Roman
Je ne comprends pas tout. Il me semble que si j'aime un auteur, j'aime aussi comment il est. Ça s'ajoute. Est-ce de la confusion ? De la non distinction ? J'aime Proust et j'aime aussi qu'il dissèque des rats dans des bordels de garçons. J'aime aussi, en un sens, que Céline soit antisémite parce que c'est lui et que j'ai l'impression de le comprendre comme j'ai l'impression de comprendre Shakespeare ou Picasso parce que ces gens ont eu la générosité, l'amour, disons, chacun, d'avancer sans tricher et qu'ils ont comme "aimé le monde", c'est difficile de le dire autrement. Et je comprends, mon Dieu, très bien, comment dans les années soixante-dix où tout le monde le faisait, en France en tout cas, je le sais, et qui plus est à Hollywood où tout le monde sait (encore) que ça se fait depuis toujours (c'est même enseigné dans les cours d'Actors studio partout dans le monde : il faut coucher pour réussir), je comprends extrêmement bien que Roman Polanski (remarque le prénom) ait pu coucher avec une mannequin de treize ans et dix mois, non vierge depuis l'âge de huit ans, paraît-il, et connaissant toutes les drogues (paraît-il, mais je le crois), qui plus est dans la villa de Jack Nicholson ! qui plus est avec Roman Polanski ! qui plus est à Los Angeles ! qui plus est dans les années soixante-dix qui sont mes années préférées et où tout - la sexualité - devait s'expérimenter plein pot (on en est loin maintenant puisque maintenant on pense qu'on a tout compris de la sexualité et qu'il y a des cases, des clics pour ça). Mais depuis quand un peintre n'a-t-il pas le droit de coucher avec son modèle ? C'est pas encore complètement explicite, ça, dans les lois (d'où l'importance de ce déballage). Ça va être infiniment pire encore que ce à quoi nous assistons. Ça va pas s'arrêter, tu vas voir, ça augmente tous les jours. Je comprends aussi que celle qui a porté plainte en 1977 ait été indemnisé, n'est plus la fille qu'elle était, qu'elle a maintenant trois enfants, que Roman Polanski n'est plus non plus celui qu'il était, qu'il a deux enfants de onze et seize ans, qu'il est, lui, en train d'achever le montage de son dernier film, et que cette femme, de même que Roman Polanski, demande depuis maintenant pas mal d'années à la justice californienne de la laisser tranquille, qu'elle a l'impression, dit-elle, d'avoir été, elle-aussi comme le réalisateur, comme condamnée à la perpétuité, qu'il faut tirer un trait et arrêter de poursuivre Roman Polanski autour du monde - et je suis encore, pour finir, d'accord aussi avec Frédéric Mitterrand (maintenant, bien entendu, poursuivi à son tour) quand il dit : "Si nous ne défendions pas Roman Polanski, ça voudrait dire que le mot culture n'aurait plus aucun sens." Pourquoi il dit cela ? Parce que l'art est depuis toujours le moyen de dire - à la société, à la bien-pensance - quelque chose comme : ce n'est pas comme vous les voyez que sont les choses, c'est différemment que vous les voyez, la réalité n'est pas la fiction que vous en faites avec vos têtes (et vos lois) et que vous prenez, vous, pour la réalité, la réalité est autre. J'ai personnellement un peu de problème à penser au rapport d'Heidegger et du nazisme, mais c'est justement parce que je n'aime pas Heidegger et que je ne l'ai que très peu lu. Si je l'aimais, je le défendrais, je défendrais l'homme en son entier. Si c'est un ami - et un ami est au-delà de la loi ! - je le défends. "Si un ami qui vient de commettre un crime vient vous voir et vous demande de le cacher, le feriez-vous ?" demandait-on à la télévision à Pierre Bergé, réponse (évidente pour moi) : "Absolument - sinon ça ne serait pas un ami." Les auteurs sont mes amis, mes amis proches, les gens qui aiment mes spectacles aussi, par exemple, deviennent - en aimant ce que je fais - mes amis. Ça ne me semble pas de la confusion. Toutes ces choses abstraites, ces très grands principes "justice", "équité", "égalité" des hommes sont des paroles fausses, bonnes peut-être pour, comme tu le fais remarquer, administrer les hommes (médiocrement) et remplacer (depuis la révolution française) Dieu et psy (ou confesseurs). Moi, je préfère Dieu (en direct), aide des psy et amitié, amour et complexité infinie des choses et des sens... Et je ne crois en rien à l'administration, presque rien, surtout depuis que tu m'as décrit la guerre permanente dont se nourrissent les services. La démocratie, pour moi, est un mal nécessaire, pas plus, pas mieux, c'est l'ennemi qu'il faut conserver vivant, c'est l'ennemi dans lequel certes nous mettons aussi notre espoir de survie, à l'échelle de la planète, ce n'est certainement pas ce qui doit remplacer Dieu, les psy, l'art, le sexe, la vie personnelle même hors-norme, le crime possible en chacun... Pourquoi ? Parce que la démocratie est un totalitarisme. C'est ce qui maintenant se profile presque absolument : le grand nihilisme généralisé, le droit dans l'mur !
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3 Comments:
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je suis parfaitement d'accord avec vous M. Genod
"Depuis le déclenchement de cette affaire infernale, Je vis dans l'épouvante", déclare Alain Finkielkraut sur France Inter. "La France est en proie à une véritable fureur de la persécution. Et il n'y a pas que la France. C'est toute la planète internet qui est devenue comme une immense foule lyncheuse."
"Je ne réclame pas une quelconque impunité pour un artiste. Mais il faut quand même comprendre que sa qualité d'artiste, depuis le début de l'histoire, n'est pas un privilège, mais un handicap. C'est parce qu'il est un artiste que les juges mégalomanes américains refusent de lâcher l'affaire, et c'est parce qu'il est un artiste que la foule des internautes se déchaîne contre lui. Dans une société démocratique, l'art est comme un outrage à l'égalité, alors on adore voir les artistes tomber. Et c'est exactement ce qui se passe avec Polanski aujourd'hui. (…) Cette fureur de la persécution, c'est une tentation constante aujourd'hui, aggravée par l'immédiateté d'internet."
Quant à Frédéric Mitterrand, Alain Finkielkraut juge qu'il a été "victime d'un procédé totalitaire" : "On prend un texte, on en change le registre, on prélève des citations, on les tronque, et on lui demande de se justifier."
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