« My impulse is my life »
On reparle, sur un blog, de la mémoire de l’eau. Cette annonce formidable de la fin des années quatre-vingt. Je me souviens Marguerite Duras avait appelé Claude Régy : « Tu te rends compte, ce sur quoi on travaille, ils le découvrent maintenant… » « Le Nouvel Obs » en avait fait sa une. Axel Bogousslavsky m’avait dit que ça lui semblait évident. « Notre mémoire, elle vient pas de nulle part ! C’est bien qu’elle est déjà là, pas qu’en nous (mais partout). » Je suis fatigué, je suis heureux. Ce qui me donne la pêche en ce moment, c’est cette phrase de Francis Bacon qui dit tout d’un coup, dans un reportage que je visionne sur Ubu (cliquer sur le titre), qu’il est optimistic. « Profoundly optimistic about nothing. » Le simple fait d’être vivant le rend optimistic – about what ? – nothing. « I’m optimistic about nothing. » C’est une des plus belles choses que j’ai entendues de ma vie. Marguerite Duras parlait de « gai désespoir ». Elle aussi était optimistic. Just existing. Elle disait : « Pour une fois que nous n’sommes pas morts… » C’est l’absence de dépression.
Mais, pour revenir à la mémoire de l’eau, regardez la beauté de ce qu’il était écrit dans « Le Monde » du 30 juin 1988 (Jacques Benveniste) :
« Les études que nous présentons montrent l’existence d’un effet de type moléculaire spécifique en l’absence de molécule. La procédure utilisée s’apparente à celle qui ferait agiter dans la Seine au pont Neuf la clé d’une automobile puis recueillir au Havre quelques gouttes d’eau pour faire démarrer la même automobile, et pas une autre. On comprend dès lors les réticences, voire l’agressivité, au nom de la déesse Raison, des adversaires de ce type d’expériences. »
Une fois, on était parti à Quillebeuf avec elle. Elle était devant et Claude Régy conduisait. Elle s’était retournée vers moi et, toujours de sa manière absolue : « Je voudrais qu’Yves-Noël se rende compte que c’est la Seine ! » Nous étions encore face au Louvre, on partait juste. Ça avait été un beau voyage, de la longer, cette Seine imaginaire, cette Seine de la mémoire… On était passé là où la fille de Victor Hugo s’était noyée... On avait continué en longeant le fleuve jusqu’au lieu où se déroule Emily L. qu’elle devait être en train d’écrire (elle avait dit à Claude Régy qu’elle voulait en faire une pièce, sans doute pour avoir quelqu’un à ses côtés parce que, dès qu’elle a eu fini, elle a écrit « roman » et ça a été réglé). Il me semble que Yann devait être là, forcément, mais je ne me souviens plus de lui dans la voiture, peut-être à Quillebeuf... Mais je confonds peut-être avec le roman. Dans le roman, il est là, oui. Le livre devait déjà être bien entamé* puisqu’on reconnaissait les lieux, l’hôtel de la Marine...**
« Toutes les eaux étaient calmes, celles de la mer et celles du fleuve. Les eaux douces, d'habitude, étaient ralenties dans leur descente vers la mer par ce que j'appelais les grands câbles lisses de la houle qui d'une rive à l'autre interdisait l'accès de la mer. Ce soir, non. A perte de vue, le fleuve coulait dans les eaux de la mer. On aurait dit que les mouvements des eaux étaient portés par le sommeil. »
* Je le lisais à mesure... C'était ça, l'intérêt, le work in progress ; depuis la première nouvelle de quelques pages, très belle, très mystérieuse (je lui avais dit – ça lui avait plu : « On dirait un texte posthume. ») dont il reste des pages intactes dans le roman, mélangées aux dizaines d'autres pages, à l'histoire, aux histoires – en particulier celle sur l'écriture, à la fin, « l'état de l'apparition »...
« Je vous ai dit aussi qu'il fallait écrire sans correction, pas forcément vite, à toute allure, non, mais selon soi et selon le moment qu'on traverse, soi, à ce moment-là, jeter l'écriture au-dehors, la maltraiter presque, oui, la maltraiter, ne rien enlever de sa masse inutile, rien, la laisser entière avec le reste, ne rien assagir ni vitesse ni longueur, laisser tout dans l'état de l'apparition. » Ça, c'était déjà là, au début.
** Mais c'est toute l'histoire de ce livre : reconnaître les lieux de la fiction qui n'y est pas (encore) écrite. L'autre soir, chez Laurent Goumarre, un cinéaste que je ne connais pas encore, Michelangelo Frammartino, disait quelque chose comme : « On n'arrive pas dans un lieu en en posant l'histoire. Par contre on arrive dans un lieu et on veut recevoir le sens. » Et peut-être aussi : « Tu permets que ce soit le lieu, les personnes à t'offrir l'histoire, la narration. Et tu deviens uniquement un outil, un moyen. » J'ai rien à dire, plus qu'à aller voir le film.
Mais, pour revenir à la mémoire de l’eau, regardez la beauté de ce qu’il était écrit dans « Le Monde » du 30 juin 1988 (Jacques Benveniste) :
« Les études que nous présentons montrent l’existence d’un effet de type moléculaire spécifique en l’absence de molécule. La procédure utilisée s’apparente à celle qui ferait agiter dans la Seine au pont Neuf la clé d’une automobile puis recueillir au Havre quelques gouttes d’eau pour faire démarrer la même automobile, et pas une autre. On comprend dès lors les réticences, voire l’agressivité, au nom de la déesse Raison, des adversaires de ce type d’expériences. »
Une fois, on était parti à Quillebeuf avec elle. Elle était devant et Claude Régy conduisait. Elle s’était retournée vers moi et, toujours de sa manière absolue : « Je voudrais qu’Yves-Noël se rende compte que c’est la Seine ! » Nous étions encore face au Louvre, on partait juste. Ça avait été un beau voyage, de la longer, cette Seine imaginaire, cette Seine de la mémoire… On était passé là où la fille de Victor Hugo s’était noyée... On avait continué en longeant le fleuve jusqu’au lieu où se déroule Emily L. qu’elle devait être en train d’écrire (elle avait dit à Claude Régy qu’elle voulait en faire une pièce, sans doute pour avoir quelqu’un à ses côtés parce que, dès qu’elle a eu fini, elle a écrit « roman » et ça a été réglé). Il me semble que Yann devait être là, forcément, mais je ne me souviens plus de lui dans la voiture, peut-être à Quillebeuf... Mais je confonds peut-être avec le roman. Dans le roman, il est là, oui. Le livre devait déjà être bien entamé* puisqu’on reconnaissait les lieux, l’hôtel de la Marine...**
« Toutes les eaux étaient calmes, celles de la mer et celles du fleuve. Les eaux douces, d'habitude, étaient ralenties dans leur descente vers la mer par ce que j'appelais les grands câbles lisses de la houle qui d'une rive à l'autre interdisait l'accès de la mer. Ce soir, non. A perte de vue, le fleuve coulait dans les eaux de la mer. On aurait dit que les mouvements des eaux étaient portés par le sommeil. »
* Je le lisais à mesure... C'était ça, l'intérêt, le work in progress ; depuis la première nouvelle de quelques pages, très belle, très mystérieuse (je lui avais dit – ça lui avait plu : « On dirait un texte posthume. ») dont il reste des pages intactes dans le roman, mélangées aux dizaines d'autres pages, à l'histoire, aux histoires – en particulier celle sur l'écriture, à la fin, « l'état de l'apparition »...
« Je vous ai dit aussi qu'il fallait écrire sans correction, pas forcément vite, à toute allure, non, mais selon soi et selon le moment qu'on traverse, soi, à ce moment-là, jeter l'écriture au-dehors, la maltraiter presque, oui, la maltraiter, ne rien enlever de sa masse inutile, rien, la laisser entière avec le reste, ne rien assagir ni vitesse ni longueur, laisser tout dans l'état de l'apparition. » Ça, c'était déjà là, au début.
** Mais c'est toute l'histoire de ce livre : reconnaître les lieux de la fiction qui n'y est pas (encore) écrite. L'autre soir, chez Laurent Goumarre, un cinéaste que je ne connais pas encore, Michelangelo Frammartino, disait quelque chose comme : « On n'arrive pas dans un lieu en en posant l'histoire. Par contre on arrive dans un lieu et on veut recevoir le sens. » Et peut-être aussi : « Tu permets que ce soit le lieu, les personnes à t'offrir l'histoire, la narration. Et tu deviens uniquement un outil, un moyen. » J'ai rien à dire, plus qu'à aller voir le film.
Labels: paris
2 Comments:
Une chanson de Mylène a pour titre : "Optimistique-moi".
T embrasse
Love
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