Tuesday, June 14, 2011

Quelle drôle de chose que l'amour...

Guillaume Barbot

« Quelle curieuse chose que l’amour. On passe toute une année au lit dans un demi-sommeil et, un beau matin, on s’éveille, on boit un verre d’eau, on s’habille, on se passe la main sur le front et on se met à penser – on se met à penser – Mon Dieu, combien de femmes faut-il pour monter et descendre toute la gamme de l’amour ? Quand une seule suffit à peine à faire une note. Pourquoi la brume au-dessus de notre terre est-elle un prisme qui brise le rayon incandescent de l’amour pour en faire un arc-en-ciel ? – (Il boit.) Où est la bouteille de vin qui doit m’enivrer aujourd’hui ? Même ça je n’y arriverais plus ? Je suis assis là comme sous une pompe à air. L’air est si coupant et si raréfié que j’ai froid, comme s’il fallait que je fasse du patin à glace en pantalon de nankin. – Messieurs, messieurs, savez-vous bien ce qu’étaient Caligula et Néron ? Moi, je le sais. – Viens, Léonce, dis-moi un monologue, je vais t’écouter. Ma vie me bâille au visage comme une grande feuille de papier blanc qu’il me faudrait couvrir de mots, mais rien ne me vient, pas une seule lettre. Ma tête est une salle de bal vide, par terre quelques fleurs fanées et des rubans froissés, dans un coin des violons éventrés, les derniers danseurs ont ôté leurs masques et se regardent avec des yeux morts de fatigue. Je me retourne moi-même vingt-quatre fois par jour comme un gant. Oh, je me connais, je sais ce que je vais penser et rêver dans un quart d’heure, dans huit jours, dans un an. Dieu, mais qu’ai-je donc fait pour que tu me fasses réciter ma leçon si souvent comme à un écolier ? – Bravo, Léonce ! Bravo ! (Il applaudit.) Ça me fait beaucoup de bien de m’interpeller comme ça. Hé ? Léonce ! Léonce ! »

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