Sunday, March 29, 2009

Manoella Baffa

Il m’a fallu du temps pour enfin comprendre ce que j’allais faire à Chaillot. L’espace il faut que je le sente. Salle très dure (imaginais-je) depuis des mois, semaines, jours et puis, ce soir, ça s’est ouvert pour la première fois – et c’est la fois décisive, la fois qui me suffit et celle à laquelle je me référerai pour transmettre aux acteurs d’abord puis aux spectateurs le « calme » que j’envisage de transmettre. Oui, parce que, chez moi, on ne vient pas pour autre chose que pour se calmer. Aujourd’hui donc cette salle s’est ouverte comme par enchantement, comme dans un conte, dans sa beauté, sa disponibilité. J’ai compris pourquoi on me demandait à moi de faire un spectacle, ce qui ne m’était pas apparu jusque là – il m’a fallu le temps ! Peut-être que ça ne s’est pas fait d’un coup, peut-être est-ce parce que Sylvie Mélis s’est prise au jeu et s’est mise à venir tous les jours à Chaillot rêver à sa lumière… Peut-être que c’est la gentillesse des gens – très nombreux – de Chaillot qui m’a étonné (et m’a transformé) : tant de contraintes, de difficultés, mais tant de gentillesse aussi et de professionnalité… Peut-être aussi que l’image que m’a transmise Dominique Hervieu de William Forsythe prostré derrière une colonne hier au soir parce qu’il avait raté sa première, en un sens, m’a soulagé : si une chose comme ça pouvait arriver à un génie comme Forsythe, je pouvais peut-être, moi, me libérer d’un peu de pression… Peut-être aussi est-ce cette servante éclairant toute seule la salle, l’arrêt de la soufflerie, la disparition de fin de semaine de presque tout le monde… toujours est-il que la salle m’est apparue pour la première fois dans son espace, dans son acoustique, dans sa… – comment dire autrement – dans sa vie
On entendait marcher sur l’escalier du plafond, l’escalier du dehors qui descend vers les bassins, les jardins, parfois un skate, on entendait couler de l’eau, il y avait une atmosphère de neige fondue, on se parlait avec Sylvie dans l’obscurité et les voix étaient claires, sans effort. À un moment il y a même eu un chien dans le lointain, le fameux chien de nulle part, le chien de Duras, celui qui avait aboyé, aboyé dans l’espace de Trois voyageurs regardent un lever de soleil, la pièce de Wallace Stevens montée par Claude Régy au Théâtre de la Bastille qu’avait tellement aimée Marguerite Duras… Ce chien qui aboyait… J’étais chez moi, le processus de création était déclenché (une immense énergie soudain qui allait durer jusqu’au bout), sans doute du même ordre que celle que décrit Simenon quand il dit qu’il marche, il marche jusqu’à ce que lui apparaisse un lieu, oh, un lieu de rien du tout, un bout de terrain en pente, trois sapins, un coin de mur, à partir de quoi tout s’enclenche…

(Vendredi 27 mars.)

Évidemment le spectacle de William Forsythe était sublime (titré : Yes we can’t).

(Samedi 28 mars.)

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