Je
suis revenu à la maison. Rincé ! Avignon, super, mais rincé ! Hier je
me suis enquillé quatre spectacles dont deux chefs d’œuvre. Qu’est-ce qu’il
s’est passé ? J’ai fini, comme tous les ans, au bar du In à mettre la main
dans la culotte des pédés (heureusement zéro résultat sans ambiguïté cette
année). Les deux chefs d’œuvre sont Brume de Dieu, le film d’Alexandre Barry présenté en avant-première
(film aboutissement de l’œuvre du même titre de Claude Régy) et Disabled
Theater, de Jérôme Bel et du Theater
Hora. J’ai compris pourquoi on se tournait vers Dieu. C’est juste une
respiration. On n’en peut plus, parfois, de toute cette espèce humaine si
concentrée dans l’intelligence, dans la bêtise, si enthousiaste dans la
société, la société du spectacle – et la misère personnelle qui se mélange à
rien, le COMBAT ! Nicolas Maury a très bien fait entendre quelques phrases
d’Arthur Rimbaud, d’Une saison en enfer, dans la pièce de Guillaume Vincent, La Nuit tombe..., très bien fait entendre, c’est-à-dire l’air de
rien. Il y avait une phrase de Franz
Kafka, aussi, mais beaucoup plus lourdement assénée (par un autre
comédien) : « Dans le combat entre toi et le monde, seconde le
monde. » Je lis les suppléments avant premières des journaux. Dans l’un,
Romeo Castellucci dit qu’il voit « la prière comme un manque, le signe de
l’absence de foi. Avoir la foi, c’est croire à l’incroyable. On ne prie que
parce que l’on ne croit pas. » Il dit aussi : « La condition
warholienne du spectateur, ce n’est rien d’autre que l’enfer moderne, la
communication ininterrompue. » Mais le plus beau, c’est Walter Benjamin
qui le dit, rapporté (paraphrasé) par Dominique Reymond. « La phrase
exprime, en substance, le sentiment suivant, dit-elle : « Je n’ai
rien, mais en revanche j’ai du temps. Et dans cet espace du temps que j’habite,
je trouve des meubles, des gens, des mouettes. » » Ici, je suis chez
moi, dans le Lub’, sous la falaise au bout de la route des chevaux qui se
jettent – et des loups anciens. Il y a bien des gens, mais ils sont
inoffensifs : ils font des stages. Ça ne me déprime pas. Inoffensifs. Ils
ne savent pas que je suis un metteur en scène célèbre (à Avignon, tout le monde
l’est). J’ai une bouteille (50 cl) de Château La Canorgue 2010 et j’ai mangé
aussi la nourriture habituelle, le plateau de crudités, l’agneau noir comme le
loup (cuit dans l’olive) et le fromage sublime qu’avant on appelait un banon, mais maintenant on n’a plus le droit car c’est
devenu une marque déposée – il n’a pas de nom, en fait. Le fromage. Le fromage, Laure disait, le plus sublime
que j’ai jamais mangé. J’ai le souvenir de mes amis ici. Laure, Romain,
Cristian, Eva, François. Maintenant je suis seul avec Dieu, c’est-à-dire
l’absence, c’est-à-dire les livres, c’est-à-dire l’imagination. Gaston
Bachelard.
L’imagination,
c’est du mouvement, nous dit Gaston Bachelard. Ce n’est pas l’image, c’est
l’imaginaire, c’est-à-dire l’image jamais fixée, en mouvement. Encore faut-il
en ressentir physiquement la théorie. Par les moyens du laboratoire du cinéma
(film complètement expérimental), Alexandre Barry amplifie le mouvement vivant produit dans l’œuvre théâtrale du même nom par Tarjei Vesaas, Claude Régy et
Laurent Cazanave. Il l’amplifie et l’aboutit : c’est fixé, recueilli, le
mouvement même de l’imaginaire : l’être humain, mystère insensé. Paradoxe
d’un film chef d’œuvre. Infini, jamais complètement présent, flou pour
toujours, fixé pour toujours, presque invisible comme la profondeur sans stop
ni départ. « Doué d’une vue plus subtile, tu verras toutes choses
mouvantes » (Friedrich Nietzsche). Brume de Dieu.
« En
toutes circonstances, la vie prend trop pour avoir assez. Il faut que
l’imagination prenne trop pour que la pensée ait assez. Il faut que la volonté
imagine trop pour réaliser assez. »
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