Kataline à la ferme (compte-rendu de Guy Degeorges)
Kataline à la ferme
Ardanthé finit la saison en beautés, en audaces qui nous sourient. En début Sylvain Prunenec a dansé comme on pose un rébus, en un parcours drolatique et accidenté : toréador fou ou danseur de flamenco, cow-boy ou chanteur de blues... C'était court en juste un quart d'heure, mais assez pour annoncer le thême : connivences et jubilation. Et laisser Delgado et Fuchs enchaîner, irrésistibles et pinces sans rire.
Plus tard, Yves-Noël Genod raconte. Qu'il est tombé amoureux d'un homme mais que les femmes lui manquent. Ensuite bien d'autres choses. Est-ce sa vie ou fiction? On ne sait. Et on renonce vite à se poser la question. Ainsi que de catégoriser la chose en danse ou théatre. De même qu'on avait admis voir Y.N.G. arpenter la salle avant le début de la pièce, poser, avec superbe et affabilité. Quant au texte, il est avéré et en version intégrale sur son blog , il ne détonne pas avec les autres mots jetés au même endroit depuis des mois ou des années, avec une intarissable régularité. Autant de pièces en devenir ? Ce monologue là est joliment désinvolte. Y.N.G. se balade deguinguandé et décoloré, avec ce qu'il faut d'hésitation. Offre et force l'acception, en douceur et empathie, avant même de poser le sujet. Séduit en évoquant le poète vierge(1) - Baudelaire - qui allait au bordel sans consommer. Question scénographie, le bordel est plus étudié qu'à première vue. Factice assumé et scène sur tréteaux, neige artificielle comme juste sortie d'une boule de noël, en fond images de paysages hivernaux, fagots. L'ensemble aussi kitsch qu'une crèche de Noël. Justement, Y.N.G. cite Jean-Jacques Rousseau. L'utopie de l'état naturel s'installe doucement devant nos yeux - peut-être qu'on tient là le sujet. Kataline Patkaï dialogue en ingénue, amène des lapins, puis un chat, puis un chevreau, lui donne le biberon d'une main assurée, et parvient plus ou moins à se faire respecter par ses amis à poils. L'harmonie retrouvée. Y.N.G. poursuit sa promenade d'aphorismes de Tolstoï à Pompidou. Fait du name dropping. On lui pardonne. Du début jusqu'à la fin on passe du cop à l'âne, mais en beauté. La belle entourée des petites bêtes se dévêt par morceaux : habits de fermière mais sous-vêtements sophistiqués. Puis en tenue de nature : Eve rejoint par un Adam pour quelques exercices de paradis terrestre. On y repensera l'heure d'après en voyant Cecilia Bengolea et François Chagneau délivrer leur propre version de l'innocence décomplexée. Le pianiste nu lui aussi se perd en arpèges, les lumières caressent, Y.N.G. ponctue le tout d'interventions épicées, installe le flou, et une pudeur imprévue. Des moments de rires et d'émerveillements, pas de regrets. L'ensemble a trouvé son tendre équilibre, décousu et sans leçons à donner. De la gravité tempérée par beaucoup de dérision. Une grâce plane - inaccessible à l'analyse. On fond, tout autant qu'Hamlet nous avait crispé. Moralité énoncée au court d'un déjeuner sur la neige : « L'art c'est la décadence ». Voire... Tout cela aurait-il été trop gentil (quand le nu ne compte plus) ? Il faut bien un peu de vraie provocation : Kataline découpe à cru un civet et quelques spectatrices détournent les yeux. À bas les tabous !
C'était C'est pas pour les cochons ! de Kataline Patkai et Yves-Noël Genod, avec aussi Yvonnick Muller et Pierre Courcelle au piano, ainsi que Love me, love me, love me de Sylvain Prunenec, et à nouveau Manteau Long en laine marine... de Delago Fuchs et Paquerette de François Chaignaud et Cecilia Bengolea. Pour la soirée de clôture d'Artdanthé.
Guy
La saison d'Ardanthé n'est pas finie : épilogue avec Boris Charmatz et Médéric Collignon le 5 mars.
(1) tel que surnommé par Nadar
Ardanthé finit la saison en beautés, en audaces qui nous sourient. En début Sylvain Prunenec a dansé comme on pose un rébus, en un parcours drolatique et accidenté : toréador fou ou danseur de flamenco, cow-boy ou chanteur de blues... C'était court en juste un quart d'heure, mais assez pour annoncer le thême : connivences et jubilation. Et laisser Delgado et Fuchs enchaîner, irrésistibles et pinces sans rire.
Plus tard, Yves-Noël Genod raconte. Qu'il est tombé amoureux d'un homme mais que les femmes lui manquent. Ensuite bien d'autres choses. Est-ce sa vie ou fiction? On ne sait. Et on renonce vite à se poser la question. Ainsi que de catégoriser la chose en danse ou théatre. De même qu'on avait admis voir Y.N.G. arpenter la salle avant le début de la pièce, poser, avec superbe et affabilité. Quant au texte, il est avéré et en version intégrale sur son blog , il ne détonne pas avec les autres mots jetés au même endroit depuis des mois ou des années, avec une intarissable régularité. Autant de pièces en devenir ? Ce monologue là est joliment désinvolte. Y.N.G. se balade deguinguandé et décoloré, avec ce qu'il faut d'hésitation. Offre et force l'acception, en douceur et empathie, avant même de poser le sujet. Séduit en évoquant le poète vierge(1) - Baudelaire - qui allait au bordel sans consommer. Question scénographie, le bordel est plus étudié qu'à première vue. Factice assumé et scène sur tréteaux, neige artificielle comme juste sortie d'une boule de noël, en fond images de paysages hivernaux, fagots. L'ensemble aussi kitsch qu'une crèche de Noël. Justement, Y.N.G. cite Jean-Jacques Rousseau. L'utopie de l'état naturel s'installe doucement devant nos yeux - peut-être qu'on tient là le sujet. Kataline Patkaï dialogue en ingénue, amène des lapins, puis un chat, puis un chevreau, lui donne le biberon d'une main assurée, et parvient plus ou moins à se faire respecter par ses amis à poils. L'harmonie retrouvée. Y.N.G. poursuit sa promenade d'aphorismes de Tolstoï à Pompidou. Fait du name dropping. On lui pardonne. Du début jusqu'à la fin on passe du cop à l'âne, mais en beauté. La belle entourée des petites bêtes se dévêt par morceaux : habits de fermière mais sous-vêtements sophistiqués. Puis en tenue de nature : Eve rejoint par un Adam pour quelques exercices de paradis terrestre. On y repensera l'heure d'après en voyant Cecilia Bengolea et François Chagneau délivrer leur propre version de l'innocence décomplexée. Le pianiste nu lui aussi se perd en arpèges, les lumières caressent, Y.N.G. ponctue le tout d'interventions épicées, installe le flou, et une pudeur imprévue. Des moments de rires et d'émerveillements, pas de regrets. L'ensemble a trouvé son tendre équilibre, décousu et sans leçons à donner. De la gravité tempérée par beaucoup de dérision. Une grâce plane - inaccessible à l'analyse. On fond, tout autant qu'Hamlet nous avait crispé. Moralité énoncée au court d'un déjeuner sur la neige : « L'art c'est la décadence ». Voire... Tout cela aurait-il été trop gentil (quand le nu ne compte plus) ? Il faut bien un peu de vraie provocation : Kataline découpe à cru un civet et quelques spectatrices détournent les yeux. À bas les tabous !
C'était C'est pas pour les cochons ! de Kataline Patkai et Yves-Noël Genod, avec aussi Yvonnick Muller et Pierre Courcelle au piano, ainsi que Love me, love me, love me de Sylvain Prunenec, et à nouveau Manteau Long en laine marine... de Delago Fuchs et Paquerette de François Chaignaud et Cecilia Bengolea. Pour la soirée de clôture d'Artdanthé.
Guy
La saison d'Ardanthé n'est pas finie : épilogue avec Boris Charmatz et Médéric Collignon le 5 mars.
(1) tel que surnommé par Nadar
Labels: kataline patkaï
3 Comments:
Merci pour cette très belle critique ! Je suis un peu restée sur ma fin quand à la représentation, hier (http://ledispariteur.blogspot.com/2009/02/la-neige-cest-la-nature-qui-sefface.html), mais je vois grâce à vos mots que l'idée est passée néanmoins. Du coup j'ai relu votre critique d'Hamlet : bon, pour vous, c'est pas passé ! Mais j'aime votre ton, votre manière délicate et consciencieuse d'essayer de trouver du sens à ce que vous voyez sur scène... même quand vous n'en trouvez pas ! Ce n'est d'ailleurs pas la première fois qu'il y a ce genre de "retournement" - qui ne me surprend pas - Pascal Bély pour le blog Le Tadorne avait fait un très bon papier sur Monsieur Villovitch en ayant par ailleurs descendu le spectacle précédent (La Descendance). Je dis que ça ne me surprend pas parce que c'est le jeu de la critique, mais que c'est aussi que j'imagine mes spectacles les plus ouverts possible, au risque assumé du contre-sens, le spectacle, pour moi, ne se faisant, strictement, que dans la tête (ou le cœur...) des spectateurs, vérité que des gens comme vous, et en particulier par ce retour touché, rendent tangible.
D'ailleurs ce que je préfère dans la délicatesse de ce que vous écrivez est : "Une grâce plane - inaccessible à l'analyse." Et sinon, c'est vrai, "Autant de pièces en devenir".
Au plaisir !
Yves-Noël
Merci de prendre des risques ! C'est tellement plus intéressant pour nous.
Quitte à parfois ne pas être compris. C'est ce coté ouvert - décomposé ? -qui m'avait braqué la fois d'avant... et qui m'a beaucoup plu hier. Mais difficile pour moi de comprendre pourquoi. Peut-être parce que je sentais tous ces éléments converger sur un thème ? Et l'aspect "désinvolte" dans l'exécution qui donne cette impression d'impro, sur des choses au contraire trés préparées( je suppose). Ca passe ou ça casse. Je pense que beaucoup de spectateurs tels que moi sont troublés, avant de rentrer dedans, ou non.
Je vous trouve bien sévère avec la performance d'hier soir, même si je ne peux pas juger par rapport à vos intentions. J'espère beaucoup que cette piece va continuer à vivre. J'attends les suivantes!
A bientôt
Guy
merci ! (beaucoup moins sévère grâce à vous, parce que, les intentions, vous les avez lues !)
YN
Post a Comment
<< Home