Friday, May 28, 2010

Du vin pour écrire

Je suis retourné au wagon-restaurant (c'est plus comme ça qu'on dit) pour reprendre la bouteille de Merlot dégueulasse que j'avais laissée à disposition. Parce que je veux quand même picoler finalement. C'est toujours un peu chiant d'écrire, c'est décevant, vaut mieux picoler, quand même. Alors, blabla... Dans le train, au bar, donc, je croise Cécile Mainardi. Chose étonnante, je me souviens de quand on s'est croisé la première fois. J'invente, mais je tombe juste. Elle est si enthousiaste qu'elle m'offre son livre. Elle n'en a qu'un exemplaire sur elle et elle doit faire une conférence dessus, elle dit qu'elle la fera de mémoire, elle me parle d'une performance de Liliane Giraudon qui "lisait" son livre, La Poétesse, sans son livre. Avec une oreillette. Je trouve ça très bien, je lui dis ce que je ferai à Avignon (Vénus & Adonis), je lui dis que, l'année dernière, je savais mon texte (avec l'aide d'un souffleur, quand même), mais que, là, je n'allais pas le réapprendre, ça n'avait pas de sens. Les choses existent dans les livres autant les y laisser. Ça n'empêche pas de faire du théâtre - mais est-ce que les spectateurs savent le texte par cœur ? non. Pourtant ce sont les spectateurs qui font le spectacle. (C'est pour ça que je ne vais pas les faire payer, en plus...) Son livre s'appelle Deuxième blondeur, c'est un titre pour moi. Avec, en sous-titre, L'Immaculé conceptuel, encore un titre pour moi (et pour Avignon). Je lui promets d'en lire un passage le soir même, je vais faire une performance à l'invitation de Frédéric Teschner, au festival de Chaumont. Je dois lire Arthur Cravan, Frédéric m'a prêté un livre, mais je réussirai bien à placer des phrases comme : "Tu as merveilleusement un autre âge, tes cheveux blond-ciment." ou "Ta blondeur, c'est ton fleuve, m'annonce Stéphane." ou encore : "Tu serais blond-à-y-passer-la-main-dans-le-langage." Elle me raconte qu'elle voulait mettre L'immaculée Conceptuelle au féminin, mais que l'éditeur n'a pas voulu. Qu'est-ce qu'ils sont cons, ces éditeurs ! A Avignon, pas d'éditeur, quel soulagement ! Je fais ce que je veux, c'est moi qui invite, c'est moi qui paye, c'est moi qui offre. Reste plus qu'à trouver du blé (pour l'année prochaine) - parce que c'est l'idéal. Tu payes, tu offres. Ensuite, un contrôleur (mais en tenue légère, juste une broche) vient me demander si je ne suis pas le cousin de "Denis Fatet". Un collègue qui lui a dit : "Y a mon cousin qu'est monté, il s'est trompé de TGV, c'est un grand blond." Trop sexy, ce contrôleur marqué Alain, je lui aurait bien montré si j'en étais un vrai, de blond... avec ses cheveux, lui, poivre-et-sel. (C'est aussi pour ça que j'ai repris la bouteille.) Thomas Ferrand me demande ce matin comment je fais avec la solitude. Solitude ? Quelle solitude ? Tout afflue, on est constamment très, très ensemble, comme des fourmis, y a rien de solitaire, c'est ça, la vérité - mais je veux bien m'occuper de sa solitude à lui, Thomas, je vois bien de quoi il souffre (j'ai mon idée). Je lui propose de venir dormir avec moi ce soir à Chaumont. S'il vient, il viendra avec sa fille, il faudrait rajouter un matelas (elle a l'âge de celle de Pierre). Ça devrait être possible, il faut juste appeler l'hôtel. Du coup, un peu plus tard, je le propose aussi à Pierre, mais Pierre (qui n'a pas sa fille, ce week-end), non, c'est pas le genre : il est venu à Bruxelles après beaucoup d'insistance, mais il est venu en stop parce que, malgré son haut revenu (d'après l'Insee, au Grand Journal), il n'a pas de fric pour prendre le train, il faut le vivre pour le croire, mais on l'aime pour ça ! Il m'avait envoyé un texto : "Mon amour, mon amour, je me sens tout près de toi !" et je lui répond oralement, je lui parle de Thomas, je lui dis que, moi non plus, je ne me sens pas seul, à cause de lui et puis du reste, de la lumière, de la chaleur, du fleuve qui, cette nuit, entourait de sa boucle la ville avec le pont cassé, et puis de l'autre fleuve où je me suis baigné, très vivant, très vivace, pas loin, sous l'aqueduc des Romains et puis, là, je me dis qu'il faudrait que je relise Claude Simon parce que ça va bien de blablater sur tout comme ça, mais qu'il y a quand même les AUTEURS !

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