Monday, October 03, 2011

« La Considération que l'on accorde à mon argent »




Cher Monsieur Genod,

Mais oui, je serais plus que ravi d'être votre mécène et je vous remercie de me le proposer.
Ce n'est pas non plus une réponse africaine, ni même américaine.

Sans doute l'étendue de vos projets dépasse-t-elle mes capacités, mais parmi ceux-ci et par affinités, je suis sûr que nous trouverons ceux auxquels je pourrais contribuer, à notre satisfaction partagée.
Kataline vous a certainement dit mon admiration pour l'oeuvre de la grotte.
C'est un bon exemple.
Quelques grandes causes me tiennent spécialement à coeur : pour n'en citer que deux, l'extension du domaine de la fête – les Nuits Solaires – et l'extension du domaine de l'art – aux oeuvres naturelles et à la sexualité, notamment.

Au-delà de ces centres d'intérêt, soyez assuré que je garde l'esprit grand ouvert, et je suis à votre disposition pour échanger avec vous au plus tôt !

Bien à vous,

Philippe Frydman






Cher Monsieur Frydman,

Kataline m'a dit que vous vous étonniez que je ne vous réponde pas. J'allais le faire, j'allais le faire... Peut-être ai-je été surpris que l'étendue de mes projets semble dépasser vos capacités que j'imagine immenses. C'est vrai qu'il n'y a aucune raison de ne pas commencer par un bout. L'essentiel est de commencer. Réussir une seule chose ensemble nous donnerait l'envie de continuer. On pourrait partir sur ce que vous voulez, vos thèmes sont honorables, on pourrait échanger sur tout, mais il faut que vous donniez de l'argent. Je n'ai aucune idée applicable sans conditions de production. Parce que, des idées, j'en ai des milliards, autant que de rêves, si vous voyez ce que je veux dire. Marguerite Duras disait que le mot qu'elle détestait le plus dans la langue française était le mot « rêve » : « Moi, je ne rêve pas, j'écris. » Vous le savez pour vos affaires : il n'y a pas de rêve, il y a des affaires. Pour moi non plus, il n'y a jamais rien eu en dehors des conditions de production. C'est pour ça que j'insiste sur la monnaie sonnante et trébuchante. De toute façon, vous voir serait (de nouveau) un plaisir. Je crois que Kataline essaye d'organiser un déjeuner en octobre...

Bien à vous

Yves-Noël Genod






Cher Monsieur Genod,

Pardon d'avoir tardé à vous répondre.
Si je ne faisais preuve d'une certaine pusillanimité, je vous demanderais sans autre détour : combien voulez-vous ?
Mais comme je n'ai pas cette hardiesse, je vous demanderai plutôt quelles sont vos conditions de production, tout en rêvant du fabuleux taux de rendement interne (return on investment) de nos projets, en quoi les rêves des hommes d'affaires sont, vous le savez, prévisibles.
Là où d'autres voudraient être aimés pour eux-mêmes, je reçois avec beaucoup d'humilité la considération que l'on accorde à mon argent. Surtout s'il s'agit d'une grande considération. Et de beaucoup d'argent. Pour un immense rendement.
Sauf avis contraire de votre part, il faudrait donc que je sache plus précisément de quoi nous parlons, avant que je ne procède à un premier versement.

Ce sera pour moi aussi un grand plaisir de vous revoir, grâce à l'entremise de notre très chère Kataline.

Bien à vous,
Philippe Frydman






Vous ne tardez pas, vous n'êtes obligé de rien.
Un exemple précis. Je suis programmé en décembre au théâtre de la Cité internationale pour quinze représentations dans une très belle salle. Nous supprimons dix représentations car je ne peux pas payer personne. Il n'en reste plus que cinq ! Pour jouer les quinze autres (toujours dans le programme) il faudrait une somme absolument dérisoire, mais minimale de 20 000 euros. A vot'e bon cœur ! (il faudrait cette somme très rapidement pour rattraper ces annulations.)
Il y aurait encore un autre moyen de me donner de l'argent, si vous aimez les photos, c'est de me les acheter.
Un autre moyen serait de me salarier, un salaire pas fictif (ça n'existe pas), mais pour un travail minimal qui me permettrait de continuer mes mises en scène et de dégager l'ensemble de l'argent trouvé aux productions. (Me mettre personnellement hors d'état de me plaindre.)
Une autre idée serait de salarier quelqu'un capable de me trouver de l'argent. (Ce que je ne peux même pas faire.)
Une autre idée serait d'investir sur un projet entier (il y en a plusieurs, La Java, etc. Et il peut, comme je vous disais, y en avoir beaucoup d'autres. Il faudrait faire des livres sur tous ces spectacles qui ne se font pas...)
Maintenant la question du rendement. Alors, là, je n'y crois pas. Je ne vois pas comment vous pourriez considérer le théâtre comme autre chose que comme votre danseuse. Ça ne s'est jamais vu que le théâtre rapporte de l'argent. Le cinéma, c'est connu, ça pourrait, mais le théâtre n'en a jamais rapporté. Donc, là-dessus, je ne vois pas trop quoi vous dire. Mon seul espoir, dans ce que vous dites, c'est de penser qu'il ne s'agit pas de « beaucoup d'argent ». Donc ni de « grande considération » ni d'« immense rendement ».
Mais sans doute de vitesse.
A ce propos, je me demande pourquoi La nuit solaire n'a pas aboutie. Vous m'avez dit que vous y pensiez toujours.

Mon seul travail à moi est sur le plateau et il est si rare. Je suis malade quand je ne l'exerce pas. Je suis donc malade d'ennui actuellement, même en vous parlant. (Il faut me comprendre, vous savez, L'Albatros, etc.) Néanmoins, dans mon désespoir, je suis sûr que je serai ravi de vous rencontrer ! Kataline, vous avez vu, est maman pour la deuxième fois ! Et m'a nommé le parrain du petit Arsène !

Voyons-nous bientôt (je lui fais suivre ce mail)

Yves-Noël

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