Encore le luxe
Le spectacle s’était appelé
Aujourd’hui, c’est mon anniversaire,
titre emprunté, volé cambriolé – comme tous les titres et la littérature en
général – à Tadeusz Kantor et c’est aussi une citation de Pina Bausch, elle,
plus proche de nous grâce à Dominique Mercy qui a repris le flambeau – j’ai
rêvé de lui, tiens, je m’en souviens à l'instant. Et donc on était tous, après la représentation, chez
Dominique Uber lui fêter son anniversaire, c’est-à-dire dans l’un des plus beaux appartements de Paris, sur le champ de Mars, celui où a été tourné Le Dernier
Tango à Paris. Nous étions les
premiers, la lumière était encore là, toutes les fenêtres, les balcons sur les
terrasses, les immensités, le dôme des Invalides, la tour Eiffel, la beauté,
l’air, la terre qui tourne (la tête qui tourne ? – à peine). Immédiatement
j’affirmais qu’on pourrait jouer là Je m’occupe de vous personnellement ; je voyais une représentation de luxe, privée,
avec des places très, très chères (je ne gagne pas un centime, moi, au
Rond-Point, c’était prévu comme un one man show). Je demandais à Dominique si je pouvais prendre une douche ; parmi les déboires de
cette série de représentations, il y a que ma douche a pété : je me
lave depuis une dizaine de jours à peu près comme le fait Alexandre Styker en
public (ceux qui ont vu voient). Dominique me précédait dans un labyrinthe
immense – je demandais comment j’allais revenir... – pour me conduire à l’une des
quatre salles de bain. Elle portait Faye dans ses bras et ses talons aiguilles,
c’était très amusant à voir, s’enfonçaient comme dans de la mousse dans la moquette triplement épaisse (mais Dominique a été danseuse chez Maguy Marin, elle
sait marcher sur la terre cabossée et meuble tout en portant un enfant, un
meuble, je ne sais quoi…) Faye, bien sûr, aurait voulu prendre la douche aussi, mais, non, ça, bien sûr, ce n’est pas possible. Je restais plusieurs heures dans la magie des jeux
d’eau (l’eau lave les informations). Je n’utilisais pas la
baignoire immense, peut-être mon cœur aurait lâché, le luxe, je n’y suis pas
habitué et il y a des décades que je n’ai pas pris un bain dans
une baignoire, même de marbre ou d’albâtre (« mon divan de marbre, mon
divan d’albâtre », dit parfois Bessette-Valérie). Je profitais des huiles,
des shampoings rares. Je revenais dans la fête, des gens partout très à
l’aise. Je montrais à Faye que je m’étais aussi lavé les cheveux (shampoings
rares…) et puis je discutais. Avec l’« invité du jour », en
particulier, que je coinçais sur le balcon un moment et qui avait fait un quasi
sans faute à la soirée – celle, plus tôt, de la représentation –, jouant sous les
fenêtres du violon alto et chantant je ne sais quoi, mais du très, très, très
beau, assez mélancolique (mais émouvant) (il est contre-ténor), puis du violon
encore pour un troisième passage derrière les gradins : une merveille
« comme il n’en faut plus ! », comme dit Rimbaud, son nom : Mathieu Jedrazak, il
est lillois, il retourne à Lille aujourd’hui pour voter. Je ne discutais pas avec
beaucoup d’autres gens, bien que ç’aurait été très facile. Dans ces milieux,
tout le monde est disposé à la gentillesse, tout le monde vous demande ce que vous faites, pour situer, pour connaître et tout le
monde fait de même, c’est simplement ça, nous sommes simplement là pour nous
connaître, le réseau, tisser des liens. Je rencontrais une femme qui déclarait que, non, vraiment, elle n’aurait jamais pu faire actrice parce que, elle,
elle était une manuelle. Quelle genre de choses faites-vous avec les
mains ? De la broderie pour Chanel, Dior, etc. Elle me soufflait qu’elle
faisait des robes qui valaient 200 000 euros, deux cent mille euros, et, cela,
c’est vrai, c’est pas la passe de Zahia à 50 000 que m’avait vanté Olivier Steiner (ce qui après tout est crédible, si on peut se payer une robe à 200
000, pourquoi pas une p... à 50 000) (une photo témoigne de la rencontre avec
Zahia où l’on voit que je suis intimidé, pas vraiment par elle, peut-être, mais
par le prix qu’elle coûte).
Olivier et Pierre surgissaient au moment où je prenais congé, raisonnablement, vers minuit – car nous jouons tout à l’heure, dans quel état
seront-ils, mon Dieu ? – et Olivier commençait à raconter des
cochonneries, mais je n’étais pas d’humeur. En rentrant, je trouvais sur le
blog de Pierre la même chose, mais sans les cochonneries. Pierre, Pierre
Courcelle, l’écrivain de l’amour (c’est son métier – comme prostituée est un
métier –) : « Deux hommes échoués l'un
à l'autre, deux étrangers qui s'observent et se confondent, s'assemblent et se
désassemblent, s'embrassent et se rêvent autant qu'il est humainement possible. » Et cette citation, sans doute du Cantique des cantiques : « Que tu es beau, mon bien-aimé, que tu es aimable ! Notre lit, c’est la
verdure. » Sinon, Audrey Vernon était habillée « comme une milliardaire
sans le yacht », absolument rayonnante et sublime, avec une robe longue qui
traînait, des tongs ou des sandales, un sac comme si elle descendait à la plage
ou faire ses courses au marché de Saint-Trop'. Elle était spectatrice pour la
deuxième fois et je l’avais fait passer, dans l’introduction au spectacle, auprès
des autres spectateurs, pour une danseuse de chez Pina, ce qui, habillée
comme elle l’était (comme un gant), était très vraisemblable. Comme je partais, elle
me demandait si j’allais descendre à Avignon (où elle va
jouer), et ajoutait avec un clin d’œil qu’elle y aurait une piscine. Voilà une
chose que je notais dans mon carnet : « Audrey Vernon a une piscine à
Avignon ». Un peu d’avenir. Sinon, Pascal Bongard avait vraiment aimé la
représentation (et m’avait laissé son téléphone ainsi qu’un très beau canotier
pour Lorenzo qui en rêvait, moi aussi, les impressionnistes, le canotier, l’eau,
le bord de l’eau, la rivière, premier principe du Tao Te Kin : Soyez comme
l’eau). Sinon, Jean-Pierre Thibaudat m’avait conseillé de faire un spectacle sur
Hélène Bessette, il n’avait pas compris que nous étions en
train de le jouer, ce spectacle, il ne le verra pas, c’est triste (parce qu’il s’est fâché avec
Jean-Michel Ribes), mais il m’a aussi – et pourtant – envoyé un très beau proverbe chinois : « Les nuages
passent, la pluie reste. » J’avais demandé à Laurent Goumarre qui, lui, avait finalement vu et adoré le spectacle d’en
parler, s’il pouvait, autour de lui, puisqu'il restait – et encore à l'heure où je vous parle – sept représentations et que, malheureusement, la critique nous était quasiment passée sous le nez. Hors il se passe – encore sept fois.
Labels: rond-point
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