Le roi de Chaillot
De : cesar@same-production.com
Objet : Le roi de Chaillot
Date : 21 mai 2009 13:08:06 HAEC
À : yvesnoelgenod@wanadoo.fr
Depuis toujours, pour moi, toute entrée dans un théâtre est absurde.
Une fois assis à ma place, dans le noir devant la scène et les acteurs qui jouent, j'imagine ce que diraient des martiens qui nous observent et je me dis : mais que font ces gens qui parlent très fort devant moi qui suis assis à les regarder sans rien dire, c'est absurde !
Depuis longtemps déjà, les avant-gardes historiques ont fait ce travail de débarrasser le spectacle de tout ce qui rendait la représentation, le dispositif (jusque dans le texte) théâtrale absurde. Ce que j'appelle "la cérémonie du théâtre" comme celle d'un mariage réussi à la française. Merci Kurt Schwitters, merci DADA, merci l'Internationale Situationniste, merci Fluxus, merci l'Action Theater, merci Buster Keaton, merci les actionistes Viennois, merci Beckett, merci Godard, merci William Forsythe, merci Trisha Brown voir Bob Charmatz. Merci à tous ces gens qui finalement aujourd'hui peuvent se retrouver dans une question du jeu des mille francs (mille Euros), dans le Larousse et même à l'Académie Française.
Mais grâce à tous ces artistes et bien d'autres, quand je suis assis sur un fauteuil, qu'il n'y a pas de rideau, pas de scène, pas de début et pas de fin, je ne me pose plus de question. En fait, moins il y a de règle et de mode d'emplois, plus je suis à l'aise. Mais il faut faire attention que ce manque de règle n'en soit pas une.
Toi aujourd'hui, puisque tes pères on fait le boulot pour toi, tu n'as plus besoin de dire, de mettre en scène en sous-entendant: "je vous emmerde, je ne mets pas de rideau, j'encule la scène, je pisse sur les débuts et je chie sur les fins", non maintenant c'est, et c'est bien.
Mais il y a toujours un retard entre l'attitude des avant-gardes et l'imaginaire collectif, celui d'un vrai public, et j'imagine très bien qu'au sortir de ton spectacle, certains peuvent dire : "C'est génial, il y a une nana qui pisse sur scène." comme si ça n'avait jamais été fait. Ou "C'est ringard, il y a une nana qui pisse que scène." parce que ça a été fait des centaines de fois.
Et comme les avant-gardes, quand elles sont citées, sont aussi codées que les classiques, il y a le risque de passer à côté. C'est ce que tu nous disais sur "la justesse", avant le spectacle.
Ce qui est bien, c'est que tu utilises tout dans ton spectacle. Les codes de l'avant-garde (ce qui est absurde par définition parce qu'une avant-garde codée n'est plus une avant garde mais un classique) et les codes des "classiques" (au sens où l'on parle communément du théâtre classique) qui vont de soi.
Et tout ça aujourd'hui se perd dans la grande enveloppe des noms que l'on donne aux spectacles contemporains : danse/théâtre, art/danse, théâtre/danse/art. Le besoin de classification périlleux qui traduit cet espace tant rêvé "d'art périphérique", de transversalité, de rencontre des arts qui serait un art, art total, à part entière mais qu'on ne sait pas nommer sans redire les spécifications de chacun (danse, théâtre, art).
Et bien toi, tu t'en sors.
Même si les programmes et les plaquettes s'évertuent à nommer d'une manière
post-moderne le spectacle contemporain, il n'en reste pas moins que quand on va voir ton spectacle, on va voir Yves-Noël Genod. C'est d'ailleurs ce qu'il y a sur l'affiche: Yves-Noël Genod, un point c'est tout. Comme on irait voir Michel Sardou ou Lou Reed.
Et c'est ta position d'Yves-Noël Genod qui fait tout.
On vient chez toi, on s'assoit à côté de toi pour partager, dans la joie ou non, ton travail, un truc du genre Yves-Noël Genod et son grand orchestre.
Tu parlais de l'impression Louis XIV, à propos de la ruche Chaillot qui butine autour de toi, mais nous y sommes.
Tu ne joues pas dans le spectacle, mais tu en fais partie, ta présence, avec ta chevelure et tes bagues, assis sur le trône du monarque, cette présence valide ton spectacle et aujourd'hui on peut nommer ton spectacle sans tomber dans les genres du genre, je vais au théâtre, je vais voir un spectacle vivant, je vais voir une performance, je vais voir de la danse /théâtre, non, on dit et on dira, au delà des professionnels de la profession, on dira : je vais voir Yves-Noël Genod !
Ci-jointes deux photos en guise d'exposé.
Montrons la photo 1 à un échantillon de la population des spectateurs contemporains. La réponse pourrait être : Gérard Philipe dans Le Cid en Avignon.
Montrons la photo 2 à un échantillon de la population des spectateurs contemporains. La réponse pourrait être: Pina Bausch au Théâtre de la Ville en 1981
Et bien non, c'est Yves-Noël Genod à Chaillot en 2009.
Mais pour le savoir, il fallait être dans la position absurde de se retrouver face à des gens qui parlent et bougent devant soi.
Donc, je me souviens de moments biens, je me souviens de moments d'ennui, d'instants d'agacements, d'instants de fascination, puis, je me vois me sentir très bien au bout d'un certain temps, avec ces personnes formidables qui sont dans ton spectacle à tes côtés, sans plus me poser de question.
Alors bravo !
Bien à toi
César
PS:
Je veux bien une photo de toi avec ta cotte de mailles
Ah ben c'est gentil, ça, de prendre le temps d'une démonstration d'intérêt si brillante ! Oui, tu dis des choses que je comprends parfaitement, même si je n'y pense pas (consciemment) quand je travaille.
Tes photos sont très belles !
Voici un retour critique moins théorique que le tien, mais qui vient de m'arriver et qui me touche aussi (dommage que ce soit pas "Libé" ou "Le Monde" ou "Les Inrocks", mais bon, ça réchauffe quand même...)
Voici pour toi la photo de Marc Domage demandée (et dédicacée...)
Bises
YN
Objet : Le roi de Chaillot
Date : 21 mai 2009 13:08:06 HAEC
À : yvesnoelgenod@wanadoo.fr
Depuis toujours, pour moi, toute entrée dans un théâtre est absurde.
Une fois assis à ma place, dans le noir devant la scène et les acteurs qui jouent, j'imagine ce que diraient des martiens qui nous observent et je me dis : mais que font ces gens qui parlent très fort devant moi qui suis assis à les regarder sans rien dire, c'est absurde !
Depuis longtemps déjà, les avant-gardes historiques ont fait ce travail de débarrasser le spectacle de tout ce qui rendait la représentation, le dispositif (jusque dans le texte) théâtrale absurde. Ce que j'appelle "la cérémonie du théâtre" comme celle d'un mariage réussi à la française. Merci Kurt Schwitters, merci DADA, merci l'Internationale Situationniste, merci Fluxus, merci l'Action Theater, merci Buster Keaton, merci les actionistes Viennois, merci Beckett, merci Godard, merci William Forsythe, merci Trisha Brown voir Bob Charmatz. Merci à tous ces gens qui finalement aujourd'hui peuvent se retrouver dans une question du jeu des mille francs (mille Euros), dans le Larousse et même à l'Académie Française.
Mais grâce à tous ces artistes et bien d'autres, quand je suis assis sur un fauteuil, qu'il n'y a pas de rideau, pas de scène, pas de début et pas de fin, je ne me pose plus de question. En fait, moins il y a de règle et de mode d'emplois, plus je suis à l'aise. Mais il faut faire attention que ce manque de règle n'en soit pas une.
Toi aujourd'hui, puisque tes pères on fait le boulot pour toi, tu n'as plus besoin de dire, de mettre en scène en sous-entendant: "je vous emmerde, je ne mets pas de rideau, j'encule la scène, je pisse sur les débuts et je chie sur les fins", non maintenant c'est, et c'est bien.
Mais il y a toujours un retard entre l'attitude des avant-gardes et l'imaginaire collectif, celui d'un vrai public, et j'imagine très bien qu'au sortir de ton spectacle, certains peuvent dire : "C'est génial, il y a une nana qui pisse sur scène." comme si ça n'avait jamais été fait. Ou "C'est ringard, il y a une nana qui pisse que scène." parce que ça a été fait des centaines de fois.
Et comme les avant-gardes, quand elles sont citées, sont aussi codées que les classiques, il y a le risque de passer à côté. C'est ce que tu nous disais sur "la justesse", avant le spectacle.
Ce qui est bien, c'est que tu utilises tout dans ton spectacle. Les codes de l'avant-garde (ce qui est absurde par définition parce qu'une avant-garde codée n'est plus une avant garde mais un classique) et les codes des "classiques" (au sens où l'on parle communément du théâtre classique) qui vont de soi.
Et tout ça aujourd'hui se perd dans la grande enveloppe des noms que l'on donne aux spectacles contemporains : danse/théâtre, art/danse, théâtre/danse/art. Le besoin de classification périlleux qui traduit cet espace tant rêvé "d'art périphérique", de transversalité, de rencontre des arts qui serait un art, art total, à part entière mais qu'on ne sait pas nommer sans redire les spécifications de chacun (danse, théâtre, art).
Et bien toi, tu t'en sors.
Même si les programmes et les plaquettes s'évertuent à nommer d'une manière
post-moderne le spectacle contemporain, il n'en reste pas moins que quand on va voir ton spectacle, on va voir Yves-Noël Genod. C'est d'ailleurs ce qu'il y a sur l'affiche: Yves-Noël Genod, un point c'est tout. Comme on irait voir Michel Sardou ou Lou Reed.
Et c'est ta position d'Yves-Noël Genod qui fait tout.
On vient chez toi, on s'assoit à côté de toi pour partager, dans la joie ou non, ton travail, un truc du genre Yves-Noël Genod et son grand orchestre.
Tu parlais de l'impression Louis XIV, à propos de la ruche Chaillot qui butine autour de toi, mais nous y sommes.
Tu ne joues pas dans le spectacle, mais tu en fais partie, ta présence, avec ta chevelure et tes bagues, assis sur le trône du monarque, cette présence valide ton spectacle et aujourd'hui on peut nommer ton spectacle sans tomber dans les genres du genre, je vais au théâtre, je vais voir un spectacle vivant, je vais voir une performance, je vais voir de la danse /théâtre, non, on dit et on dira, au delà des professionnels de la profession, on dira : je vais voir Yves-Noël Genod !
Ci-jointes deux photos en guise d'exposé.
Montrons la photo 1 à un échantillon de la population des spectateurs contemporains. La réponse pourrait être : Gérard Philipe dans Le Cid en Avignon.
Montrons la photo 2 à un échantillon de la population des spectateurs contemporains. La réponse pourrait être: Pina Bausch au Théâtre de la Ville en 1981
Et bien non, c'est Yves-Noël Genod à Chaillot en 2009.
Mais pour le savoir, il fallait être dans la position absurde de se retrouver face à des gens qui parlent et bougent devant soi.
Donc, je me souviens de moments biens, je me souviens de moments d'ennui, d'instants d'agacements, d'instants de fascination, puis, je me vois me sentir très bien au bout d'un certain temps, avec ces personnes formidables qui sont dans ton spectacle à tes côtés, sans plus me poser de question.
Alors bravo !
Bien à toi
César
PS:
Je veux bien une photo de toi avec ta cotte de mailles
Ah ben c'est gentil, ça, de prendre le temps d'une démonstration d'intérêt si brillante ! Oui, tu dis des choses que je comprends parfaitement, même si je n'y pense pas (consciemment) quand je travaille.
Tes photos sont très belles !
Voici un retour critique moins théorique que le tien, mais qui vient de m'arriver et qui me touche aussi (dommage que ce soit pas "Libé" ou "Le Monde" ou "Les Inrocks", mais bon, ça réchauffe quand même...)
Voici pour toi la photo de Marc Domage demandée (et dédicacée...)
Bises
YN
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