Wednesday, April 04, 2012

La Fille sinistre




« Chasser le matin, pêcher l'après-midi, écrire des critiques théâtrales le soir. »



Audrey Vernon
Merci de m'avoir acceptée, je vous ai découvert il y a quelques semaines, je suis en train de lire le blog, j'en suis à décembre 2007... J'ai travaillé plusieurs fois avec Valérie Dréville chez Vassiliev, je fais un one man show en ce moment au théâtre du Gymnase sur les riches et les pauvres, c'est le mardi et le mercredi à 21H30... Si cela vous amuse de passer, je serai très heureuse de vous inviter.



Je me réveillais dans la nuit. Ou après la nuit. Après la nuit, il y avait la nuit. Il ne fallait pas, il ne fallait pas. Subir et répandre. Le sentiment d’irréalité. De découpe du monde. Le monde ! Déjà bien en dire. Que de le nommer. Autant nommer Dieu !






Ben, voilà, encore une bonne idée de plus en moins ! Je me disais – et je commençais à étudier – qu’au Rond-Point, je voulais faire un one man show sur les riches, le quartier le suggère (si l’on peut parler de « suggestion », à ce point…) Mais voici que le spectacle exact de cette ambition existe, c’est celui d’Audrey Vernon qu’elle joue en ce moment dans une crypte située très profond sous le théâtre du Gymnase en travaux. Tout est très bien étudié. Tout est abyssal. C’est même pas drôle parce que ça déploie ce qu’il faut bien appeler la vérité. Ou alors comme Franz Kafka est drôle. C’est comme si on assistait à la mise en abyme d’un one man show. Ce n’est pas vraiment ça, ce n’est pas vraiment elle, c’est un piège qui se referme sur la conscience. Ce qui se dit là, dans cette crypte inconnue, inabordable, c’est que le monde est en train de tourner court, qu’il y a de plus en plus de milliardaires et de plus en plus de pauvres et qu’il faut que les pauvres aient quand même de quoi s’acheter quoi que ce soit sinon ça bugg, ça s’arrête de fonctionner, ça se détruit. Comment voulez-vous rire à ça ? Le monde, c’est notre monde. Les riches, c’est nous. C’est nous qui, pauvres, achetons pour riches. C’est nous qui nous regardons dans le miroir et les miroirs semblent se refléter à l’infini. Si bien que voici le monde et que – il faudrait se renseigner – nous ne sommes pas sûr d’y habiter tout en entier entre ces miroirs comme le puit d’Alice, ce sentiment d’irréalité, ce sentiment d’infini fini. Morceaux choisis : « Etre actrice, c’est prendre aux pauvres pour donner aux riches. » Et elle mime ensuite l’interview d’une actrice dans le « Elle » qui parle de ses marques, de ses adresses favorites et nomme à chaque marque qui défile le milliardaire que ça vient enrichir (Bernard Arnault est quatrième mondial sur sept milliards d’êtres humains). « Comme dit mon futur mari, il faut prendre l’argent là où il est : chez les pauvres. Ils n’ont pas beaucoup d’argent, mais ils sont très nombreux. * » « Est-ce qu’il y a des gens qui travaillent dans la salle ? Eh bien, arrêtez tout de suite, c’est pas comme ça qu’on devient riche ! » « Chez les riches, c’est très différent, mais on s’habitue très vite. Il faut aimer l’opéra. Je ne sais pas pourquoi… » « Quand je pense que 95 % de la population mondiale n’a jamais pris l’avion… C’est pas grave, ça veut dire que c’est les 5 % qui s’éclatent et qui polluent. » « La crise, c’est pas une crise, c’est une arnaque : on fait disparaître du faux argent et on demande aux gens de rembourser avec du vrai. » Là, elle a brûlé un faux billet de théâtre en papier qui s’évapore. Le one man show le plus sinistre que j'ai jamais vu ! C'est un compliment. Vous me comprenez ?






* Alphonse Allais.

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