Qui veut coucher avec ma femme (à Avignon ou non) ? - Le texte d'Hélèna Villovitch pour La Descendanse - Festival d'Avignon
Qui veut coucher avec ma femme
(à Avignon ou non) ?
« Regarde, le type, là, avec le blouson, il te plaît ? Il n’arrête pas de te regarder. Si. Si, il te regarde. Tiens, il vient de le faire, là. Comment tu le trouves ? Moi je le trouve pas mal. Tu le trouves trop vieux ? Moi je trouve pas. Tu sais, si tu veux des plus jeunes, ça va pas être facile. Il va falloir les payer, tu sais. Tiens, il te regarde encore. Si tu veux, tu peux coucher avec lui. Ça te dérange pas que je vienne aussi ? On va lui demander si ça le dérange pas, que je vienne avec vous. C’est toi qui lui demandes, d’accord ? Tu lui dis que si il veut me sucer il peut, mais il est pas obligé. Je t’assure, c’est mieux si c’est toi qui lui demandes. Tu vas très bien y arriver. »
Je m’appelle Yves-Noël Genod et c’est ma femme qui écrit mon texte. Si c’était un texte pour elle, ça continuerait tout en phrases courtes, points d’interrogation, points d’exclamation, personnages, dialogues, situations, rebondissements. De la chick lit, littérature pour poulettes… Mais comme elle écrit pour moi, maintenant, et sur moi… Il va falloir que tout ça s’étire et respire et qu’elle m’écrive des pauses... Des soupirs… Des points de suspension… J’apprécierais d’avoir à dire quelques citations… Des auteurs classiques, si possible… Balzac… Flaubert… Des intellectuels… Bataille… Lacan… Des poètes… Rimbaud… Baudelaire… Des artistes… Warhol… Duchamp… Ou bien encore Duras… Beckett… Bessette…
Citation n°1 :
« Hélas ! Hélas ! Hélas ! »
Charles de Gaulle, 1962
1962, c’est l’année de ma naissance. Paris… Bourg en Bresse… La Bretagne… Des parents instituteurs… Des cours de récréation remplies de platanes… Des routes de vacances bordées de platanes… Des platanes, énormément de platanes… Ma femme tente d’écrire mon autobiographie alors qu’elle ne sait rien sur moi, ou presque.
Elle affirme cependant m’avoir croisé, et même parlé dans le métro en 1984, elle en compagnie de Patrick Lopez-Salak-Schwartzenberger et David Télévision, moi en cheveux longs et lunettes à monture noire à la Nana Mouskouri, je n’ai gardé aucun souvenir de cette rencontre, elle prétend qu’une rencontre laisse des traces, forcément.
J’habite à Paris dans le XVIIIe arrondissement. Tous les dimanches, je fais mes courses au marché de l’Olive. C’est là que j’ai rencontré ma femme. Elle venait de se faire larguer par un cinéaste allemand. On a bu un café… Attention, chérie, là tu me refais tes petites phrases courtes que j’adore, d’ailleurs, mais tu sais, pour moi, il faut que ça occupe plus d’espace, il faut que je m’installe, je ne jouis pas tout de suite, c’est mon côté féminin, j’ai besoin de temps, il faut que tu comprennes ça… Là, voilà, comme ça, c’est mieux, chérie, continue comme ça.
Au marché de l’Olive, il y a quelques jours, j’ai acheté deux soles, ou deux daurades… des poissons plats, en tous cas. Le poissonnier, que je connais depuis vingt ans, a l’habitude de me voir tous les dimanche acheter un poisson, et là, je lui en demande deux, avec un grand sourire… il me regarde, super étonné, et moi j’ai l’air du type de l’histoire, celle où un homme dit à un autre, moi, avec ma femme, on baise tous les soirs, et l’autre, nous c’est une fois tous les dix ans, alors le premier, ben, euh, c’est quand même pas souvent, pourquoi t’as l’air si content ? Ben, parce que c’est ce soir.
Ce serait bien, de monter une pièce de théâtre tout en histoires drôles. On a déjà le titre, c’est « La piscine magique », voilà, il n’y a plus qu’à l’écrire, on se demande pourquoi ce n’est pas déjà fait… C’est une question d’urgence et une question d’argent, à ce qu’il parait. Ma femme doit d’abord écrire un gros roman qui ait beaucoup de succès. Parce qu’avec le théâtre, on ne gagne pas de droits d’auteur ou presque, les pièces, on les joue une fois et puis on les oublie… Oui, tu as raison, par exemple en attendant Godot, ça n’a presque pas été joué, on l’a oublié tout de suite, c’est pas très connu …
Le premier spectacle que j’ai monté s’appelait « En attendant Genod », c’était en 2003 et pour écrire cette phrase, ma femme a dû faire une recherche sur internet, parce qu’à l’époque on ne se connaissait pas, elle n’allait jamais au théâtre, le théâtre ne l’intéressait pas, elle se passionnait pour le cinéma expérimental, le truc qui n’a pas évolué depuis les frères Lumière, le moteur du projecteur qui fait brrrr, les mecs de Paris 8 ou de Grenoble ou de Hambourg qui grattent la pellicule avec leurs ongles dans des salles sombres, et qui se fabriquent des cancers à force de manipuler les produits chimiques...
On a les biographes qu’on mérite... La pièce qu’elle a vraiment envie d’aller voir, maintenant qu’elle s’intéresse au théâtre, s’appelle « Les homos préfèrent les blondes ».
Le premier spectacle de moi que ma femme ait vu, c’était « Pour en finir avec Claude Régy », aux Laboratoires d’Aubervilliers en 2004. Elle a adoré, même si elle ne se souvient plus très bien de ce que je racontais là-dedans, à part l’histoire de Christine Angot aux soldes de presse de Margiela, et celle de ma tentative sexuelle avec Nicolas Moulin, Claude Lévêque, Nicolas Moulin et aussi mon imitation de Frank Smith, le type qui présente l’Atelier de création radiophonique sur France cul, quand il annonce « Vous êtes tous des fils de pute » de Rodrigo Garcia. A l’époque de « Pour en finir avec Claude Régy », on ne se connaissait pas, mais ma femme avait vraiment adoré le spectacle. Le lendemain, elle a demandé à une copine de boulot si elle avait une idée de qui était Claude Régy, parce que elle, ma femme, elle savait pas...
Elle est blonde, ma femme, décolorée, je crois... Je lui ai raconté que justement, Claude Régy, quand il est allé dîner à l’Elysée, pas avec Mitterrand mais avec Laure Adler, tout le monde parlait d’un spectacle très mauvais. Il y avait une blonde assez gaffeuse, m’a dit Régy, et on lui a demandé ce qu’elle en pensait, elle, de ce spectacle. La blonde a répondu « ça se laisse voir », avant de comprendre que ce n’était sans doute pas ça qu’il fallait dire. Alors pour se rattraper, comme elle avait noté que le metteur en scène de cette mauvaise pièce portait la barbe, la blonde a dit très fort « de toute façon, moi, j’aime pas les barbus », juste avant de s’apercevoir que Régy, qui à table était juste en face d’elle, portait lui aussi la barbe.
Alors si nous allons dîner un soir à l’Elysée, ma femme blonde décolorée a juré qu’elle fera tout pour placer elle aussi ces deux phrases : « Ça se laisse voir » et « De toute façon, moi, j’aime pas les barbus ».
L’autre jour nous sortions, nous allions à un concert très très bruyant, (un des groupes s’appelait « Hélicoptère sanglante ») et nous étions certains de croiser des connaissances, alors avant de partir, j’ai attrapé une courgette et je l’ai mise dans mon pantalon pour faire croire que j’avais une érection énorme lorsque j’embrassais les amis, c’était très réussi jusqu’au moment où Jochen Dehn, un metteur en scène allemand qui a déjà essayé de me tuer lors d’une performance, a mordu la courgette à pleines dents à travers mon pantalon, et là c’est devenu effrayant, cette courgette si facilement dévorée, il en avait sectionné un morceau énorme… Plusieurs semaines après l’incident, Jochen a avoué qu’il lui était arrivé de revivre en rêve cette scène et de se réveiller en frissonnant… Moi, sur le coup, j’ai eu très peur que mon jean Dior ne soit irrémédiablement taché par le jus de courgette… Ma femme, elle, n’a pas du tout apprécié que les dents d’un Allemand passent si près de mon sexe.
À propos, est-ce que quelqu’un veut coucher avec ma femme ? Elle est très satisfaite, bien sûr, de notre vie sexuelle immensément variée et incroyablement inventive, mais j’insiste beaucoup pour l’initier au triolisme. Ensuite, nous évoluerons vers l’échangisme, puis, tout en douceur, aux activités de groupe. C’est important, pour un artiste ou un auteur de se documenter dans les livres et sur internet, mais ça l’est aussi de vivre soi-même des expériences. Dans le cas de ma femme, c’est urgent… Elle publie cet été une nouvelle dans le magazine ELLE, où elle décrit, entre autres, une scène se déroulant dans une espèce de club échangiste sorti de son imagination. Je crains que les lectrices qui connaissent ce genre de lieu ne se rendent compte immédiatement que l’auteur n’y a jamais mis les pieds… C’est un peu honteux, surtout pour moi qui ne suis pas encore parvenu à l’y entraîner.
Citation n°2 :
« Le champagne est nécessaire en cas de victoire, indispensable en cas de défaite. »
Winston Churchill
J’ai dû me justifier, auprès de M. Cohen, l’inspecteur des impôts, des factures de chez Dior. Je lui ai fait parvenir une lettre détaillée où je lui explique que les vêtements achetés sont bien évidemment des costumes de scène. Pour preuve, je tiens à sa disposition des photos et des vidéos ; je lui démontre que l’abonnement à la salle de sport est inhérent à mon statut professionnel. Je suis comédien et danseur, il s’agit de former le corps à l’infini et de l’entretenir quotidiennement pour la disponibilité et l’exactitude corporelle que le monde du show business est en droit d’exiger de moi ; les frais relatifs à l’association naturiste consistent en un simple abonnement de piscine (peu cher) qui m’a permis d’y aller deux fois par semaine pour les mêmes raisons d’entretien musculaire et globale qu’à la salle de sport ; le déodorant m’a été vivement recommandé par mes collègues du cours de danse classique ; le champagne fait partie de certains de mes spectacles, j’en offre parfois au public et de toute manière, après le spectacle, aux programmateurs et aux journalistes. Pour preuve : articles de presse, vidéos témoignages.
En conclusion, ai-je écrit à mon inspecteur des impôts, je voudrais redire que j’ai mis toutes mes forces et presque toute ma fortune mise de côté dans le passé pour créer, ces trois dernières années, une œuvre théâtrale, chantée et dansée qui a enchanté Paris et la province dans des conditions de subventionnement fabuleusement réduites, sans jamais avoir été payé pour des répétitions, sans jamais avoir été défrayé, sans jamais avoir pu faire prendre en charge par mon association aucune facture – l’argent versé par les structures d’accueil étant réservés aux seuls salaires (très faibles) des acteurs (j’ai employé en trois ans une soixantaine de personnes différentes, certaines de ces personnes ayant créé avec moi une douzaine de spectacles), et que j’ai survécu toujours à la limite, en jonglant avec les assedics et pas les assédics et, bien sûr, en déclarant – ce que je n’avais jamais fait quand j’étais interprète – ces frais réels.
Citations n° 3 :
« Nous devons vivre nos vies comme si le Christ allait venir cet après-midi. »
Jimmy Carter
Cette lettre à l’inspecteur des impôts, on s’arrêtera là, occupe huit feuillets qu’il m’a bien fallu trouver le temps d’écrire et dont je ne sais pas encore s’ils auront convaincu monsieur Cohen de renoncer à me persécuter, et j’estime qu’il n’est pas très charitable de la part de ma femme de trouver ça drôle. J’y évoque une certaine fortune personnelle qui l’intrigue beaucoup, mais elle ne saura rien à ce sujet, c’est préférable, je ne voudrais pas qu’elle m’aime pour mon argent.
En 2005, j’ai créé un spectacle que j’ai appelé « Dior n’est pas Dieu », et très rapidement j’ai eu à faire face à un procès intenté par la maison Dior. Je ne savais pas, à l’époque que c’était Marguerite Duras qui avait inventé le nom de Dior dans son premier roman, Les Impudents, avant que Christian Dior ne commence à commercialiser le sien. Le Dior, c’était le nom qu’elle donnait à une rivière.
Entre deux spectacles, j’ai beaucoup de difficulté pour travailler à Paris, parce qu’en tant qu’artiste et personnage public, je suis sans cesse sollicité, invité à assister à des spectacles, des concerts, des vernissages, et toutes ces activités prennent beaucoup de temps et d’énergie. Alors je m’éloigne, le plus souvent possible, pour trouver le temps d’écrire et de préparer mes spectacles. Je voyage dans les îles, île de Ré, d’Ouessant, Belle-Île en mer, je suis ouvert à toute proposition de séjour sur une île. J’ai été invité par Antonija Livingstone dont j’adore le travail, et elle aussi adore mon travail, sur l’île de Tyninngo. J’ai pu observer des peaux de renne, des chevaux, très bien dessinés, certains avec une couverture, des mouettes avec des taches au bout des ailes, cinq petits chiens identiques, des canards, des chiens, indescriptibles, bâtards, des pigeons (ce que j’ai dit une fois je ne le redis pas), un chat, bumble bee dead mais abeilles vraie et bumble bee vivant too, un chien gnafron, mais bien élevé, very gentil, le petit chien attrape des serpents, une mouche, plutôt moucheron, Remy a vu un écureuil et pic vert pas vert, un blackbird (merle), une robe avec des perroquets dessus à un vide grenier (l’ai achetée), des escargots et une limace très belle, Dior, noire comme du réglisse, un escargot coquille d’or. Hier, un gros cerf s’engouffre lourdement dans un sous-bois. Y’a vraiment de très très jolis oiseaux, de toute sorte, mais je connais pas les noms, fourmis, il fait toujours jour, oui ! Mais ce soir pas jour : pleut depuis peu, non : depuis longtemps ! Un vieux monsieur m’a prêté un livre sur les oiseaux, quand le cheval sort sa langue, ça exprime un moment de tendresse, je regarde un film sur Zingcro, pardon, Zingaro… Mes chevaux les miens. Libellule. Et Bouvard s’échauffant alla jusqu’à dire que l’homme descendait du singe ! Papillon avec des yeux de chouette (quatre), corneille, cormoran. A cet endroit et à sept heures, le lac avait l’air d’un rêve de neige bleue (Brejnev). Golda Meir : tu sais comment ça fait deux cygnes qui prennent le soleil un soir de mai ? Exactly ! Tu fais très bien le cygne, darling. Des flamants roses (statue). Pie. Moustiques. Poissons rouge. Des oies (et leurs petits), enfin peut-être des canards, est-ce que je sais ? Elles se battent avec les mouettes... Alors là ça va être ta fête, je suis venu exprès : moutons noirs (tondus). Chickens. Coq, guinea pigs, hedgehog (invisible), tortues ! chèvres, chevreaux, enfants, avec leurs petites cornes qui poussent, paon, PHOQUES ! Vaches, rennes, élan (ultramoche) avec bambis, brown bears, bisons, sangliers, cochons gris. Poneys.
Citation n° 4 :
"Je pense que quand vous dites que vous allez faire quelque chose et que vous ne le faites pas, c'est de la loyauté."
George W Bush
L’idée de ce texte, la commande en quelque sorte, était de faire le point sur mon travail et ma carrière, afin de me faire mieux connaître par le public et de séduire au passage les programmateurs en vue des saisons à venir… Evidemment, ma femme en a beaucoup profité pour parler d’elle-même, comme si l’auteur qu’elle est, en se nommant elle-même ma femme, se devait d’incarner un archétype d’épouse possessive et égocentrique qu’elle n’est, en réalité, pas ou presque pas du tout.
Ce que je pourrais faire, maintenant, pour embarrasser ma femme, c’est l’obliger à apparaître à la fin du show et de chanter une chanson. Mais elle m’objectera que je n’ai qu’à faire chanter Marlène, dont c’est le métier. Elle me fera également remarquer que je devrais arrêter de dire « ma femme » , parce qu’on dirait l’inspecteur Colombo. Ma femme veut bien faire un gâteau tous les jours, mais qui voudra manger du gâteau en plein été à Avignon ?
Hélèna Villovitch, 30 mai 2007.
(à Avignon ou non) ?
« Regarde, le type, là, avec le blouson, il te plaît ? Il n’arrête pas de te regarder. Si. Si, il te regarde. Tiens, il vient de le faire, là. Comment tu le trouves ? Moi je le trouve pas mal. Tu le trouves trop vieux ? Moi je trouve pas. Tu sais, si tu veux des plus jeunes, ça va pas être facile. Il va falloir les payer, tu sais. Tiens, il te regarde encore. Si tu veux, tu peux coucher avec lui. Ça te dérange pas que je vienne aussi ? On va lui demander si ça le dérange pas, que je vienne avec vous. C’est toi qui lui demandes, d’accord ? Tu lui dis que si il veut me sucer il peut, mais il est pas obligé. Je t’assure, c’est mieux si c’est toi qui lui demandes. Tu vas très bien y arriver. »
Je m’appelle Yves-Noël Genod et c’est ma femme qui écrit mon texte. Si c’était un texte pour elle, ça continuerait tout en phrases courtes, points d’interrogation, points d’exclamation, personnages, dialogues, situations, rebondissements. De la chick lit, littérature pour poulettes… Mais comme elle écrit pour moi, maintenant, et sur moi… Il va falloir que tout ça s’étire et respire et qu’elle m’écrive des pauses... Des soupirs… Des points de suspension… J’apprécierais d’avoir à dire quelques citations… Des auteurs classiques, si possible… Balzac… Flaubert… Des intellectuels… Bataille… Lacan… Des poètes… Rimbaud… Baudelaire… Des artistes… Warhol… Duchamp… Ou bien encore Duras… Beckett… Bessette…
Citation n°1 :
« Hélas ! Hélas ! Hélas ! »
Charles de Gaulle, 1962
1962, c’est l’année de ma naissance. Paris… Bourg en Bresse… La Bretagne… Des parents instituteurs… Des cours de récréation remplies de platanes… Des routes de vacances bordées de platanes… Des platanes, énormément de platanes… Ma femme tente d’écrire mon autobiographie alors qu’elle ne sait rien sur moi, ou presque.
Elle affirme cependant m’avoir croisé, et même parlé dans le métro en 1984, elle en compagnie de Patrick Lopez-Salak-Schwartzenberger et David Télévision, moi en cheveux longs et lunettes à monture noire à la Nana Mouskouri, je n’ai gardé aucun souvenir de cette rencontre, elle prétend qu’une rencontre laisse des traces, forcément.
J’habite à Paris dans le XVIIIe arrondissement. Tous les dimanches, je fais mes courses au marché de l’Olive. C’est là que j’ai rencontré ma femme. Elle venait de se faire larguer par un cinéaste allemand. On a bu un café… Attention, chérie, là tu me refais tes petites phrases courtes que j’adore, d’ailleurs, mais tu sais, pour moi, il faut que ça occupe plus d’espace, il faut que je m’installe, je ne jouis pas tout de suite, c’est mon côté féminin, j’ai besoin de temps, il faut que tu comprennes ça… Là, voilà, comme ça, c’est mieux, chérie, continue comme ça.
Au marché de l’Olive, il y a quelques jours, j’ai acheté deux soles, ou deux daurades… des poissons plats, en tous cas. Le poissonnier, que je connais depuis vingt ans, a l’habitude de me voir tous les dimanche acheter un poisson, et là, je lui en demande deux, avec un grand sourire… il me regarde, super étonné, et moi j’ai l’air du type de l’histoire, celle où un homme dit à un autre, moi, avec ma femme, on baise tous les soirs, et l’autre, nous c’est une fois tous les dix ans, alors le premier, ben, euh, c’est quand même pas souvent, pourquoi t’as l’air si content ? Ben, parce que c’est ce soir.
Ce serait bien, de monter une pièce de théâtre tout en histoires drôles. On a déjà le titre, c’est « La piscine magique », voilà, il n’y a plus qu’à l’écrire, on se demande pourquoi ce n’est pas déjà fait… C’est une question d’urgence et une question d’argent, à ce qu’il parait. Ma femme doit d’abord écrire un gros roman qui ait beaucoup de succès. Parce qu’avec le théâtre, on ne gagne pas de droits d’auteur ou presque, les pièces, on les joue une fois et puis on les oublie… Oui, tu as raison, par exemple en attendant Godot, ça n’a presque pas été joué, on l’a oublié tout de suite, c’est pas très connu …
Le premier spectacle que j’ai monté s’appelait « En attendant Genod », c’était en 2003 et pour écrire cette phrase, ma femme a dû faire une recherche sur internet, parce qu’à l’époque on ne se connaissait pas, elle n’allait jamais au théâtre, le théâtre ne l’intéressait pas, elle se passionnait pour le cinéma expérimental, le truc qui n’a pas évolué depuis les frères Lumière, le moteur du projecteur qui fait brrrr, les mecs de Paris 8 ou de Grenoble ou de Hambourg qui grattent la pellicule avec leurs ongles dans des salles sombres, et qui se fabriquent des cancers à force de manipuler les produits chimiques...
On a les biographes qu’on mérite... La pièce qu’elle a vraiment envie d’aller voir, maintenant qu’elle s’intéresse au théâtre, s’appelle « Les homos préfèrent les blondes ».
Le premier spectacle de moi que ma femme ait vu, c’était « Pour en finir avec Claude Régy », aux Laboratoires d’Aubervilliers en 2004. Elle a adoré, même si elle ne se souvient plus très bien de ce que je racontais là-dedans, à part l’histoire de Christine Angot aux soldes de presse de Margiela, et celle de ma tentative sexuelle avec Nicolas Moulin, Claude Lévêque, Nicolas Moulin et aussi mon imitation de Frank Smith, le type qui présente l’Atelier de création radiophonique sur France cul, quand il annonce « Vous êtes tous des fils de pute » de Rodrigo Garcia. A l’époque de « Pour en finir avec Claude Régy », on ne se connaissait pas, mais ma femme avait vraiment adoré le spectacle. Le lendemain, elle a demandé à une copine de boulot si elle avait une idée de qui était Claude Régy, parce que elle, ma femme, elle savait pas...
Elle est blonde, ma femme, décolorée, je crois... Je lui ai raconté que justement, Claude Régy, quand il est allé dîner à l’Elysée, pas avec Mitterrand mais avec Laure Adler, tout le monde parlait d’un spectacle très mauvais. Il y avait une blonde assez gaffeuse, m’a dit Régy, et on lui a demandé ce qu’elle en pensait, elle, de ce spectacle. La blonde a répondu « ça se laisse voir », avant de comprendre que ce n’était sans doute pas ça qu’il fallait dire. Alors pour se rattraper, comme elle avait noté que le metteur en scène de cette mauvaise pièce portait la barbe, la blonde a dit très fort « de toute façon, moi, j’aime pas les barbus », juste avant de s’apercevoir que Régy, qui à table était juste en face d’elle, portait lui aussi la barbe.
Alors si nous allons dîner un soir à l’Elysée, ma femme blonde décolorée a juré qu’elle fera tout pour placer elle aussi ces deux phrases : « Ça se laisse voir » et « De toute façon, moi, j’aime pas les barbus ».
L’autre jour nous sortions, nous allions à un concert très très bruyant, (un des groupes s’appelait « Hélicoptère sanglante ») et nous étions certains de croiser des connaissances, alors avant de partir, j’ai attrapé une courgette et je l’ai mise dans mon pantalon pour faire croire que j’avais une érection énorme lorsque j’embrassais les amis, c’était très réussi jusqu’au moment où Jochen Dehn, un metteur en scène allemand qui a déjà essayé de me tuer lors d’une performance, a mordu la courgette à pleines dents à travers mon pantalon, et là c’est devenu effrayant, cette courgette si facilement dévorée, il en avait sectionné un morceau énorme… Plusieurs semaines après l’incident, Jochen a avoué qu’il lui était arrivé de revivre en rêve cette scène et de se réveiller en frissonnant… Moi, sur le coup, j’ai eu très peur que mon jean Dior ne soit irrémédiablement taché par le jus de courgette… Ma femme, elle, n’a pas du tout apprécié que les dents d’un Allemand passent si près de mon sexe.
À propos, est-ce que quelqu’un veut coucher avec ma femme ? Elle est très satisfaite, bien sûr, de notre vie sexuelle immensément variée et incroyablement inventive, mais j’insiste beaucoup pour l’initier au triolisme. Ensuite, nous évoluerons vers l’échangisme, puis, tout en douceur, aux activités de groupe. C’est important, pour un artiste ou un auteur de se documenter dans les livres et sur internet, mais ça l’est aussi de vivre soi-même des expériences. Dans le cas de ma femme, c’est urgent… Elle publie cet été une nouvelle dans le magazine ELLE, où elle décrit, entre autres, une scène se déroulant dans une espèce de club échangiste sorti de son imagination. Je crains que les lectrices qui connaissent ce genre de lieu ne se rendent compte immédiatement que l’auteur n’y a jamais mis les pieds… C’est un peu honteux, surtout pour moi qui ne suis pas encore parvenu à l’y entraîner.
Citation n°2 :
« Le champagne est nécessaire en cas de victoire, indispensable en cas de défaite. »
Winston Churchill
J’ai dû me justifier, auprès de M. Cohen, l’inspecteur des impôts, des factures de chez Dior. Je lui ai fait parvenir une lettre détaillée où je lui explique que les vêtements achetés sont bien évidemment des costumes de scène. Pour preuve, je tiens à sa disposition des photos et des vidéos ; je lui démontre que l’abonnement à la salle de sport est inhérent à mon statut professionnel. Je suis comédien et danseur, il s’agit de former le corps à l’infini et de l’entretenir quotidiennement pour la disponibilité et l’exactitude corporelle que le monde du show business est en droit d’exiger de moi ; les frais relatifs à l’association naturiste consistent en un simple abonnement de piscine (peu cher) qui m’a permis d’y aller deux fois par semaine pour les mêmes raisons d’entretien musculaire et globale qu’à la salle de sport ; le déodorant m’a été vivement recommandé par mes collègues du cours de danse classique ; le champagne fait partie de certains de mes spectacles, j’en offre parfois au public et de toute manière, après le spectacle, aux programmateurs et aux journalistes. Pour preuve : articles de presse, vidéos témoignages.
En conclusion, ai-je écrit à mon inspecteur des impôts, je voudrais redire que j’ai mis toutes mes forces et presque toute ma fortune mise de côté dans le passé pour créer, ces trois dernières années, une œuvre théâtrale, chantée et dansée qui a enchanté Paris et la province dans des conditions de subventionnement fabuleusement réduites, sans jamais avoir été payé pour des répétitions, sans jamais avoir été défrayé, sans jamais avoir pu faire prendre en charge par mon association aucune facture – l’argent versé par les structures d’accueil étant réservés aux seuls salaires (très faibles) des acteurs (j’ai employé en trois ans une soixantaine de personnes différentes, certaines de ces personnes ayant créé avec moi une douzaine de spectacles), et que j’ai survécu toujours à la limite, en jonglant avec les assedics et pas les assédics et, bien sûr, en déclarant – ce que je n’avais jamais fait quand j’étais interprète – ces frais réels.
Citations n° 3 :
« Nous devons vivre nos vies comme si le Christ allait venir cet après-midi. »
Jimmy Carter
Cette lettre à l’inspecteur des impôts, on s’arrêtera là, occupe huit feuillets qu’il m’a bien fallu trouver le temps d’écrire et dont je ne sais pas encore s’ils auront convaincu monsieur Cohen de renoncer à me persécuter, et j’estime qu’il n’est pas très charitable de la part de ma femme de trouver ça drôle. J’y évoque une certaine fortune personnelle qui l’intrigue beaucoup, mais elle ne saura rien à ce sujet, c’est préférable, je ne voudrais pas qu’elle m’aime pour mon argent.
En 2005, j’ai créé un spectacle que j’ai appelé « Dior n’est pas Dieu », et très rapidement j’ai eu à faire face à un procès intenté par la maison Dior. Je ne savais pas, à l’époque que c’était Marguerite Duras qui avait inventé le nom de Dior dans son premier roman, Les Impudents, avant que Christian Dior ne commence à commercialiser le sien. Le Dior, c’était le nom qu’elle donnait à une rivière.
Entre deux spectacles, j’ai beaucoup de difficulté pour travailler à Paris, parce qu’en tant qu’artiste et personnage public, je suis sans cesse sollicité, invité à assister à des spectacles, des concerts, des vernissages, et toutes ces activités prennent beaucoup de temps et d’énergie. Alors je m’éloigne, le plus souvent possible, pour trouver le temps d’écrire et de préparer mes spectacles. Je voyage dans les îles, île de Ré, d’Ouessant, Belle-Île en mer, je suis ouvert à toute proposition de séjour sur une île. J’ai été invité par Antonija Livingstone dont j’adore le travail, et elle aussi adore mon travail, sur l’île de Tyninngo. J’ai pu observer des peaux de renne, des chevaux, très bien dessinés, certains avec une couverture, des mouettes avec des taches au bout des ailes, cinq petits chiens identiques, des canards, des chiens, indescriptibles, bâtards, des pigeons (ce que j’ai dit une fois je ne le redis pas), un chat, bumble bee dead mais abeilles vraie et bumble bee vivant too, un chien gnafron, mais bien élevé, very gentil, le petit chien attrape des serpents, une mouche, plutôt moucheron, Remy a vu un écureuil et pic vert pas vert, un blackbird (merle), une robe avec des perroquets dessus à un vide grenier (l’ai achetée), des escargots et une limace très belle, Dior, noire comme du réglisse, un escargot coquille d’or. Hier, un gros cerf s’engouffre lourdement dans un sous-bois. Y’a vraiment de très très jolis oiseaux, de toute sorte, mais je connais pas les noms, fourmis, il fait toujours jour, oui ! Mais ce soir pas jour : pleut depuis peu, non : depuis longtemps ! Un vieux monsieur m’a prêté un livre sur les oiseaux, quand le cheval sort sa langue, ça exprime un moment de tendresse, je regarde un film sur Zingcro, pardon, Zingaro… Mes chevaux les miens. Libellule. Et Bouvard s’échauffant alla jusqu’à dire que l’homme descendait du singe ! Papillon avec des yeux de chouette (quatre), corneille, cormoran. A cet endroit et à sept heures, le lac avait l’air d’un rêve de neige bleue (Brejnev). Golda Meir : tu sais comment ça fait deux cygnes qui prennent le soleil un soir de mai ? Exactly ! Tu fais très bien le cygne, darling. Des flamants roses (statue). Pie. Moustiques. Poissons rouge. Des oies (et leurs petits), enfin peut-être des canards, est-ce que je sais ? Elles se battent avec les mouettes... Alors là ça va être ta fête, je suis venu exprès : moutons noirs (tondus). Chickens. Coq, guinea pigs, hedgehog (invisible), tortues ! chèvres, chevreaux, enfants, avec leurs petites cornes qui poussent, paon, PHOQUES ! Vaches, rennes, élan (ultramoche) avec bambis, brown bears, bisons, sangliers, cochons gris. Poneys.
Citation n° 4 :
"Je pense que quand vous dites que vous allez faire quelque chose et que vous ne le faites pas, c'est de la loyauté."
George W Bush
L’idée de ce texte, la commande en quelque sorte, était de faire le point sur mon travail et ma carrière, afin de me faire mieux connaître par le public et de séduire au passage les programmateurs en vue des saisons à venir… Evidemment, ma femme en a beaucoup profité pour parler d’elle-même, comme si l’auteur qu’elle est, en se nommant elle-même ma femme, se devait d’incarner un archétype d’épouse possessive et égocentrique qu’elle n’est, en réalité, pas ou presque pas du tout.
Ce que je pourrais faire, maintenant, pour embarrasser ma femme, c’est l’obliger à apparaître à la fin du show et de chanter une chanson. Mais elle m’objectera que je n’ai qu’à faire chanter Marlène, dont c’est le métier. Elle me fera également remarquer que je devrais arrêter de dire « ma femme » , parce qu’on dirait l’inspecteur Colombo. Ma femme veut bien faire un gâteau tous les jours, mais qui voudra manger du gâteau en plein été à Avignon ?
Hélèna Villovitch, 30 mai 2007.
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