Pour qui sonne ce glas ?
Yves-Noël Genod : exercice d'admiration numéro 6
Le
type est grand, mince, légèrement beckettien, peau laiteuse, imberbe, petites
lunettes rondes, cheveux fins qui semblent sortis du lit, adulte sage ou ado
attardé, peut-être un peu des deux, il s'appelle Philippe Gladieux. Je l'ai
rencontré, il y a quelques mois, au Théâtre de la Bastille, il faisait déjà les
Lumières pour Yves-Noël Genod. C'était l'hiver et il s'agissait de La Mort
d'Ivan Ilitch,
le solo avec Thomas Gonzalez. Lumières, c'est une façon de parler car dans La
Mort d'Ivan Ilitch,
Thomas G. était plongé dans les ténèbres, habillé de ténèbres. Le plateau était
fait de noir et de nuit, velours noir profond, nuit lunaire, avec cette sorte
de lumière blanche, invisible, noire, qui rend les peaux phosphorescentes.
C'était un soir de répétition pour Thomas (répétition chez Yvno = recherche du
duende), je m'étais assis par hasard à côté de Philippe Gladieux. Il y avait un
problème technique avec le néon que portait Thomas dans ses bras. « Salut.
Salut. Olivier. Moi c'est Philippe. » On parle à voix basse, on se serre
la main. Philippe a cette douceur rare des vrais hétérosexuels, ceux qui n'ont
aucun problème avec l'homosexualité, c'est-à-dire avec le féminin en eux. En
même temps il est peut-être homo, en fait je ne sais pas et je m'en fous, mais
je ne crois pas qu'il le soit, pas du tout. De Philippe émane un calme
fascinant, plus que l'orientation sexuelle, c'est ça qui frappe en premier.
Aussitôt je me dis que Duras aurait aimé travailler avec lui, je ne sais pas
pourquoi, mais j'imagine un feeling possible entre Duras et lui. Je n'ai jamais
connu Duras, mais je la connais comme si je l'avais faite, c'est ridicule, mais
tout ce que je vis me ramène toujours un peu à elle. Ma vie est dédoublée par
la présence de Duras. LOL. Bon, Duras est morte, paix à son âme, Philippe
travaille avec Yves-Noël Genod et c'est de ça dont on parle. Sur son site
Philippe dit qu'il est « patient avec un sentiment d'urgence ». Pour
parler de lui il dit « éclairagiste ». Il dit aussi : « Les
volutes impriment comme des spectres dans l'espace des dessous. Au fil des
heures, la circonvolution des pensées fait naître un vortex (d'où l'on verrait
un langage organique). On n'imagine jamais rien, c'est la structure qui
initie la clarté, nous lions en lisant ; le sujet intérieur. Dans une
enveloppe, la lettre est pliée en trois. C’est toujours ce rythme
ternaire ! » Je navigue dans le blog de Philippe. Pour écrire cette
chronique, je pourrais l'interviewer, j'y ai pensé, mais je préfère garder
encore un peu de distance avec lui. Ou plutôt je ne veux pas - tandis que
j'écris sur lui - de cette distance que l'on a avec les gens qu'on connaît, les
proches. J'apprends qu'il est l'inventeur d'un truc, un procédé qui s'appelle
Shape. Philippe écrit qu'en éclairage traditionnel, il « navigue
manuellement, attentif au pré-mouvement ». Il joue la lumière en inspirant
l’air de la pièce, séduisant jusqu’au filament de la lampe ; un élan
d’autofiction. Parce que les consoles d’éclairages n’étaient pas adaptées
à sa recherche, il en a conçu une d’un type nouveau, sans séquentiel, sans
mémoires. « Shape est un procédé traduisant en lumière les percepts du
corps. Son organicité, sa réactivité en terme de rythme, impulsions, sensualité
ouvre un espace imaginaire comme on regarde les nuages, le feu ou un être
aimé. Techniquement, Shape interfère sur la lumière comme un filtre
virtuel. Si le soleil est un ensemble de projecteurs, alors Shape s'insère
entre lui et le sol, créant les ombres. Par exemple on pourrait reconnaître un
arbre dans le vent ou l'eau de la mer ou un ventre qui respire... Shape
restitue les flux où ils subissent une suite de transformations sur lesquels
Philippe peut agir en temps réel en terme d'intensité, dynamique, s'adaptant
aux situations de l'instant, aux nécessités de surprendre, accompagner, guider,
suspendre, figer... Le spectateur y met ses rêves, ses peurs, ses
désirs. Ainsi naît l'abstraction, de l'absence de l'arbre ou de l'eau.
Parce qu'on y voit pas nécessairement de l'eau mais un macrophage qui se
nourrit de lui-même ou un spectre in-voluant en l'eau. On perd l'équilibre en
changeant de référentiel. Et l'on se propulse dedans, comme aspirés par le
vide. Pourquoi aurait-on peur du silence sinon ? Shape participe de qui se
décompose, se découvre, tisse un lien entre le sujet, les interprètes et
l'imaginaire de chacun. Une relation d'équivalence. » C'est sur ce mot que
j'arrête ma lecture, « équivalence », je ne veux pas en savoir plus,
pour l'instant. Au Rond-Point Philippe fait les lumières, bien sûr, mais aussi
le son. Comme dit Yvno, « l'ambiance du lieu, c'est lumière du jour,
fenêtres ouvertes, 7h du soir, c'est l'idée d'un jardin, du théâtre comme
jardin. Il y a des plantes. Mais surtout beaucoup d'imaginaire. Philippe a
un iPhone et de temps en temps il fait sortir des chants d'oiseaux qui
viennent, du coup, de derrière les spectateurs - c'est très agréable – et qui
se mélangent aux bruits réels de la rue et de la soirée – les Champs-Elysées -
parfois un corbeau, mais c'est pas toujours un corbeau, parfois une manif...
Jeu de mot lacanien à la con : Gladieux, Glas / Dieu... Tu sais ce que c'est
que le glas, Yvno ? Bien sûr, tu sais, mais je vais te le dire quand même,
j'aime trop faire mon Wikipédia : le glas est une petite sonnerie faite
avec une cloche publique pour signaler la mort d'un habitant. Une idée pour le
spectacle ? Pour qui sonne ce glas ??? Sinon, oh, une fois, oh oui je
m'en rappelle, c'était génial, des chevaux sont passés sur l'avenue ! Et
en parlant de chevaux, « Philippe », tu sais ce que ça veut dire ?
Celui qui aime les chevaux. Tout est déjà écrit, depuis le début.
Labels: rond-point
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