Teatro povero ("Le Monde")
Le "Teatro povero" d'Yves-Noël Genod
Avignon Envoyée spéciale
Un ange blond passe. Il promène sa longue silhouette dans les rues d'Avignon. Jean près du corps, chemise ample et cheveux oxygénés. Une version arty de Gérard Depardieu jeune dans Les Valseuses. Un après-midi, on l'aperçoit photographiant une femme qui déambule nue, aux formes généreuses sublimées par une peinture dorée. Un autre jour, il distribue des tracts devant le Palais des papes pour annoncer son one-man-show dans le festival "off", une variation sur Vénus & Adonis, poème de Shakespeare, au Théâtre de La Condition des soies. "J'ai cassé ma tirelire pour faire ce spectacle. Etre à Avignon est un rêve", explique-t-il.
Yves-Noël Genod, 37 ans, n'est pourtant pas un inconnu. Il y a trois ans, une de ses chorégraphies était programmée dans le "in" d'Avignon. Ce comédien, performeur et metteur en scène a travaillé dans le passé avec les metteurs en scène Claude Régy et François Tanguy. Avec le premier, il a appris à "lire des textes" et à fabriquer son théâtre "comme un artisan". Du second, il a retenu cette façon unique de "faire de la lumière comme de l'or, en récupérant des vieux décors". Ses rencontres avec la performeuse Marlène Saldana, la comédienne et chanteuse Jeanne Balibar, le chanteur Jonathan Capdevielle, ses réflexions qu'il consigne dans son blog (Ledispariteur.blogspot.com) nourrissent son travail, multiforme, inclassable et, presque toujours, autoproduit.
Yves-Noël Genod travaille avec trois fois rien. Les contraintes économiques, il les retourne pour en tirer des effets scéniques saisissants. L'une de ses pièces les plus remarquées, Le Dispariteur, s'est jouée à la Ménagerie de verre, à Paris, dans le noir total pendant trente-cinq minutes, avant que des bougies chauffe-plat, posées en hauteur, donnent enfin un visage aux artistes. Dans Hamlet, deuxième version, Guillaume Allardi a laissé sa guitare dans les coulisses, préférant laisser courir ses mains sur un manche imaginaire. "Yves-No" s'est construit un univers fantasque, poétique, un teatro povero qu'il résume de cette formule : "Le rien, mais avec splendeur."
Cela vaut pour le spectateur, qui bénéficie d'une "entrée gratuite" pour son spectacle dans le "off" d'Avignon. Il est même accueilli avec une coupe de champagne, dans la salle de spectacle toute ronde, avec ses murs en pierre et son atmosphère brute qui rappellent le Théâtre des Bouffes du Nord, à Paris. Pas de création lumière, pas de décor. "Je me sers des lieux comme décor. Cette scène m'habille comme un vêtement." Pas de micro pour lire Shakespeare. "Cette salle est aussi un instrument. Quand je me tourne face au mur, ça amplifie ma voix." Celle-ci est douce et un peu traînante, avec un brin d'accent qui lui donne un air d'étrangeté.
On est entraîné dans le récit d'un duel amoureux et vertigineux : Vénus, tombée folle amoureuse d'Adonis, désespère d'obtenir un baiser. "Nous sommes dans les yeux l'un de l'autre. Pourquoi ne pas être bouche sur bouche ? (...) Ces violettes aux veines bleues sur lesquelles nous sommes étendus ne bavarderont jamais, et ne savent pas ce que nous voulons." Tout l'intérêt de cette lecture réside dans les interruptions que lui inflige le comédien. Shakespeare est coupé, commenté, détourné au gré de son inspiration. Des extraits de L'Art de la poésie de Jorge Luis Borges, ou d'un poème de Wallace Stevens, font écho à Vénus & Adonis. Mais aussi le cri nuptial d'un oiseau, qui jaillit de son ordinateur... Charmeur, les boutons de son jean défaits, Yves-Noël Genod ne lâche jamais de l'oeil le public. De digressions en souvenirs personnels, il lui raconte une autre histoire. En quittant le théâtre, les spectateurs remplissent le seau à champagne de pièces et de billets.
Yves-Noël Genod. Le Parc intérieur, variation sur Vénus & Adonis, le poème de Shakespeare.
Théâtre de La Condition des soies. 13, rue de la Croix, Avignon. Tél. : 04-32-74-16-49. Entrée gratuite. Jusqu'au 31 juillet (relâche le 21).
Clarisse Fabre
Article paru dans l'édition du 18.07.10
Avignon Envoyée spéciale
Un ange blond passe. Il promène sa longue silhouette dans les rues d'Avignon. Jean près du corps, chemise ample et cheveux oxygénés. Une version arty de Gérard Depardieu jeune dans Les Valseuses. Un après-midi, on l'aperçoit photographiant une femme qui déambule nue, aux formes généreuses sublimées par une peinture dorée. Un autre jour, il distribue des tracts devant le Palais des papes pour annoncer son one-man-show dans le festival "off", une variation sur Vénus & Adonis, poème de Shakespeare, au Théâtre de La Condition des soies. "J'ai cassé ma tirelire pour faire ce spectacle. Etre à Avignon est un rêve", explique-t-il.
Yves-Noël Genod, 37 ans, n'est pourtant pas un inconnu. Il y a trois ans, une de ses chorégraphies était programmée dans le "in" d'Avignon. Ce comédien, performeur et metteur en scène a travaillé dans le passé avec les metteurs en scène Claude Régy et François Tanguy. Avec le premier, il a appris à "lire des textes" et à fabriquer son théâtre "comme un artisan". Du second, il a retenu cette façon unique de "faire de la lumière comme de l'or, en récupérant des vieux décors". Ses rencontres avec la performeuse Marlène Saldana, la comédienne et chanteuse Jeanne Balibar, le chanteur Jonathan Capdevielle, ses réflexions qu'il consigne dans son blog (Ledispariteur.blogspot.com) nourrissent son travail, multiforme, inclassable et, presque toujours, autoproduit.
Yves-Noël Genod travaille avec trois fois rien. Les contraintes économiques, il les retourne pour en tirer des effets scéniques saisissants. L'une de ses pièces les plus remarquées, Le Dispariteur, s'est jouée à la Ménagerie de verre, à Paris, dans le noir total pendant trente-cinq minutes, avant que des bougies chauffe-plat, posées en hauteur, donnent enfin un visage aux artistes. Dans Hamlet, deuxième version, Guillaume Allardi a laissé sa guitare dans les coulisses, préférant laisser courir ses mains sur un manche imaginaire. "Yves-No" s'est construit un univers fantasque, poétique, un teatro povero qu'il résume de cette formule : "Le rien, mais avec splendeur."
Cela vaut pour le spectateur, qui bénéficie d'une "entrée gratuite" pour son spectacle dans le "off" d'Avignon. Il est même accueilli avec une coupe de champagne, dans la salle de spectacle toute ronde, avec ses murs en pierre et son atmosphère brute qui rappellent le Théâtre des Bouffes du Nord, à Paris. Pas de création lumière, pas de décor. "Je me sers des lieux comme décor. Cette scène m'habille comme un vêtement." Pas de micro pour lire Shakespeare. "Cette salle est aussi un instrument. Quand je me tourne face au mur, ça amplifie ma voix." Celle-ci est douce et un peu traînante, avec un brin d'accent qui lui donne un air d'étrangeté.
On est entraîné dans le récit d'un duel amoureux et vertigineux : Vénus, tombée folle amoureuse d'Adonis, désespère d'obtenir un baiser. "Nous sommes dans les yeux l'un de l'autre. Pourquoi ne pas être bouche sur bouche ? (...) Ces violettes aux veines bleues sur lesquelles nous sommes étendus ne bavarderont jamais, et ne savent pas ce que nous voulons." Tout l'intérêt de cette lecture réside dans les interruptions que lui inflige le comédien. Shakespeare est coupé, commenté, détourné au gré de son inspiration. Des extraits de L'Art de la poésie de Jorge Luis Borges, ou d'un poème de Wallace Stevens, font écho à Vénus & Adonis. Mais aussi le cri nuptial d'un oiseau, qui jaillit de son ordinateur... Charmeur, les boutons de son jean défaits, Yves-Noël Genod ne lâche jamais de l'oeil le public. De digressions en souvenirs personnels, il lui raconte une autre histoire. En quittant le théâtre, les spectateurs remplissent le seau à champagne de pièces et de billets.
Yves-Noël Genod. Le Parc intérieur, variation sur Vénus & Adonis, le poème de Shakespeare.
Théâtre de La Condition des soies. 13, rue de la Croix, Avignon. Tél. : 04-32-74-16-49. Entrée gratuite. Jusqu'au 31 juillet (relâche le 21).
Clarisse Fabre
Article paru dans l'édition du 18.07.10
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