Les Bêtes que j'emploie
A l'arrivée, je remarque que Gilles qui s'était décrit comme "un grand barbu" est en fait gros et barbu, un physique à la Demis Roussos. C'est normal, moi-même je n'ai pas dit que je ressemblais à une folle. J'ai dit : "les cheveux blonds assez longs, un manteau de laine bleu de l'armée russe et des bottes". Mais quand il avoue Demis Roussos, j'avoue Iggy Pop. L'atout (immédiat) de Gilles n'est peut-être pas dans son physique, mais dans sa voix : il a la voix, les intonations de Laurent Joffrin, le directeur de "Libération" que j'écoute souvent dans "Le duel du jour" avec Sylvie Pierre-Brossolette. Nous sommes en Seine-et-Marne, dans la Brie, vers la fin de la forêt de Fontainebleau. C'est une journée superbe, venteuse (mais nous sommes en mars, presque, le 26 février). Je suis descendu à Nangis parce que je veux voir les dindons que nous emploierons pour le spectacle de la Ménagerie (au titre impossible : "Rien n'est beau. Rien n’est gai. Rien n’est propre. Rien n’est riche. Rien n’est clair. Rien n’est agréable. Rien ne sent bon. Rien n’est joli.") Gilles et Corinne ont quatre cents animaux plus ou moins dressés pour l'audio-visuel, les spectacles, l'événementiel, un parc de décors et toute sorte de possibilités pour organiser et animer toute sorte de soirées (voir leur site en cliquant sur le titre). Gilles est allé chercher les dindons un peu à droite à gauche, ce sont des dindons d'ornementation parce qu'en cette période les paysans n'en ont plus (on les a tous mangés à Noël). Ils sont plus chers que ce qu'il pensait, mais il tiendra son devis. Les dindons sont donc de gros bestiaux de plusieurs couleurs qui se demandent ce qu'ils font là ensemble et à quelle sauce on va les manger. C'est un désastre. Les dindons que nous avions trouvés, Martina et moi, à la Ferme pédagogique de Rennes, étaient un groupe très calme, en liberté, habitué à la présence humaine et qui d'ailleurs étaient arrivés vers moi pour me becqueter mes bagues qui luisaient au soleil de septembre (ils adorent le brillant). Ceux-là sont effrayés. Gilles me dit qu'ils sont plus calmes quand il y a moins de vent. Bon, on fera avec - et on réussira ! Mais le spectacle risque de perdre de son aspect de haïku. Ce qu'il y a de beau avec les bêtes, c'est quand elles n'ont pas peur, mais les bêtes, dans les relations que nous avons eues avec elles jusqu'à maintenant en tout cas, ont presque toujours peur (et ne se gênent pas pour le montrer). L'homme est si bête, faut dire ! Ça qui n'arrange pas ! Mes spectacles n'ont de justification que de calmer la peur, pour moi-même, pour les acteurs, pour les spectateurs et, bien sûr, pour les animaux que j'emploie.
Je passe une après-midi extraordinaire parmi les animaux. Je vois des choses que je n'avais jamais vues dans les zoos. Par exemple, des rennes avec les bois très développés (comme si on allait leur poser des boules de Noël) qu'on fabrique en leur injectant des hormones (c'est lié à l'activité sexuelle, alors ils les perdent justement vers Noël, mais, vous comprenez, pour les spectacles). Les animaux d'ailleurs, tous, ne sont pas comme dans les zoos ni dans les fermes (pédagogiques). Non, là, ce sont des animaux artistes. Le mental n'est pas le même. Ils savent ce que l'on attend d'eux : briller, être des stars. Ils font ce qu'ils peuvent en restant ce qu'ils sont, ils ne peuvent pas se refaire : le porcelet qu'on voyait dans les bras de Christophe Dechavanne a maintenant bien pris du poids ! Il vit d'avoir été comme un vieux Marlon Brando ou un vieil Elvis Presley et a bien du mal à se hisser sur ses pattes quand un directeur de casting ou un metteur en scène vient encore frapper à la porte de sa bauge. On le présente comme le cochon de la Ferme Célébrité, mais une Ferme chasse l'autre (jusqu'en Afrique) et c'est un retraité. Très sympathique, au demeurant. Ecoutez, je ne vais pas avoir le temps de raconter tout le monde, je voulais dire : tout le monde sait donc qu'il est un artiste ici, même les loups, prêts à tout pour paraître et plaire - ne parlons pas du groupe des ânes à l'ouïe pelucheuse, des vaches de beauté, la bretonne, la ceci, la cela, celle avec un cœur sur le front et des yeux immenses immenses (comme ceux de Julia Roberts), des chameaux turkomans (une race hybride), des lamas habillés par Dior, du jeune yack dont on ne voit pas les yeux et qui donc semble tout prêt à jouer tout fou comme un chien, des chevaux blasés, plus intelligents (car "plus noble conquête"), des chèvres exotiques, etc. Tous sauf, eh bien, sauf les dindons qui débarquent et qui ont l'air d'être saisi dans un train pour Auschwitz, encore avec leur vêtement de ville, leur nécessaire. Gilles n'en avaient pas sur place. Gilles me dit que c'est un animal fragile car du Mexique (ça, je savais), sensible au froid, c'est pour ça que les paysans n'en gardent pas. Les paysans achètent, à peu près à cette époque, des petits à un grossiste alsacien pour les élever jusqu'à Noël où on les bouffe. Je me balade partout parce que Gilles ne me ramène pas immédiatement à la gare parce que lui et Corinne sortent ce soir à Paris, je pourrai profiter de la voiture (un énorme quatre-quatre). Ils vont voir un spectacle de music-hall un peu extrême qui passe à Bobino et qui s'appelle La Clique. Dans la voiture, nous parlons beaucoup, la politique, la situation. Corinne a mis pour sortir une veste zèbre qui lui va très bien. Elle se maquille dans le miroir de courtoisie pendant que Gilles parle et conduit. Nous voyons des biches dans le soleil brouter le duvet vert du blé d'hiver. C'est une région de chasse, il y a de grandes propriétés de gens fortunés qui y organisent de grandes chasses. "Ou on peut dire aussi : boucheries", me dit Gilles. Par exemple, dans celle d'un baron, un riche banquier : il s'agit, en un week-end, d'abattre mille faisans nourris au grain, littéralement débennés devant les clients.
Je passe une après-midi extraordinaire parmi les animaux. Je vois des choses que je n'avais jamais vues dans les zoos. Par exemple, des rennes avec les bois très développés (comme si on allait leur poser des boules de Noël) qu'on fabrique en leur injectant des hormones (c'est lié à l'activité sexuelle, alors ils les perdent justement vers Noël, mais, vous comprenez, pour les spectacles). Les animaux d'ailleurs, tous, ne sont pas comme dans les zoos ni dans les fermes (pédagogiques). Non, là, ce sont des animaux artistes. Le mental n'est pas le même. Ils savent ce que l'on attend d'eux : briller, être des stars. Ils font ce qu'ils peuvent en restant ce qu'ils sont, ils ne peuvent pas se refaire : le porcelet qu'on voyait dans les bras de Christophe Dechavanne a maintenant bien pris du poids ! Il vit d'avoir été comme un vieux Marlon Brando ou un vieil Elvis Presley et a bien du mal à se hisser sur ses pattes quand un directeur de casting ou un metteur en scène vient encore frapper à la porte de sa bauge. On le présente comme le cochon de la Ferme Célébrité, mais une Ferme chasse l'autre (jusqu'en Afrique) et c'est un retraité. Très sympathique, au demeurant. Ecoutez, je ne vais pas avoir le temps de raconter tout le monde, je voulais dire : tout le monde sait donc qu'il est un artiste ici, même les loups, prêts à tout pour paraître et plaire - ne parlons pas du groupe des ânes à l'ouïe pelucheuse, des vaches de beauté, la bretonne, la ceci, la cela, celle avec un cœur sur le front et des yeux immenses immenses (comme ceux de Julia Roberts), des chameaux turkomans (une race hybride), des lamas habillés par Dior, du jeune yack dont on ne voit pas les yeux et qui donc semble tout prêt à jouer tout fou comme un chien, des chevaux blasés, plus intelligents (car "plus noble conquête"), des chèvres exotiques, etc. Tous sauf, eh bien, sauf les dindons qui débarquent et qui ont l'air d'être saisi dans un train pour Auschwitz, encore avec leur vêtement de ville, leur nécessaire. Gilles n'en avaient pas sur place. Gilles me dit que c'est un animal fragile car du Mexique (ça, je savais), sensible au froid, c'est pour ça que les paysans n'en gardent pas. Les paysans achètent, à peu près à cette époque, des petits à un grossiste alsacien pour les élever jusqu'à Noël où on les bouffe. Je me balade partout parce que Gilles ne me ramène pas immédiatement à la gare parce que lui et Corinne sortent ce soir à Paris, je pourrai profiter de la voiture (un énorme quatre-quatre). Ils vont voir un spectacle de music-hall un peu extrême qui passe à Bobino et qui s'appelle La Clique. Dans la voiture, nous parlons beaucoup, la politique, la situation. Corinne a mis pour sortir une veste zèbre qui lui va très bien. Elle se maquille dans le miroir de courtoisie pendant que Gilles parle et conduit. Nous voyons des biches dans le soleil brouter le duvet vert du blé d'hiver. C'est une région de chasse, il y a de grandes propriétés de gens fortunés qui y organisent de grandes chasses. "Ou on peut dire aussi : boucheries", me dit Gilles. Par exemple, dans celle d'un baron, un riche banquier : il s'agit, en un week-end, d'abattre mille faisans nourris au grain, littéralement débennés devant les clients.
Labels: butoh
1 Comments:
http://www.dailymotion.com/video/x2epnh_lachasse_creation
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