Tuesday, September 02, 2008

Voyage en noir et blanc (Épisode 7)

Voyage en noir et blanc






Je rêve beaucoup. Des rêves merveilleux. Je construis des maisons, je mets en scène des spectacles, je suis réconcilié avec ma famille merveilleuse, j’aime les gens, les gens m’aiment, les morts sont vivants, les problèmes se résolvent à mesure qu’ils se créent, on refait la cage d’escalier, tout le monde travaille bien, d’une manière ensoleillée, à l’italienne, je visite, les villes sont belles, la nature est caressante, les voyages merveilleux, les étages, les constructions, j’achète du luxe, la fille qui n’a pas de chance dans la vie, chez moi acquiert le premier rôle, celui qui en a trop redevient sympathique et ses besoins sont simples. Mes rêves sont merveilleux. Ils pallient la déficience de ce voyage. Ce voyage est atroce par bien des côtés. D’ailleurs je suis tout le temps malade. Ça me fatigue tellement la voiture, mal de crâne quasi permanent, indigestion quasi permanente (du coup, je n’mange plus) – et l’idée de dormir dans la voiture n’est plus de mon âge. J’ai réduit cette idée à un jour sur deux, mais quand j’arrive au motel, je m’affale et je n’en sors plus quelque soit la somptuosité de la région où je me trouve. « Ça ne sert à rien » et « je suis si fatigué » sont les deux idées que je trimballe de ce voyage. Ça ne sert à rien de faire un round tour de n’importe quoi puisque les choses ne sont différentes nulle part. C’est l’absurdité de cette idée sur laquelle je bute : faire un cercle. Franchement (j’imagine) : si j’avais fait un tour de France (en étant Américain), est-ce que ça aurait été aussi con ? Oui, je pense que ça aurait été aussi con. Ce qu’on voit, ce n’est pas tellement les beautés – on n’a souvent plus d’énergie pour ressentir quoi que ce soit – c’est la vulgarité de tout à laquelle on est confronté. La vulgarité. Le sens de la vie étant dégagé du propos, c’est alors la vulgarité de tout qui apparaît : tout le monde est pareil, la seule différence qui occupe les cerveaux, c’est l’argent, la terreur, c’est la maladie… L’idée d’en finir, moi qui n’y pense jamais, me traverse : « À cinquante ans (je calcule : dans quatre ans), j’arrête. » Je ne savais pas qu’il y avait tant de nihilisme en moi. Enfin… je ne suis peut-être pas du tout fait pour les voyages. Ça tue l’imagination. Un exemple : Bodega Bay. Je suis venu ici à cause du film The Birds d’Alfred Hitchcock. Bon , ben j’ai tout dit : il vaut mieux regarder les films, c’est beaucoup, beaucoup mieux – et lire les livres. Tout est dedans, rien sur les lieux. Je n’ai même pas cherché à voir l’église et l’école qui soit disant sont – elles – intactes. Tout cela est totalement absurde, n’est-ce pas ? Direction San Francisco. Il me reste deux semaines. On va voir ce que je peux faire de moi à San Francisco… Si je pouvais juste être caché à l’intérieur de San Francisco – mais pas à découvert comme je viens de l’avoir été sur ces routes infinies de forêts et de montagnes sur-éclairées, sur-cramées à cette période de l’année par une lumière jaune, immobile sauf de 6h à 7h le matin et de 7h à 8h30 le soir avant le black out. Cela dit, ça, on le voit dans les films (j’aurais pu prévoir) : les cow-boys, ils s’emmerdent dans la nature, on les voit le soir au coin du feu : on voit qu’ils s’emmerdent grave – je comprends maintenant pourquoi : sans l’action – « Action ! » – la campagne californienne, c’est pas ce qu’il y a de plus excitant au monde ! Ils ont dû être bien déçus, bien désappointés, les immigrants parce que eux aussi, eux surtout, ils l’ont rêvé leur Amérique !
La nation qui a inventé Walt Disney, Las Vegas et le fast food… « Enjoy », « entertain », « indulge », devenir gros… Grossir et faire grossir l’espèce humaine. De grosses fourmis obèses sur les plages du Pacifique. Au coucher du soleil. Encore un. Encore une fois.






Mardi 2 septembre 2008.

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