent de cette adhésion au réel, notre impossibilité (les « affres de la création ») d’être poète à plein temps… Oui, ce livre parle vraiment. Et il n’y a qu’un sujet pour tous les livres : le réel, le tragique, nous en approcher — pour les meilleurs — ou — pour les autres — nous en éloigner en racontant des histoires, des séries, du cinéma, des handicaps… « Mais alors des corbeaux, qui se balançaient à la verte flèche des peupliers, croassèrent dans le ciel moite et pluvieux. »
0 Comments:
Post a Comment
<< Home