H é pauvrette ! (prière)
« O Dieux, qui de là haut voyez comme je suis,
Qui voyez mes douleurs, qui voyez mes ennuis:
Dieux, qui voyez mon mal, Dieus qui voyez mes peines,
Dieux qui voyez seicher mon sang dedans mes veines,
Et mon esprit rongé d’un eternel esmoy,
Bons Dieux, grands Dieux du ciel, prenez pitié de moy !
Ouvrez, je vous supply, les prisons à mon ame,
Et mon corps renversez dessous la froide lame
Pour finir mes langueurs qui recroistront tousjours
Sans jamais prendre fin qu’en finissant mes jours.
L’espoir de ma santé n’est qu’en la tombe obscure,
Ma guarison n’est plus que d’une sepulture.
Parlé-je de mourir ? hé pauvrette ! mon corps
Mon corps ne meurt-il pas tous les jours mille morts ?
Helas helas, si fait : je ne suis plus en vie,
La vie que j’avoy m’est de douleur ravie.
Pour le moins si je vis, je vis en endurant
Jour et nuict les dangers qu’on endure en mourant.
O Phedre ! ô pauvre Phedre ! hé qu’à la mauvaise heure
Tu as abandonné ta natale demeure!
Qu’il t’eust bien mieux valu, pauvre Princesse, alors
Que tu te mis sur mer, perir de mille morts.
Qu’il t’eust bien mieux valu tomber dessous les ondes,
Et remplir l’estomac des Phoques vagabondes,
Lors qu’à ton grand malheur une indiscrete amour
Te feit passer la mer sans espoir de retour.
Qu’il t’eust bien mieux valu, delaissee au rivage,
Comme fut Ariadne en une isle sauvage,
Ariadne ta sœur, errer seule en danger
Des lions Naxeans, qui t’eussent peu manger,
Plustost qu’adoulouree et de vivre assouvie,
Trainer si longuement ton ennuyeuse vie :
Plustost plustost que vivre en un eternel dueil,
Ne faisant jour et nuict qu’abayer au cercueil.
Voila mon beau Thesé qui, suivant sa coustume
D’estre instable en amours, d’un nouveau feu s’allume.
Voila qu’il m’abandonne, apres que le cruel
M’a faict abandonner mon sejour naturel :
Apres qu’il m’a ravie aux yeux de mon bon père :
Et aux embrassemens de ma dolente mere,
Fugitive, bannie, et qu’il a contenté
Son ardeur, des plaisirs de ma virginité,
Il va, de Pirithois compagnon detestable,
Enlever de Pluton l’espouse venerable.
La terre leur est vile : ils vont chercher là bas,
Sur les rivages noirs, leurs amoureux esbas.
L’enfer qui n’est qu’horreur, qui n’est que toute rage,
Qu’encombre et que tourment, ne domte leur courage.
Mais soyent tant qu’ils voudront aux infernaux palus,
Ce n’est pas la douleur qui me gesne le plus :
Un plus aspre tourment rampe dans mes moüelles,
Qui les va remplissant de passions cruelles.
Le repos de la nuict n’allege mes travaux,
Le somme Lethean n’amortist point mes maux,
Ma douleur se nourrist et croist tousjours plus forte.
Je brûle, miserable, et le feu que je porte
Enclos en mes poumons, soit de jour ou de nuict,
De soir ou de matin, de plus en plus me cuit.
J’ay l’estomach plus chaud que n’est la chaude braise,
Dont les Cyclopes nus font rougir leur fournaise,
Quand au creux Etnean, à puissance de coups,
Ils forgent, renfrongnez, de Jupin le courroux.
Hé bons Dieux! que feray-je ? auray-je tousjours pleine
La poitrine et le cœur d’une si dure peine ?
Souffriray-je tousjours ? ô malheureux Amour !
Que maudite soit l’heure et maudit soit le jour
Que je te fu sujette ! ô quatre fois mauditte
La fleche que tu pris dans les yeux d’Hippolyte :
D’Hippolyte que j’aime, et non pas seulement
Que j’aime, mais de qui j’enrage follement. »
Labels: phèdre lausanne
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