Monday, September 27, 2010

Trouver de l’argent

(Une adresse)

Hubert Colas et Anaïs Rebelle organisent pour moi pendant le festival une rencontre avec des programmateurs en vue de les intéresser à mon projet d’opérette (livret de Nathalie Quintane) dont nous avons déjà fait, avec Pierre Courcelle, Thomas Scimeca et Jonathan Capdevielle un ACR sur France Culture. Ça doit se passer à La Criée à 10 heures, le 8 octobre. Problème : un clash avec un technicien (ou concierge) de La Criée qui fait que je n’y mettrai plus jamais les pieds (au moins tant que la direction – au moins – n’aura pas changé). Bon. Mais j’ai un problème avec ce projet. En réécoutant les chansons enregistrées, en ce moment, je n’entends pas d’ ça parle. Ça semble tirer dans plusieurs directions contradictoires. Je ne vois pas ce qui pourrait intéresser les gens, je ne vois pas la matière. Pour moi, un travail (un spectacle), c’est d’abord un contenant. Ce n’est pas qu’il n’y a rien dans ce contenant, mais c’est tout comme. Rien n’aura eu lieu que le lieu. Le lieu n’est pas seulement le lieu (comme la salle ronde en pierre et acoustiquement très précise de la Condition des soies), c’est aussi la personne. La personne comme un lieu, le lieu de la personne. J’ai eu cette sensation à partir de cette phrase célèbre de Mallarmé en voyant travailler Thomas Gonzalez dans le très beau spectacle que nous présenterons le 8 octobre à 19h30 au festival actOral, dans la grande salle de Montévidéo, velours noirs et sans lumière comme nous l’avons trouvée en arrivant pour ces trois jours de répétitions. Vous savez, Il y eut un soir, il y eut un matin, c’est ce qu’on entend dans le spectacle qui s’appellera peut-être La Mort d’Ivan Ilitch. Et, de cette phrase de la Genèse infiniment plus célèbre encore que la phrase de Mallarmé, Marguerite Duras disait : « Qu’est-ce qu’on peut écrire de mieux ? » On ne peut pas. On ne peut rien écrire de mieux que cette phrase parce que Rien n’aura jamais eu lieu que le lieu. CQFD. Marguerite Duras citait aussi souvent ce qu’elle considérait comme la plus belle des phrases qu’elle ait jamais, elle, écrites : « Ici, c’est S.Thala, jusqu’à la rivière. – Et après la rivière ? – Après la rivière, c’est encore S.Thala. » (J’y pense toujours quand je vais à Trouville-Deauville effectivement séparées par une rivière.) Tout ça pour parler de la difficulté qu’il y a à intéresser les gens sans lieu. Paradoxe. (Peut-être que les programmateurs sont eux aussi à la recherche non pas de contenu, mais de contenant. De théâtre pour leur théâtre.) Mais il y a un lieu pour cette opérette marseillaise que j’ai trouvé avec l’aide de Fabien-Aïssa Busetta, c’est le théâtre de l’Œuvre. Théâtre fantôme absolument David Lynch où de très vieux chanteurs font encore, une fois par mois, un spectacle qui évoque la splendeur passée de l’Alcazar, le music-hall détruit dans les années après-guerre dont il ne reste que la porte ouvrant sur le vide (et l’idéal). Mais Anaïs me dit, avec raison, que ce sera impossible de déplacer les programmateurs qui refusent d’aller à pied, même pour deux fois un quart d’heure dans Marseille et le Vieux Port. On me parle aussi d’un lieu pour jouer Le Parc intérieur, le spectacle d’Avignon, c’est la salle ronde de la Vieille Charité, une salle consacrée à des expositions, peut-être trop belle. « Ce serait comme si tu jouais au Taj Mahal », me dit Thomas Gonzalez à qui je fais part de mes difficultés. Thomas me dit que tout ça peut se formuler, qu’il y aura bien une ou deux ou trois personnes parmi les programmateurs pour les entendre et il me donne quelques phrases que je prends en note. Je pourrais dire que Cette opérette-là n’est forcément pas liée à ce qu’on peut présumer d’elle, que C’est d’abord un espace et des gens et que, Même s’il y a déjà une partition et un livret, toutes les présomptions doivent arriver comme des fantômes dans un lieu et pas comme un prédicat de départ. Si un travail, c’est juste se mettre au diapason d’un prédicat de départ – dit-il encore –, c’est que mon spectacle existe déjà et que je n’ai même pas besoin de le faire. C’est l’éternel problème d’être obligé de monter des projets et d’être obligé d’y apporter des réponses. Jean-Luc Godard – c’est maintenant moi qui reprends – en a souvent travailler la question. Comment trouver de l’argent pour un film sans scénario ? Une émission hier sur France Culture évoquait Klaus Michael Grüber (« Une vie, une œuvre »). Je me demande par quel incroyable faisceau de chances les plus beaux spectacles que j’ai, pour ma part, jamais vus ont pu exister. Je suis content des formules que Thomas m’amène : « prédicat de départ », « présomptions »… Je constate avec lui que tout ce que je pense concerne, en fait, tout le monde et qu'il est possible d'en parler. « Ça peut se dire de manière amoureuse. Voilà, le paradoxe, il est là. Je suis là, devant vous et, finalement, il est tout de suite question d’argent et la question d’argent vient court-circuiter tout ce qui pourrait se passer. C’est comme finalement un non-lieu – avoue, déjà... – de parler d’un truc qui serait plus beau si y avait pas d’argent et si je disais : je vous emmerde. » Amoureusement,

YNG

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2 Comments:

Blogger Unknown said...

J'aime bien vos récits de l'intérieur du monde du "spectacle vivant", cette espèce de log book de la création. J'apprends des trucs, quelques fois j'en ris, quelques fois ça me déprime ; question qui me taraude depuis que j'ai vu deux de vos spectacles (au Grütli à Genève et à Avignon) : comment se fait-il que vos spectacles depuis 2003 ne tournent pas ? Frilosité des programmateurs ? Une volonté de votre part ?

10:08 AM  
Blogger Marie-Noëlle Genod, le dispariteur said...

Je me le demande aussi. Je n'ai pas encore répondu. Pourtant, à chaque fois que nous avons repris un spectacle en tournée (c'est arrivé un peu, quand même), ça c'est très bien passé. Je me demande surtout, pour ma part, pourquoi les spectacles les plus somptueux que j'ai fait pour des lieux, dans des lieux, des poèmes du lieu, mais qui n'ont été joué qu'une fois ou deux pour ces festivals de nouvelles formes n'ont jamais été repris plus longtemps par les programmateurs des lieux mêmes. Pour moi, ça, c'est le mystère complet. Je pense à "Monsieur Villovitch" (Marseille), "Oh, pas de femme, pas de cri" (Gennevilliers), "Vénus & Adonis" (Gennevilliers), le dernier "Hamlet" (Vanves) qui sont, pour moi, mes spectacles les plus beaux. Chaque fois, on l'évoque, mais ce n'est arrivé que deux fois. A la Ménagerie de Verre, à Paris, Marie-Thérèse Allier a repris "Le Dispariteur" pour cinq représentations (mais on aurait pu le jouer à guichet fermé pendant trois mois) et, à Vanves, José Alfarroba a repris "C'est pas pour les cochons !" Pour ces actes-là, ces deux là iront au paradis ! Bises, merci de votre intérêt

12:38 PM  

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